Victoria Abril : L'émoi d'Abril
Musique

Victoria Abril : L’émoi d’Abril

Immense actrice européenne, Victoria Abril s’est confectionné un album bien personnel de bossa-nova avec une facilité et un naturel déconcertants.

Une guitare espagnole fluide coule à travers la petite chaîne portative de la chambre. "Écoute! J’ai écrit ça pour le générique de El color del destino qui sort cette année… J’écris des chansons maintenant!"

Blottie, menue, dans un canapé fleuri de sa petite suite du très chic Hôtel St-James, Victoria Abril s’emporte, rigole, bat des mains, chuchote et chante avec un délicieux accent tout en fixant perpétuellement l’interlocuteur de ses yeux d’ocelot ébahi. Manifestement hyperactive, entre deux bouffées de cigarette exotique, elle s’acharne à expliquer que son amour d’Espagnole pour la bossa-nova brésilienne, omniprésente sur son premier disque, n’a rien de factice. Que ce n’est pas par opportunisme, dit-elle, "…du cinéma"!

"Mi bossa-nova! C’est la bande-son de toute ma vie. Dans le flamenco, cette merde que ma mère me mettait dans les oreilles tout le temps, je trouvais qu’ils gueulaient. Alors à dix ans déjà, je préférais la bossa-nova. J’écoutais en cachette, car sous Franco, c’était interdit. Et puis il est mort et n’a pas emmerdé ma vie d’adulte. Faire un disque, c’est pas comme au cinéma où l’on te dit constamment ce que tu dois faire. Le rôle, le metteur en scène, tout est écrit. Alors que ces chansons, c’est moi!" lance-t-elle sur un ton qui ne souffre guère de contradictions.

Et à 47 ans, la superstar espagnole aux 86 films, à qui ses collaborations avec Pedro Almodóvar et ses prestations dans Gazon maudit, Une Époque formidable, El Lute, Amantes, La Lune dans le caniveau, Personne ne parlera de nous quand nous serons morts ont valu une réputation internationale, sait de quoi elle parle: "Au cinéma, je n’ai pas rencontré mon public une seule fois pendant trente ans. Les gens voient les films avec cinq, dix ans de retard. Impossible de savoir ce qu’ils en pensent. Alors qu’avec le disque, et les concerts qui en découlent, on se réunit simplement sans tout cet attirail technique. J’ai des musiciens cubains de-la-mort-qui-tuent. Et à l’entracte, je descends dans le public contempler les têtes heureuses, ces sourires multipliés par milliers… Ils ont la banane? Alors moi, je suis la fille la plus heureuse de l’hémisphère nord!"

BANANE

Jeu de mots espagnol entre amour, marmite à mijoté et câlins, Putcheros pourrait n’être qu’une autre compilation de grands succès de la bossa-nova chantés par une star du grand écran s’il n’était de l’authenticité et du sourire qui l’épicent. Au-delà de la qualité du jeu de ses musiciens, les interprétations fluides de la star poussent la nostalgie de classiques tels Aguas de Marco ou Agua de Beber de Carlos Jobim et inspirent des crépuscules embaumés en demi-teintes de Rio vers un optimisme et des sourires un brin anachroniques: "Tu sais, le micro, il a des yeux, il voit. Parfois, je chantais un peu tristement et je n’aimais pas ça. Je voulais faire sourire les gens." Quant à l’authenticité flagrante de cet album sans artifices, particulièrement remarquable sur le classique Tu verras enregistré en une seule prise, qui restitue la force des mots de Claude Nougaro, Abril l’attribue à la totale indépendance avec laquelle elle a tout cousu main.

Car, processus rare, privilège de star nantie sinon très déterminée, l’actrice a proposé à sa maison de disques un produit fini: "Si je les avais embarqués dans mon projet, ils m’auraient fait faire de la pop commerciale merdique! Je n’avais pas envie de perdre mon temps à écouter leurs conneries! J’ai préféré faire la tournée des maisons de disques avec un album complet: production, son, mixage, pochette. Tout, même les affiches! C’était à prendre ou à laisser. Je n’avais plus qu’à attendre les propositions du plus offrant ou du plus intelligent. Et depuis, j’ai fait trois disques d’or et quatre tournées! Première position en France et en Espagne! Cent soixante concerts: Italie, France, Grèce, Belgique… Ça marche à mort!" dit-elle, triomphante et épatée.

Présenté comme un magazine de mode soutenu par les publicités pleine page de Swarovski, Camper, Dior et Custo, le programme des concerts de Victoria Abril est ponctué des félicitations enthousiastes de Carlos Saura, Antonio Banderas, John Galliano ou Frédéric Mitterrand. Les belles dilettantes issues du grand écran apprécient-elle à juste titre le pouvoir de l’image et de la notoriété lorsqu’il est temps de convaincre majors et publics des vertus de leurs ramages? "C’est une chance incroyable de connaître ces gens extraordinaires. Mais pour celles qui doivent convaincre, ce n’est pas plus facile au début. Moi, ça me posait surtout des problèmes d’entourage. Tous ces gens qui me disaient: "Ah, non, Victoria, continue d’être une bonne comédienne, fais pas ça… fais pas çaaaa!" Ensuite, si c’est de la qualité, la notoriété permet de remplir les salles un peu partout, y compris en province, même avec une musique pas particulièrement commerciale", dit-elle après avoir marqué une pause sourire: "Tu te dis: "olllleeeeeee!!! ça me ressemble, alors dans cent ans, j’aurai jamais honte d’avoir fait ca!""

Après Putcheros, Abril rumine déjà un disque plein de guitare et de castagnettes, financé par le succès actuel, qui pourrait comporter quelques titres en français. Est-ce à dire que l’actrice acclamée devra tourner le dos au cinéma afin de repartir en tournée? "Noooon! L’année dernière, j’ai fait deux films, ceux de Banderas et de Domingue. Et puisque durant les tournages on attend onze heures entre les prises pour tourner une minute, ca permet d’écrire, de préparer…", répond-elle, débonnaire: "Mais je vais t’avouer: quand on travaille avec quarante professionnels sur un plateau, les journées sont assez chiantes, alors que chanter pour les gens, ça me rend folle toute la semaine. J’en prends plein la gueule!"

ooo

Victoria Abril et les attentats de Madrid

Militante pacifiste au coeur franchement à gauche née à Malaga, Victoria Abril se souvient des attentats de Madrid et des 48 heures qui ont ensuite expulsé un gouvernement méprisant art et culture. "Tu ne peux pas savoir! La droite, ça n’a jamais été très culturel, mais sous Aznar, ils supprimaient les subventions aux films faits par des acteurs et metteurs en scène qui contestaient la guerre en Irak! J’avais trop honte d’être espagnole avec ce type à moustache comme président…12 heures après les attentats, le gouvernement accusait encore l’ETA, alors que sur les télévisions internationales, on disait déjà que c’était signé Al Qaïda. C’était 24 heures avant les élections, et rien ne se passait. Et puis, il y a eu des messages de mobilisation expédiés par SMS sur les portables. Je me suis jetée dans la rue. On hurlait: "Asassino! Asassino!" J’étais fière de ces gens qui avaient emmené les blessés sanguinolents à l’hôpital dans leurs voitures pendant que les ambulances traînaient. La politique? Non! Le peuple? Si!"

Victoria Abril
Putcheros do Brasil
Remstar/Sony/Bmg