Café Campus : Moitié bière, moitié champagne
Musique

Café Campus : Moitié bière, moitié champagne

Du 8 au 17 février, le Café Campus célèbre 40 ans de partys mémorables, de soirées bien arrosées, de spectacles emballants… Et pourtant, pas l’ombre d’une ride ni le début d’un p’tit bide. Histoire d’un bar ami de la culture.

Dans la grande salle du Café Campus, Fred Fortin, Xavier Caféïne et Marco Calliari, nos trois cover boys, se font barbouiller le visage de gâteau sur une scène qu’ils ont tous déjà occupée à maintes reprises. Le Café Campus célèbre ses 40 ans, un âge vénérable, et pour l’occasion, durant 10 jours, Malajube, Philippe B, Lucien Francoeur, Raôul Duguay, Anodajay, Plaster, Les Breastfeeders, Marjo, les Planet Smashers et autres (www.cafecampus.com pour la liste exhaustive) brûleront les planches de cette institution, qui fut rien de moins que le témoin privilégié des révolutions sociales, politiques et culturelles des différentes époques traversées. Rencontre avec un pilier de l’établissement, Robert Pagé.

UN PEU D’HISTOIRE

Avant de se relocaliser rue Prince-Arthur en 1993, c’est à l’angle de l’avenue Decelles et du chemin Queen-Mary, tout près de l’Université de Montréal (UdeM), que le Café Campus a vu le jour le 17 février 1967. C’était l’année de l’Expo, et une décennie charnière pour le Québec. "Au cours des années 60, une démarche de contrôle et d’autonomie de la part des étudiants de l’UdeM s’est implantée, se souvient Robert Pagé qui étudiait alors en droit. Ça s’est fait graduellement. L’Association des étudiants a commencé par devenir propriétaire des machines distributrices, puis des magasins scolaires, et ensuite d’une Caisse populaire."

À cette époque, les partys universitaires se faisaient à l’université, sous supervision, "un peu comme si tu faisais ça dans la maison de tes parents. Il y avait toujours quelqu’un qui t’avait à l’oeil". Autre source de frustration, grand classique de la vie étudiante: la bouffe de la cafétéria. En 1966, les étudiants décident de boycotter la dizaine de cafétérias du campus. "Chaque midi, un autobus les emmenait à l’endroit où le Café Campus s’est développé par la suite. Certains d’entre eux ont trouvé l’emplacement propice et décidé d’y ouvrir un local indépendant de l’université." C’est dans cet esprit que le Café Campus, restaurant le jour et discothèque le soir (l’une des premières en milieu francophone à Montréal), est né.

"C’était pas encore les années folles. Quand on a ouvert en 67, on a créé une atmosphère super straight dans la place, histoire de décrocher un permis de la Régie des alcools. Pas question d’entrer là en jeans." Puis le grand mouvement de contestation éclate; c’est Mai 68 en France et la Révolution tranquille au Québec. "Les bébittes à poil, les hippies et l’amour libre ont commencé à apparaître. Vers la fin des années 60, une transformation s’est aussi opérée à l’intérieur du Café. C’était une grande période d’affirmation du milieu étudiant et c’est là qu’est arrivé le rock’n’roll avec des groupes comme Offenbach, Maneige, avec Diane Dufresne, Charlebois, Beau Dommage, Plume, Fiori, qui ont tous joué au Café Campus. D’ailleurs, tous les artistes émergents voulaient y passer, c’était devenu un petit moteur culturel unique en son genre. Et c’est là qu’un modèle particulier s’est implanté: les gens pouvaient fumer du pot, il y avait une tolérance à cet égard. Ça se voulait un peu l’Amsterdam du Québec."

DEUXIÈME SOUFFLE

Le Café Campus acquiert alors sa vitesse de croisière et devient ce lieu incontournable où les artistes d’ici, de Jean-Pierre Ferland à Jean Leloup, sans oublier feu Les Colocs, viennent se faire les dents. "Encore aujourd’hui, c’est quelque chose de jouer au Café Campus, remarque Xavier Caféïne. C’est pas mal plus pro qu’un bar, la salle est d’une belle grandeur et le système de son, de qualité."

Au cours des années 70 et 80, Jacques Parizeau vient manger ses hot-dogs au Campus, Marie Chouinard y danse avec un stérilet noué au cou, Grandmaster Flash offre des performances enlevées, le guitariste des Doors Robbie Krieger y présente un show, la Ligue universitaire d’improvisation s’installe avec les Sylvie Moreau, Emmanuel Bilodeau et Didier Lucien qui en sont à leurs premières armes, Robert Bourassa s’y rend juste après avoir été élu pour caler une Laurentide avant d’aller prononcer son discours… Tout ça sans parler des employés du Café Campus, qui vont de Pierre-Marc Johnson à Marie Plourde, en passant par Pierre Paquet, l’éditeur du journal que vous tenez entre vos mains.

Pourtant, des plaintes réitérées de la part des résidents du quartier Côte-des-Neiges entraînent le déménagement du Café Campus dans l’ancien bar Chez Swan, alors en déroute. "Avec le temps, c’est un quartier qui était devenu plus résidentiel et les gens se plaignaient du bruit", précise Robert Pagé. Petite pause le temps de se virer de bord. Dans une salle plus grande (600 places pour la grande salle et 275 pour le Petit Campus) et mieux aménagée, l’équipe recommence à donner ses soirées folles, présente la Ligue d’improvisation musicale et divers concours qui font la part belle à la relève (Polliwog, Empire des futures stars, Omnium du rock).

L’ancienne clientèle est restée fidèle, et un nouveau réseau de fêtards issus des institutions d’enseignement environnantes (UQAM, Cégep du Vieux-Montréal, Universités Concordia et McGill) s’est ajouté. "C’est assez surprenant de voir des anglos descendre jusqu’ici lors de soirées thématiques où l’on entend beaucoup de musique francophone, s’étonne Marco Calliari, porte-parole des 40 ans du Café Campus. C’est une des rares places en ville où la barrière entre les deux langues tombe. Il faut dire que le Café, à mi-chemin entre Saint-Laurent et Saint-Denis, est bien situé pour ça." Xavier Caféïne: "Contrairement à tous les petits bars branchés du boulevard Saint-Laurent, le Café Campus n’a jamais mis de l’avant un style en particulier et c’est pour ça qu’il survit aussi bien aux années et aux modes."

Du 8 au 17 février
Au Café Campus
Un album-compilation vous sera remis à l’achat de billets
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UN MODÈLE D’AUTOGESTION

"Le Café Campus, c’est le seul endroit où j’ai une vraie relation avec le proprio et les bookers, raconte Xavier Caféïne. C’est pas comme dealer avec une équipe de prod anonyme… Et c’est une coopérative; ça rentre dans mon spectre d’idées." Nombreux sont les artistes qui apprécient l’approche chaleureuse, presque familiale, qui règne au Café. En plus d’avoir été nommé Coop de l’année 1998 par la Coopérative de développement régional de Montréal, le Café Campus fut sacré Coop de la décennie lors du Gala des prix du mérite coopératif en 2006. Au cours des années 70, les employés se sont dotés de l’un des premiers syndicats d’hôtellerie au Québec. Robert Pagé a commencé par y travailler comme barman, portier, serveur, avant de finir par coordonner les travaux de rénovation. "Ici, les postes sont générés de l’intérieur. On forme les gens à partir des aptitudes qu’ils manifestent en assumant les quelques inconvénients le temps que dure leur formation." (M.H.P.)

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Souvenirs, souvenirs…

FRED FORTIN

"Le premier spectacle que j’ai fait ici, c’était pendant l’Empire des Futures Stars, dans les années 90, en même temps que Doc et les Chirurgiens. Un des spectacles qui m’ont marqué, au Café Campus, c’est celui des Breeders, il y a deux ou trois ans. J’étais à l’avant dans la salle, avec le gros spot pis la cigarette, et ça sonnait tellement! Je ne fais pas de show pendant ce temps-ci, d’habitude. Mais là, j’en ai monté un spécialement pour les 40 ans du Café Campus, un trio un peu improvisé, assez rock, avec Olivier Langevin et Alain Berger." Le 11 février au Petit Campus.

MARCO CALLIARI

"J’ai passé 17 ans avec le groupe de métal Anonymus, et on a souvent joué au Café Campus. J’ai participé à bien des concours qui avaient lieu ici dont le Polliwog… J’en ai gagné, j’en ai perdu! De plus, je produis des spectacles dans le cadre du Rital Fest, un événement que j’organise pour faire connaître les nouveaux artistes d’Italie et de la relève italo-québécoise. Et puis je dois dire que je suis sorti maintes et maintes fois au Café, lors des soirées rétro du mardi et des veillées francophones du dimanche." Marco Calliari anime la soirée Gala 40 ans le 8 février au Café Campus, en plus d’être le porte-parole des festivités.

XAVIER CAFÉÏNE

"Le Café Campus, c’est l’endroit où j’ai joué le plus souvent à Montréal. J’y ai lancé tous mes albums. C’est aussi la seule scène sur laquelle je me suis mis à poil pendant un show. On faisait une reprise de la chanson Is It My Body d’Alice Cooper. Cet hiver-là, j’avais pris 25 livres pendant le temps des fêtes. Je me disais qu’il était temps de montrer à mon public ce nouveau corps qui ne m’appartenait pas encore, celui qui allait annoncer ma trentaine." En spectacle le 16 février avec Malajube au Café Campus.

LUCIEN FRANCOEUR

"Je me souviens de ce premier show au Café Campus originel. C’était avec Aut’Chose et dans la loge, après la prestation, Plamondon vint avec Dufresne et me confia m’avoir emprunté une rime de chanson Elvis/French-Kiss qui devint dans la voix de la Chasseresse: "j’ai eu mon premier french-kiss en écoutant une chanson d’Elvis." Alors je lui ai rétorqué, une bière à la main, un joint dans l’autre, de se servir à volonté, la source étant intarissable du côté des poètes, et puis on connait la suite." Lucien Francoeur participe à la soirée Gala 40 ans le 8 février.

MONONC’ SERGE

"J’essayais d’entrer au Café Campus quand j’avais 16 ou 17 ans, et alors que mes amies pas plus majeures que moi étaient admises sans difficulté, je me faisais revirer de bord par le portier Claude Larivée, devenu depuis producteur de disques et de spectacles. Il allait d’ailleurs me revirer de bord encore une fois à mes 26 ou 27 ans, quand je cherchais à signer mon premier contrat de disque." Mononc’ Serge participe à la soirée Gala 40 ans le 8 février.

MATT COLLYER

"La plus forte empreinte laissée dans ma mémoire par le Café Campus est probablement, en fait sûrement, un lendemain de veille infernal marqué par un mal de tête insupportable. Mais pour tout vous dire, je ne me souviens plus très bien de ce qui était arrivé. Par contre, je me rappelle du meilleur concert donné par les Planet Smashers au Campus. C’était lors du lancement de l’album Unstoppable avec les Slackers et les Peacocks en mai 2005. L’été cognait à nos portes, la salle était pleine et l’ambiance, survoltée." Les Planet Smashers en concert le 10 février au Café Campus.

MICHEL SABOURIN

"Un souvenir? Comment choisir l’un plus que l’autre parmi les mille qui me viennent en mémoire?

C’est Robert Charlebois en 67, encore chansonnier, les cheveux courts, seul avec sa guitare, son tabouret et son sourire timide…

C’est la performance de Pierre Flynn avec OCTOBRE au début des années 70, et la découverte qu’il se fait du bon rock progressif au Québec…

C’est le regretté John Lee Hooker dont les musiciens n’avaient jamais pu atteindre Montréal à cause d’une tempête et qui livre tout de même une performance solo inoubliable sur une guitare empruntée…

C’est le grand Charles Mingus que j’amène au Café en auto quelques minutes avant le début de son concert et qui me fait arrêter au sommet du mont Royal pour contempler la ville au coucher de soleil…

C’est le concert de Lenny White avec mon idole Terry Bozzio à la batterie que je peux admirer des coulisses, pratiquement la tête dans les cymbales…

Le Café Campus, c’est, plus que tout, le souvenir impérissable d’une période où nous n’avions aucune idée qu’il y aurait un jour des iPod, une époque où la bonne musique était une boisson rare et exquise que les groupies que nous étions dégustions goulûment jusqu’à la lie…" Michel Sabourin fut programmateur et organisateur de spectacles au Café Campus pendant près d’une décennie. (Olivier Robillard Laveaux)