Daniel Boucher : Relations publiques
Musique

Daniel Boucher : Relations publiques

Retour en force de Daniel Boucher sur les rayons. Rockeur ou chansonnier, vent de face ou vent de dos, l’homme affiche toujours cette inaltérable fierté qui, sur scène, multiplie les moments de grâce.

Sous un ciel de charbon, vers les 23 heures le 2 septembre 2006, Daniel Boucher s’offre le dernier bain de foule qui va clore la longue tournée de La Patente.

Beau et svelte dans son jean et t-shirt immaculé, jetant son regard anguleux dans le vide au-delà des spectateurs afin de résister au débordement de larmes que l’adulation, la fatigue et les souvenirs déclenchent, il va finalement partir au nord de cet amphithéâtre à ciel ouvert en serrant lentement une douzaine de mains tout en répétant à chacun: "Merci toé… merci toé… merci toé… merci toé…" "J’étais ému simplement parce que le monde était là! C’est un paradoxe de se sentir si aimé et en même temps de douter des motifs de cet amour… Moi, ensuite, dans la loge, tout seul, tout trempé… c’est difficile", dira-t-il.

Or, gavé durant deux heures d’un rock flexible dominé par des guitares électriques éclatantes, personne dans ce parterre de monde ordinaire ne semble mal à l’aise devant ce paroxysme d’impudeur.

Peut-être est-ce parce que ce qui a été immortalisé devant ces jolies femmes qui dansent en tenant des petits blondinets échevelés dans leurs bras, devant ce lot de quadragénaires étonnés et ces rangs de babas cool ébahis, suinte l’amour, le respect et surtout l’espoir. Au terme de ces deux heures empruntées à un continent inquiet, Boucher laisse derrière lui, malgré son langage introspectif et la versification complexe du Poète des temps gris et du Vent soufflait mes pellicules, un public réconforté par une poignée de chansons qui réaffirment essentiellement notre dignité humaine.

Ce p’tit homme seul qui va son chemin / La tête baissée, mais fier / Fier d’aller face au vent mauvais / Fier d’aimer même en enfer /

Fier de lui / Fier de toé aussi / Bonhomme de rue, bonhomme de rien / Bonhomme qui voit clair / Barbouilleur de parchemin / Chercheur de lumière.

FIERS

"Ça vient de lui… un homme extrêmement fair. Un Québécois authentique en tout. C’était comme ça chez nous. L’intégrité ou rien!"

Gaétan Boucher: syndicaliste et mécanicien de chantier, Montréalais comme pas un; Jacqueline Granger, Saint-Gabriel-de-Brandon, mère au foyer… Premier issu, en 71, de cette famille de quatre qui ne craint ni de sacrer ni de s’approprier le pittoresque des idiomes de la rue, Daniel attribue son orgueilleuse appartenance au Québec solidaire à l’influence de son père: "…alors je ne me suis jamais posé la question. Pour moi, c’est par cette langue-là qu’il faut que ça passe. Et elle chante bien mieux que l’anglais ou ce pseudo-français international qui n’existe même pas… Je ne suis pas nationaliste, je suis séparatiste!"

Fierté quotidienne acquise à courir sous des pluies de traverse. Résistant aux humiliations de longues années de paumé-B.S. précédant Dix mille matins, à l’aube de la gloire offerte par sa Gang de malades, Boucher a ensuite souhaité, très vite, à 32 ans, des indépendances qui coûtent cher.

"Il ventait en crisse dans ma vie! J’étais dans un trip de pureté artistique totale… Un deuxième disque, autoproduit sans expérience préalable parce que viscéralement je voulais prendre mes affaires en main, parce que j’accumulais les frustrations. Un premier bébé né la même semaine… La séparation quatre mois plus tard. Et moi qui construis une maison en Gaspésie pendant ce temps-là. Si j’avais eu à faire une dépression, j’en aurais fait une crisse de grosse! Mais je ne me plains pas. J’ai essayé!"

Tassé sous son p’tit bonnet d’hiver derrière une table de resto de la taille d’un jeu de société, Boucher dessine sur la nappe italienne en damier les règles du jeu qui lui ont permis de préserver son engagement d’artiste: "Plaire, qu’est-ce que c’est?… Plaire, c’est dégager devant les autres quelque chose avec lequel tu es toi-même en paix… Choisir ce que tu veux donner et ensuite le faire au fond. Au fond! C’est être là, chaque fois, totalement. Et dire au monde: "Crisse que je suis content d’être là et comme je suis content que vous y soyez aussi avec moi." Que tu sois avec un band ou seul sur scène. Les Québécois, faut que tu les aimes!"

PUBLIC

"Parfois je les brasse. Parfois ils me fâchent. Ça m’est arrivé de sortir du stage furieux. Dans le temps de Dix mille matins, une femme m’a pogné le cul… Je suis sorti de scène. J’ai pris mon temps… J’ai fait pipi… Je me suis lavé la face… Je me suis débouché une bière. Ça t’étonne? Tu ne touches pas le cul d’un chanteur. Même s’il se promène dans la foule! Si j’avais été une femme, j’aurais pu appeler les flics! Être un homme monoparental en 2007, c’est comme être une femme dans la police dans les années 60!" dit Boucher le plus sérieusement du monde.

L’anecdote ne vaut que par la réciproque de respect mutuel entre l’artiste et ses supporters: "Quand tu t’investis complètement dans des choses… quand écrire des chansons est la seule manière de te sortir de la merde, et que ça marche… ensuite, les choses vont plus vite que tu penses et ça te dépasse… Je suis sorti du cégep, en musique, franchement paresseux. Et puis un jour tu te mets à triper avec le monde, et là, tout change. Et ça, c’est sacré."

Or, ce Boucher-là, habité par son destin de haut-parleur, n’est à court ni d’audace, ni de moyens, ni d’amour. Le treize du trois zéro sept, il fera l’événement en lançant simultanément deux doubles CD-DVD. L’un comportant l’intégrale vidéo extraordinaire du dernier show de La Patente ainsi que de longs extraits CD; l’autre entièrement consacré au vol solo qu’il trimballe depuis plus d’un an à travers les salles de la province, jeté en pâture à ses admirateurs avec une guitare, une chaise, et une paire de couilles en béton: moqueries entendues sur l’Anglaise frigide, monologues hilarants, temps forts et temps doux. Dans ce contexte minimaliste, avec la précieuse aide de Michel Rivard à la mise en scène, peu de paramètres ont été laissés au hasard: "Ben oui, crisse, j’avais la chienne de "flyer" solo, mais pas tant que ça! C’est tout de même mes tounes! Et théoriquement, je suis supposé réussir à les jouer seul, telles qu’elles ont été conçues. Je l’ai fait longtemps. Rivard est assez rigoureux, hein… On m’a comparé à Charlebois, mais lui aussi je l’ai écouté longtemps, Brassens aussi… Maintenant, c’est un adon, on travaille ensemble et on a aussi le même timbre de voix…"

NATUREL

"Kossé tu veux que je te dise! Avoir un certain talent pour quelque chose dans la vie, c’est comme avoir les yeux bruns. C’est comme mesurer 5 pieds 8. C’est pas de ta faute. Moi, bizarrement, ça m’a pris 15 minutes, le 5 décembre 1991 au cégep d’Ahuntsic, pour comprendre que je me sentais à ma place sur un stage", lance Boucher, à court d’explications face à l’inexplicable flexibilité avec laquelle sur scène, lui-même, sa Gibson SJ "Zappa" et ses acolytes se sont jetés tête baissée dans les chansons de La Patente étirées en des boeufs remarquables dépassant souvent les 7-8 minutes. "On fait dix tounes, ça dure deux heures… Ça a été facile tout de suite. Ça fait 15 ans, et depuis, même si j’ai travaillé fort, en fait, ça a toujours été naturel. Mais le talent, c’est aussi une responsabilité, tient-il à préciser. Le pire que j’aurais pu faire, c’est de m’asseoir dessus…"

Au terme d’une conversation désordonnée de quatre heures, Boucher, parfois accusé de philosopher immodérément sur son métier, fera, au contraire, preuve d’une pudeur rigoureuse. Reste au moins un aveu saisi sur le vif: "C’est un peu étrange… Les premiers shows qu’on a donnés réunissaient des tripeux de chanson assez âgés. La crowd des Cowboys Fringants ne vient pas voir mes shows. Je crois que c’est un petit malentendu. Moi, je vais voir Air et Beck et je voudrais bien que ceux qui aiment ce genre de musique viennent aussi! Y’a quelque chose dans la vibe… Est-ce que c’est parce qu’on n’a pas le look? On est nous-mêmes… On ne changera pas. On se changera pas en bikers! Le message restera toujours essentiellement positif."

PETIT

Son équipe de hockey chérie aura beau faire du patin de fantaisie en fond de division, son option politique, pire que du sur-place, Boucher entame 2007, selon sa propre expression, "le vent dans le dos" avec déjà quatre supplémentaires de Chansonnier.

À la quarante-cinquième minute de La Patente live, Boucher cède sa guitare à un petit garçon ébahi qui gratte quelques accords incongrus en parfait ambidextre. À la cinquantième seconde des extraits vidéo de Chansonnier, un enfant, fugace, traverse la scène d’une répétition. Sur ce même DVD, un inédit: Petit Soleil, dédié à Émile, son fils de trois ans dont les absences passagères l’attristent et l’inquiètent, comme bien des parents vivant à distance.

Nous n’en parlerons guère. Mais à propos de cette petite lumière dont la force d’attraction surpasse visiblement gloire et succès, reste cette conviction, martelée de plus en plus fort afin de s’assurer que je l’entende et l’enregistre encore au bout d’une soirée vertigineuse: "J’adore mon fils. On s’aime… On s’aime… On s’aime."

Daniel Boucher
Chansonnier CD/DVD
Boucane Bleue / GSI Musique
Disponible le 13 mars

La Patente live CD/DVD
Boucane Bleue / GSI Musique
Disponible le 13 mars