Arcade Fire : Le lendemain des funérailles
Arcade Fire lance Neon Bible, rien de moins que l’un des albums les plus attendus en 2007. Rarissime entrevue en franglais avec Win Butler et Régine Chassagne.
Obtenir une entrevue avec Arcade Fire est en voie de devenir aussi rare que de voir la neige tomber pour Noël. Tout ce que la planète compte de critiques rock est aux trousses de la formation montréalaise, faisant ses choux gras du moindre battement de cils de ses membres, qui ne se prêtent pas volontiers à l’exercice. Mais voilà que la porte d’un café du Mile-End – quartier où tout a commencé pour Arcade Fire – s’entrouvre sur une bourrasque froide d’hiver… et sur le couple Butler–Chassagne, qui entre à pas de loup.
BIBLE HÉRÉTIQUE
Une fois débarrassés des lourds manteaux sombres, après qu’ils eurent commandé des cafés et des potages, la discussion s’engage sur les origines du nouvel opus. Si Funeral faisait dresser les cheveux sur la tête, rendait fébrile et euphorique, s’attrapait comme une fièvre, Neon Bible, lui, prend au ventre. La tension et l’urgence, ici, ne se ressentent plus dans la voix de Win mais plutôt dans les arrangements de cordes. "Il est d’une intensité différente, confirme Win Butler aussi calme et posé en cet après-midi de janvier qu’il est frénétique sur scène. Les chansons ont dicté l’énergie. Je chante dans un registre plus bas et près de ma voix naturelle."
Il faut dire que Funeral avait été conçu dans un état d’esprit particulier. Parallèlement à l’histoire d’amour de Win et Régine, il y avait tous ces décès dans l’entourage des membres du groupe, concentrés en une année sans lumière. Mort et amour fondus ensemble: de quoi rendre fou.
Neon Bible, lui, est né après une année passée sous les flashs et les spots brûlants des salles de spectacles du monde entier. "C’est au milieu de la tournée pour Funeral, quand on est arrivé en Europe, qu’on a pris conscience de cet engouement, confie Win. C’était une extension de ce qui s’était passé en Amérique. Ça se déroulait à un même niveau et je sais que ce n’est pas nécessairement comme ça pour les groupes en temps normal. Partout, les gens avaient entendu parler de nous! D’ailleurs, c’est étrange de voir comment on s’y habitue vite." Régine: "Soir après soir, les shows étaient complets, on nous apprenait que les billets s’étaient vendus en 5 minutes et qu’il allait falloir jouer dans une salle plus grande. Alors on riait, on riait!"
Rappelons que trois des chansons de Neon Bible ont été larguées sur le Web il y a quelques mois. D’abord Intervention, un hymne qui vous traverse comme la foudre en déployant la puissance austère d’un orgue fabuleux, et qui est à ce nouvel album ce que Wake Up était au précédent. Puis Black Wave/Bad Vibrations, lancé par erreur par un employé de l’étiquette Merge, d’un simple clic de souris, morceau déstabilisant sur lequel on entend d’abord la voix cristalline de Régine, puis celle d’un Win ténébreux après une coupure marquée. Et enfin, Black Mirror, l’un des moments entraînants du disque malgré ses bruits anxiogènes et ses grésillements aux origines obscures ("Ça c’est Will, le petit frère de Win, qui joue des notes très graves avec les pédales d’un synthé analogique", précise Régine).
Difficile à se figurer, l’idée d’un miroir noir réfère à la fausse représentation de soi que nous renvoie la télé-réalité. "La culture populaire de l’image essaie de produire des émissions dans lesquelles les gens vont pouvoir s’identifier, analyse Win. Les concepteurs se disent que le public souhaite qu’on lui renvoie sa propre image. C’est le principe même de la télé-réalité: de "vraies" personnes qui sont supposées être toi. En fait, c’est l’opposé de ta propre réflexion, l’absence de toi-même."
"C’est avec Black Mirror et My Body Is a Cage, première et dernière chanson, qu’on a compris qu’on tenait les fondations d’un prochain album, poursuit Régine. Neon Bible est venue plus tard. Ce qu’on avait d’abord pris pour une p’tite toune de rien a finalement donné son titre au disque." Titre inspiré par ces montages au néon de bibles et de symboles religieux que l’on aperçoit parfois encore dans les petits villages du Québec, et par le titre d’un roman de l’écrivain américain John Kennedy Toole. "J’avais lu un de ses bouquins, puis de fil en aiguille, j’ai appris qu’il avait écrit Neon Bible à 16 ans et j’ai trouvé ça inspirant, enchaîne Win. Et ça nous est apparu naturel de nommer ainsi l’album en raison du côté à la fois rétro et futuriste qu’évoque cette image."
La rencontre d’instruments modernes et plus traditionnels est d’ailleurs une idée qui revient au cours de l’entretien. Il fallait voir Régine et sa vielle à roue ("J’en ai vu une dans une exposition en France; je n’en dormais plus tellement j’en voulais une alors je me suis fait ce cadeau au retour de notre tournée!") puis Win et son dobro enflammer les planches de la Fédération ukrainienne au début février, l’air de deux "folkeux" tout droit sortis d’un siècle révolu. "Ça m’a toujours intéressé, les instruments traditionnels aux sonorités futuristes. J’ai ce dobro des années 20, avec ses petites caisses de résonance en métal, qui a l’air rapporté par une navette spatiale, ou sorti d’un musée d’Art déco bizarre. Et Régine a une mandoline qui sonne tellement fort qu’elle n’a même pas besoin d’être amplifiée! On voulait des instruments comme ça, qui pouvaient émettre des petits buzz étranges et capter un feeling à la fois ancien et moderne. Et c’est surprenant à quel point ces instruments cohabitent bien."
LE SACRÉ DÉTOURNÉ
Alors que Funeral avait été enregistré à l’Hotel2tango à Montréal et dans l’appart de Win et Régine en plein Mile-End, pour Neon Bible, soudain, le monde s’offrait aux Montréalais. Et les réalisateurs (dont Bob Johnson, qui a travaillé avec Johnny Cash, notamment) aussi ont cogné à leur porte, mais le groupe a décidé, encore une fois, de manier seul le gouvernail. "On s’est beaucoup déplacé dans l’espace pour cet album, avance Win. On a enregistré à New York, au Québec, à Budapest avec un orchestre de 60 personnes (Black Mirror, Keep the Car Running, No Cars Go) et on a terminé le mixage à Londres. À un moment donné, je me sentais comme si on faisait un film et qu’on se déplaçait pour tourner les scènes."
Arcade Fire a aussi enregistré dans des églises, Saint-Jean-Baptiste à Montréal, pour l’orgue, et la sienne, à Farnham, transformée en studio personnel.
Quant à ce fameux orgue, Win ne tarit pas d’éloges à son sujet: "C’est Richard (Reed Parry) qui l’a d’abord entendu lors d’un show. Il a quasiment dégueulé tellement ça l’a viré à l’envers! On en a testé plusieurs, mais celui-là sonne tellement, c’est presque une expérience physique." "Il est à la fois agressif et extrêmement raffiné", complète l’épouse. "Quand j’ai entendu Régine en jouer, ça m’a tout de suite semblé familier et ce fut très clair, c’était le son que nous recherchions."
Il est assez intéressant de voir comment le groupe jongle avec des symboles religieux surcodés, les détourne de leur sens premier sans nécessairement chercher à les bafouer. "J’ai grandi dans le Sud des États-Unis, au Texas, et là-bas la religion a encore un impact très marqué sur la culture, raconte l’ancien étudiant en théologie. Ici, au Québec, je trouve le lien avec la religion catholique assez particulier. Je suis même surpris que le protestantisme n’ait pas recruté plus de croyants que ça, étant donné que les gens connaissent déjà la Bible, même si c’est de façon souvent superficielle. Bien que beaucoup de Québécois n’aient pas mis les pieds à l’église depuis 15 ans, ils continuent pourtant de se percevoir comme catholiques, il y a un attachement malgré tout, c’est demeuré dans l’inconscient collectif."
Fidèles, à vos bancs d’église. Et ouvrez grand vos oreilles et votre coeur pour absorber la grand-messe païenne d’Arcade Fire.
Arcade Fire
Neon Bible
(Merge / FAB)
En magasin le 6 mars
ARCADE FIRE, LA HYPE ET MYSPACE
La rumeur veut qu’Arcade Fire ait lancé 100 chansons sous d’autres noms de groupes via le réseau MySpace et que Neon Bible soit une collection des titres qui ont récolté le plus d’enthousiasme. "C’est faux, dément Win Butler qui a lui-même allumé le feu sur le site du groupe. En fait, c’est une joke." À l’heure où certains médias vont jusqu’à laisser entendre que la formation montréalaise construit elle-même cette hype qui l’entoure, très habilement sous des airs de fausse naïveté, des précisions s’imposent. "Quand tu passes tout ton temps à travailler comme un déchaîné sur un disque, vient un moment où t’as le goût de déconner. Mon grand rêve quand j’étais jeune, c’était d’écrire des blagues pour le Saturday Night Live. Alors à tous ceux qui nous accusent d’opportunisme, je réponds que c’est eux qui ont créé la hype. Pas nous. Faudrait pas tout confondre."