Angèle Dubeau : Le son de l'ange
Musique

Angèle Dubeau : Le son de l’ange

Angèle Dubeau sillonne le Québec et le monde depuis 30 ans, que ce soit en solo ou accompagnée par un piano, une guitare ou un ensemble (depuis 10 ans, le sien: La Pietà). Plus de 300 000 disques vendus depuis le départ. Le moment est venu de regarder en arrière, de dire "ouf!", et de faire un party!

Trente ans, ça nous ramène à 1977: l’année de l’acquisition de celui qu’elle nomme familièrement Arthur. "En 1977, explique Angèle Dubeau, ma famille a fait l’acquisition du Stradivarius Des Rosiers (1733), que possédait Arthur Leblanc. J’avais 15 ans et je terminais mon conservatoire. J’ai commencé à donner des concerts à l’âge de cinq ans et j’avais déjà, à 15 ans, joué solo avec l’OSM, mais toujours dans le contexte de "la gagnante de ceci ou de cela". Si je dis que ça fait 30 ans aujourd’hui, c’est que c’est à ce moment-là que j’ai eu un agent, un dossier de presse, etc. Lorsque je donnais un récital, c’était mon nom qui était sur le billet, alors c’est là que ça a vraiment commencé." Et tout porte à croire que c’est loin d’être fini!

LE VIOLON VOYAGEUR

En revenant en arrière, on trouve la source de deux traits prédominants dans la carrière d’Angèle Dubeau: le goût du mélange des genres et celui… du voyage. En effet, après avoir terminé son conservatoire en 1977, elle ira étudier à la prestigieuse Juilliard School of Music, puis, de 1981 à 1984, elle ira en Roumanie, auprès de Stefan Gheorghiu. "J’étudiais à New York avec Dorothy Delay, qui avait bien une centaine d’élèves, mais j’étais l’une des rares qui pouvaient la voir une fois par semaine. Pendant l’été, je suis allée aux cours du Domaine Forget, et Stefan Gheorghiu y était venu comme juge pour le concours. Ça a été comme un coup de foudre (musical, on s’entend!). J’ai préféré son approche, alors je suis allée étudier avec lui, en Roumanie… en plein régime Ceausescu! Pénurie de nourriture, de chauffage, un étudiant sur trois qui travaillait pour la Securitate… J’ai connu! Finalement, il n’y avait rien d’autre à faire que de jouer du violon! J’y ai rencontré des musiciens tziganes, et c’est là que j’ai appris que l’on pouvait faire rire ou pleurer un violon. La dictature les empêchait de s’exprimer par la parole, mais ils s’exprimaient tellement dans leur musique! Ça m’a fait comprendre que je pouvais aller encore beaucoup plus loin."

Elle a aussi retenu de sa rencontre avec les Tziganes un attachement certain à la musique populaire, et lorsque la violoniste classique a eu l’idée d’en incorporer une touche dans ses disques, l’affaire a fait du bruit. "Je n’ai jamais joué la musique de David Bowie ou celle des Rolling Stones pour "faire du bruit", se défend-elle. Ça en a fait, néanmoins, parce que j’ai été la première à faire ce genre de chose. Mais si on parle du disque Let’s Dance (1999), on y trouve des danses de Bartók, Respighi, Chostakovitch, etc., et à la toute fin, une courte version de Let’s Dance de Bowie que nous avons pratiquement improvisée. Ça a fait jaser pas mal, en effet. Même chose lorsque j’ai enregistré un arrangement d’Anthony Rozankovic de Sympathy for the Devil, des Rolling Stones, pour un disque où il y avait aussi du Paganini, du Saint-Saëns, etc. J’ai même "osé" faire Le Reel du diable Mais le thème/titre du disque était Violons d’enfer (2000)… Maintenant, c’est une chose courante de voir des mélanges de genres comme ceux-là. J’ai aussi été l’une des premières à me préoccuper de l’éclairage durant les concerts, à avoir une certaine mise en scène, etc. Je m’étonnais du grabuge que ça pouvait soulever, mais aujourd’hui, ça me fait sourire. Sur le plus récent disque, il y a du Piazzolla ou du Dave Brubeck, et ça n’a rien de facile, tout en restant accessible. Mais j’ai quand même ajouté un petit clin d’oeil sur celui-là aussi." En effet, une "piste secrète" permet d’entendre la violoniste se lancer dans un reel traditionnel tout à fait enlevant!

Quant au goût du voyage, un coup d’oeil à son agenda suffit à le confirmer: "En 2005, nous avons passé cinq semaines au Japon, puis il y a eu la Chine… Nous retournons en Asie l’année prochaine, et en Amérique du Sud, puis nous ferons une tournée pancanadienne pour les 10 ans de La Pietà. Depuis octobre 2006, j’ai joué dans 12 États américains… C’est vraiment exponentiel de ce côté-là depuis quatre ou cinq ans. J’ai l’impression d’être aussi bien connue à San Francisco qu’ici! Le DVD Violons d’enfer (Infernal Violins) a été diffusé plus de 200 fois sur PBS, et puis nous avons eu quelques captations radiophoniques, alors ça donne de la visibilité! En 2008, j’ai déjà 85 confirmations de concerts, auxquels s’ajouteront des récitals en solo."

SEULE ET AVEC D’AUTRES

Le disque Solo (Analekta) qu’elle lançait tout récemment souligne de façon très personnelle les 30 ans de carrière de la violoniste. "C’est aussi un hommage au violon, précise-t-elle, qui commence par une oeuvre de Locatelli composée en 1733, l’année de fabrication de mon violon. En prenant la décision de le faire en solo, sans artifice, j’ai fait un disque qui me ressemble beaucoup. Il est inspiré de mes 30 ans d’expérience comme musicienne, mais aussi de mon vécu de femme de 44 ans; c’est tout ça qui s’entend."

On aurait pu s’attendre à un disque rétrospective ou à un recueil regroupant différents invités, mais un disque solo? "Eh bien, ce sont MES 30 ans! J’ai eu beaucoup d’idées pour ce disque, mais j’ai d’abord eu envie de me payer la traite et de faire quelque chose qui soit bien à moi. Je pense que j’en avais besoin, et j’ai d’ailleurs eu un plaisir fou à le faire; je m’entends très bien avec moi-même! Il y avait longtemps que je n’avais pas fait quelque chose comme ça, en pensant d’abord à moi, et si je ne peux pas le faire maintenant, après 30 ans, quand le pourrai-je?"

Cependant, le 2 mars à Wilfrid-Pelletier, ce sera autre chose! "Je fêterai avec des gens qui m’ont marquée. Il fallait faire un clin d’oeil à mes années d’études et c’est pourquoi j’ai invité le violoncelliste Yuli Turovsky, qui a été mon professeur de musique de chambre. Et puis il y aura Anton Kuerti, un pianiste que je respecte énormément, avec qui j’ai fait des concerts, des tournées et des enregistrements, alors il devait être là. Puis il y a celui qui m’a initiée au jazz. Je n’en ai pas fait si souvent, mais le premier qui m’a dit "You got it, baby!", c’est Oliver Jones, alors il viendra avec son trio et nous jouerons une pièce qu’il a écrite pour moi: The Angel and Mr. Jones. Enfin, il y aura évidemment La Pietà, d’autant plus qu’il y a 10 ans que j’ai fondé l’ensemble. J’ai passé une commande à quatre compositeurs québécois: Simon Leclerc, José Evangelista, Linda Bouchard et Serge Arcuri; ce sera Les Quatre Saisons de La Pietà. Il s’agit de quatre compositeurs très différents, parce que je voulais, pour ce coup de chapeau à Vivaldi, quatre saisons bien différentes, afin de refléter cette diversité, cette richesse qui fait le succès de l’ensemble." Et le sien!

Le 2 mars
À la Salle Wilfrid-Pelletier
Dans le cadre de Montréal en lumière
www.montrealenlumiere.com

C.V.

En 1977, à 15 ans, Angèle Dubeau était la plus jeune élève du réseau des Conservatoires de musique du Québec à remporter un premier prix de violon.
En 1986, la SRC retransmet à travers le Canada sa création du Concerto pour violon de François Dompierre avec l’Orchestre symphonique de Vancouver, à l’Expo de Vancouver.
En 1987, la Communauté des radios publiques de langue française la nomme "soliste de l’année".
De 1994 à 1997, elle conçoit et anime l’émission de télévision Faites vos gammes, diffusée sur les ondes de Radio-Canada.
Depuis 1995, elle dirige la Fête de la musique à Tremblant, un festival éclectique et très couru.
En 1997, elle fonde l’ensemble La Pietà, formé de 12 musiciennes (cordes et piano).
Sa discographie compte plus d’une vingtaine de titres.