Navet Confit : Nouvelle saveur
Navet Confit cultive les contradictions sonores et les mélodies issues du chaos. Un artiste dont la démarche à la fois brouillonne et sophistiquée rallie de plus en plus de gourmets à la recherche de saveurs nouvelles.
Pour ceux et celles qui ne le sauraient pas encore, Jean-Philippe Fréchette, l’homme derrière Navet Confit, est certainement l’un des artistes les plus doués de cette mouvance que l’on appelle la scène émergente et qui subit ces temps-ci les effets de ce qu’on pourrait décrire comme la rançon de la gloire. Pourtant, rien dans sa mixture aventureuse de rock décalé, tantôt planant, tantôt psychédélique, voire un tantinet schizophrène, ne permet de deviner les racines de sa vocation musicale telles que décrites par un Navet passablement dans les vapes après 20 heures de tournage pour le vidéoclip de la très accrocheuse Asphalte, que l’on retrouve sur son premier album minimalement intitulé lp1. "J’ai commencé à faire de la musique vers l’âge de 9 ans. Mes parents m’avaient inscrit à des cours de clavier pis j’haïssais ça! Moi, je suis un autodidacte, mais je ne le savais pas encore à l’époque. J’aimais pas ça, être confronté à la compétition, alors que les autres jeunes de ma classe semblaient carburer à ça. J’ai même été à la télé communautaire pour jouer la toune de Jean Lapointe Chante-la ta chanson au clavier! Ma mère m’avait bien peigné et habillé, et moi j’étais dans la lune, la bouche grande ouverte…"
La suite n’est pas plus révélatrice d’expériences marquantes qui pourraient expliquer ce don pour construire un univers musical singulier et hautement personnel: école secondaire ponctuée par sa période Guns’n’Roses et Metallica; Jean-Philippe devient ensuite batteur pour quelques groupes de "cover" au répertoire plutôt grunge; et il fera même partie d’un groupe de musique acoustique très hippie au cégep. Bref, un cheminement musical qui aurait pu être attribué aux gars de Kaïn! Et pourtant: "Toutes ces expériences, même les plus décevantes, avoue Jean-Philippe, ont quand même été très formatrices et nécessaires dans la mesure où je sais mieux maintenant me poser les bonnes questions sur le plan créatif."
Le nom d’artiste de celui qu’une poignée d’amateurs de musique authentique ont découvert au fil de quatre mini-albums autoproduits à la maison (ep1, ep2, ep3 et ep4) est beaucoup plus signifiant qu’il n’en a l’air. C’est que la musique et les textes de Navet Confit semblent constamment cultiver la contradiction, les oppositions et les contrastes. De la pop anticonformiste, aussi antinomique que puisse paraître cette étiquette. Comme cette capacité à harmoniser le chaos pour en faire quelque chose d’étonnamment fluide et mélodique: "Je sais pas pourquoi, j’ai toujours envie de rajouter du feedback partout. C’est d’abord venu sur scène en expérimentant avec d’autres musiciens. Ensuite, j’ai voulu explorer ça dans mon studio, en essayant de comprendre et de cerner le concept de bruit, qui n’est habituellement pas quelque chose qu’on recherche dans la musique pop. Sauf si on s’en sert pour fabriquer des mélodies, là ça peut devenir inusité. J’ai toujours tripé à opposer les structures musicales de chansons aux sonorités. Et pour le texte, j’applique la même technique: un ton décalé dans l’interprétation par rapport au sens du texte. J’ai développé cette démarche sans vraiment me demander comment ça allait être reçu, sans rechercher l’avis de plusieurs personnes non plus, alors, que ça plaise à du monde, j’en suis d’autant plus content."
Mais avant que le sujet ne refroidisse, revenons sur cette nouvelle tendance qui se dessine chez les aînés de la scène musicale québécoise ces derniers temps: le bashing émergent: "C’est sûr que je me sens concerné. Mais en même temps, j’essaie de tout relativiser. Ce qu’on appelle la musique émergente, un terme que je trouve d’ailleurs plutôt péjoratif et même un peu condescendant, c’est un phénomène principalement montréalais. Et je me demande: c’est quoi, la scène émergente, pour Robert Charlebois? S’il écoute Kaïn en pensant que c’est ça, la relève, c’est sûr qu’il peut trouver ça plate. L’idée, c’est qu’avant de se prononcer comme Charlebois et Leloup l’ont fait, ç’aurait été l’fun qu’ils fassent une vraie recherche, qu’ils essaient vraiment de comprendre le phénomène avant de donner leur avis. Et je trouve ça bizarre que Charlebois prenne position comme ça alors qu’il est en train de capitaliser sur son passé."
Une chose est sûre, ne comptez pas sur Navet Confit pour sombrer dans la nostalgie, aussi récente soit-elle. Pour son spectacle baptisé Une tonne de plumes, lui et son nouveau groupe Les Jolis Chapons (Alex Champigny, Lydia Champagne, Domi Lucide et Pierre-Philippe Côté) promettent des textures sonores et des arrangements revisités, et pas moins de 50 % de matériel inédit. La sagesse, c’est bien, mais la jeunesse, c’est quand même pas mal plus excitant, non?
Le 15 décembre
À la Galerie Rouje
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