Georges Leningrad : Mardi gras tous les jours
Les inclassables Georges Leningrad larguent un troisième opus, Sangue Puro, collection déstabilisante de chansons carnivores pour guérir les pieds cassés. Éclaircissements avec la chanteuse Poney P.
La dimension tribale des Georges Leningrad est bien présente sur Sangue Puro. Au zénith de l’album, il y a Mammal Beats, dans la lignée des irrésistibles hymnes dansants de Sur les traces de Black Eskimo (Sponsorships, Supa Doopa et Fifi F.). "Pour moi, cette chanson représente l’aboutissement de notre démarche et de notre trio, le fait d’être à son plus puissant chacun dans son élément", explique l’ahurissante chanteuse Poney P.
Mentionnons également au passage la terrible et sanglante Eli Eli Lamma Sabacthani, une chanson cannibale, rien de moins! "Sur les traces de Black Eskimo nous a amenés dans un espace et nous y avons élu domicile. C’est comme si on avait oublié qu’on est des petits blancs de Montréal et réinventé notre monde. On est devenu des créatures qui vivent là. Mais voilà que des colonisateurs se pointent, et ça ne fait pas notre affaire. À un moment, ils ne sont plus certains de savoir ce qui se passe… Ils se sentaient accueillis, mais voilà qu’ils comprennent que si la marmite bout et que nous avons allumé un feu, c’est pour les manger… C’est alors qu’ils s’écrient: "Mon Dieu Mon Dieu Pourquoi m’avez-vous abandonné?" (traduction de l’incantation latine).
"Au début, avec les Georges, l’idée, c’était de tout faire n’importe comment. On ne peut plus faire ça parce que maintenant, on sait comment, on a appris. Ça serait de la fausse naïveté… On s’est fait écraser par des voitures, des pianos nous sont tombés sur la tête, il nous est tout arrivé… C’est pour ça que Sangue Puro n’avait pas le choix d’être un petit poing dans la face, un disque assuré."
En ce sens, pour Poney P., Deux hot dogs moutarde chou (Blow the Fuse, 2002) reste l’album le plus pur, l’ovni, en quelque sorte. D’abord quatuor, le groupe a ensuite perdu un de ses membres et a dû s’adapter à une nouvelle géométrie sur son second effort, Sur les traces… (Alien8 Recordings, 2004). "On était triste parce qu’on laissait quelque chose derrière nous, mais en même temps, on célébrait puisqu’on pressentait qu’il y avait un futur." Sangue Puro apparaît comme une sorte d’aboutissement pour les Georges: "Chacun connaît son rôle. Tu peux tourner le triangle dans tous les sens, la base reste solide."
Fait notoire aussi sur ce nouvel arrivage, l’inclassable trio s’approprie le langage, ce qui n’est pas rien pour un groupe qui communiquait essentiellement par le cri et les langues trafiquées, sortes d’émulations hallucinées de langues existantes. "Ça a commencé par un cri, puis c’est devenu un langage abstrait. Au départ je prétendais chanter des mots, comme un enfant qui apprend à parler, qui balbutie. L’enfant entend des chansons dans d’autres langues, commence à imiter ce qu’il perçoit. Ça se précise et un vocabulaire apparaît. Avec cet album, j’ai eu envie de m’installer dans le langage." Mais ne vous méprenez pas, car si des mots connus fleurissent dans la bouche de Poney, le sens se dissout complètement lorsqu’elle les aligne en une phrase telle que: "Awaye baisse-la ta fly! Montre-moi le chinois, ton minois de sparadrap, ton allure de débraille de canaille! Tête de noix! Tu putois!"
Ici comme ailleurs, rares sont les artistes qui prennent autant de risques que les Georges Leningrad. Outsiders jusqu’au bout des ongles, les Georges proposent un éloge à l’individualité et à l’expression.
Les Georges Leningrad
Sangue Puro
Dare To Care/Outside
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