Kate Morrison : Embrasser le ciel
Musique

Kate Morrison : Embrasser le ciel

La musique de Kate Morrison mériterait qu’on crée une nouvelle appellation pour la désigner: musique réconfort.

Son nouveau disque, dont elle signe paroles et musiques, est disponible depuis peu: chaud comme une bonne flambée de bois à l’automne, une soupe sur le feu, ou un labrador fidèle. Même si la tristesse ou la colère sont à l’origine de certaines chansons, ce qui semble caractériser la manière Morrison est cette aptitude à transcender la douleur pour élever son regard vers ciel.

Kate Morrison n’est pas une nouvelle venue dans le paysage de la chanson estrienne. Son premier album date de 1995, et Kiss The Sky est son deuxième un album qui aurait dû voir le jour il y a plusieurs années, n’eut été d’une tragédie au sein de sa famille, ce qui en a retardé considérablement la réalisation. Mais voici qu’il est enfin prêt après quinze mois d’heureux labeur. "Même si je suis assez perfectionniste, c’est plus que ce que j’ai espéré, je n’ai pas le choix d’être contente! Tout fut magique dans cette aventure, à commencer par le soutien de mon réalisateur Jean Fernand Girard. C’est lui qui a su rassembler toutes les sonorités que j’avais en tête." A-t-elle l’impression qu’il s’agit en quelque sorte d’un premier album pour elle? "Je ne peux renier mon premier disque, mais pour où je suis rendue maintenant, c’est ce qui me ressemble enfin."

Pour ceux qui la suivent depuis quelques années, certaines chansons ne seront pas inconnues. Par exemple la chanson To All Of You clôturait également son album éponyme, et Big Black Car amorçait un mini-album réalisé en 2001. "Pour ma part, l’album aurait pu compter jusqu’à dix-huit chansons, mais on m’a suggéré d’en retirer certaines qui auraient pu rompre le pacing. De toute façon, si on me le demandait, je serais prête à enregistrer un autre album tout de suite; je ne manque pas de matériel."

Musicalement, les racines de Morrison sont à chercher du côté du folk, mais le rock est très présent sur ce disque, notamment sur les deux premières chansons, Enough et Kiss The Sky. On remarque même des touches de jazz et de blues ça et là. La voix est aussi claire qu’auparavant, mais elle a gagnée en coffre et en assurance avec les années. Elle sait aussi être douce comme sur Moon Flower dans laquelle le piano permet à la voix de prendre son envol, une chanson qui n’est pas sans rappeler Anjani, la nouvelle égérie de Leonard Cohen, voire même Carole King.

Histoire de vérifier si elle croyait à ce quelle chantait, je me suis pointé à notre entretien avec une tablette de chocolat. Les yeux de l’interprète de Chocolate Bar Blues se sont allumés de plaisir. "C’est l’une des chansons qui fut le plus difficile à enregistrer pour moi", confie-t-elle entre deux carrés. "Certaines personnes ont d’autres addictions, moi c’est le chocolat." On va jusqu’à lui avouer qu’on a même décelé des parentés avec Isaac Hayes et Barry White dans le passage où elle énumère les gâteries chocolatées qui la font craquer. "Merci pour la comparaison" dit-elle en riant. Et voilà que la conversation repart de plus belle sur la musique qui l’habite et l’occupe à temps plein.

Si une photo en noir et blanc illustrait le premier album, la peinture aux couleurs vives ornant la pochette de ce nouveau disque représente à merveille le monde de Morrison. C’est à l’artiste Deborah Davis que Morrison a commandé la toile. "Je voulais y retrouver certains éléments spécifiques comme la lune et le soleil, ma chienne Chloé et la chaise bleue de ma grand-mère ". Aux couleurs des peintures et photos du livret répondent les riches sonorités du piano, de la guitare et du Hammond B3, mais également de la flûte irlandaise, de la cornemuse ou de la vielle à roue. "Je voulais des vrais instruments et des vrais musiciens, quelque chose de très roots". Tout comme elle.

Le parcours de Kate Morrison est digne d’un rêve trudeauiste: à l’âge où tant de jeunes Québécois partent sac au dos pour la vallée de l’Okanagan, en Colombie-Britannique, elle fit le contraire. C’est ainsi qu’à l’âge de dix-huit ans, elle vint étudier à l’université Bishop’s, et n’est depuis plus repartie, même si elle conserve de profondes racines sur la côte Pacifique. Déjà vingt-quatre ans à vivre au Québec. "Vous savez, la majeure partie de ma vie se déroule en français, à tel point que j’avais l’impression de chercher mes mots en anglais l’autre jour, lors d’une entrevue avec un journaliste de la CBC", nous confie-t-elle en ces premiers jours de décembre. "Mes parents avaient un verger où l’on cultivait des cerises, des abricots et des pêches. Chaque été, nous recevions des cueilleurs du Québec, et nous avons tissé des liens avec une famille d’ici dont nous avions reçu les enfants. Et puis comme je me suis toujours sentie francophile, j’ai voulu venir ici."

Son album live de 2000 contenait déjà quatre chansons en français. "J’ai même jonglé un instant avec l’idée de réaliser un album bilingue, mais à ce moment-là, Gregory Charles confiait aux journalistes qu’on lui avait déconseillé pareille aventure, alors je me suis abstenue. J’imagine qu’à la place j’en ferai un entièrement en français un jour."

"Pour moi, les textes sont aussi importants que la musique. C’est sur que j’ai des chansons plus légères qui parlent d’amour, mais il y a des enjeux qui me préoccupent, comme l’environnement par exemple. Mais à un texte comme The Absence Of You qui parle de quelqu’un parti trop tôt, j’ai voulu associer une musique qui n’est pas nécessairement triste et qui donne le goût de garder espoir et de regarder en avant."

Et quand on lui demande s’il est normal que son cd ne puisse jouer sur un ordinateur, elle répond, sourire en coin, que ce n’est pas tant un dispositif anti-piratage qu’une façon de forcer les gens à vraiment s’asseoir pour l’écouter. "On a mis beaucoup de travail là-dedans, j’aimerais ça que les gens l’écoutent attentivement, pas juste en faisant autre chose".

Kate Morrison
Kiss the Sky
(Moon Flower Records)