Air : Symphonie de poche
Air signe son retour trois ans après Talkie Walkie avec un nouvel opus, Pocket Symphony. Rencontre à Paris avec le duo électro-pop versaillais mené par Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin.
Intituler un album "symphonie de poche", c’est une marque d’ironie et de lucidité?
J.B.D. "Nous trouvions amusante l’association de ces deux mots contrastés. Après l’album composé pour Charlotte Gainsbourg, on a essayé de créer des musiques plus instrumentales, assez arrangées, comme une symphonie, mais sans un orchestre pléthorique. L’album a une petite ambition symphonique, avec des mouvements, une intro, un corps, une fin. On alterne les atmosphères et les ambiances pour ne pas susciter l’ennui. Par moments, la musique doit être dense, à d’autres moments, elle doit être super légère ou traînante. On revendique notre côté musique ambient, musique d’atmosphère…"
N.G. "Et même musique d’ascenseur, mais de qualité."
J.B.D. "On essaie de créer une musique pour voyager, qui servirait d’interface à un certain état mental."
Dans Pocket Symphony, l’électronique se fait assez discrète…
N.G. "Pocket Symphony marque un retour à l’organique. Comme Moon Safari, notre premier album. Sur notre ordinateur, on a des logiciels conçus par des ingénieurs de l’Ircam. Tu peux filtrer des sons de manière hallucinante, avec des délires sonores incroyables. Mais on s’est finalement contenté d’utiliser nos instruments. Par contre, Nigel Godrich avait gavé son ordinateur de logiciels ultrasophistiqués. Mais c’est vrai que l’utilisation de l’électronique est discrète, c’est de l’ordre de la correction."
Vous avez de plus utilisé des instruments ancestraux japonais…
N.G. "Mélanger un ordinateur avec un instrument ancestral, ça nous botte. On a notamment utilisé le koto et le shamishen. On les a fait fabriquer au Japon et une jeune femme, Shoko, une maîtresse de musique, m’a initié pendant sept mois à la technique de ces instruments assez complexes."
J.B.D. "Moi, le seul instrument japonais que j’utilise est un synthétiseur Korg (rires)."
Une des constantes dans votre carrière est d’abolir la hiérarchie des valeurs et des genres. Une démarche revendiquée?
N.G. "Totalement, et c’est assez marrant car nous passons souvent pour des papes du bon goût et de l’élégance. Des artisans d’une musique de luxe. Alors qu’on fait quand même des trucs assez limites, notamment cette esthétique à la Furyo de Pocket Symphony. En concert, à nos débuts, on n’hésitait pas à jouer des pièces des Beatles et à enchaîner avec le générique de l’émission animalière Trente millions d’amis. On adore mêler les harmonies de Debussy avec des réminiscences de bandes-son de films de série B italiens des années 70-80. On est très à l’aise avec ce genre de télescopages…"
Idem pour vos collaborations multiples, parfois élitistes, comme avec le chorégraphe français Angelin Prelocaj ou le romancier italien Alessandro Baricco.
N.G. "Pour nous, tout relève de l’exercice de style. On a récemment fait l’habillage musical de Pink TV, une chaîne gay du câble. C’est un genre à part. Comme composer la musique d’un journal télévisé, sans doute l’exercice le plus difficile pour un musicien. Il faut être percutant en 30 secondes."
Et les publicités?
N.G. "On nous sollicite beaucoup mais nous sommes assez sélectifs. On en fait rarement. Du coup, les annonceurs vont aller voir un musicien de studio pour lui demander de composer une musique "à la Air". Résultat, le public pense que nous avons écrit les musiques de plein de pubs aux sonorités électro (rires). La publicité a fait beaucoup de mal à la musique électronique et à la musique en général. Dès qu’un genre musical est capté par la publicité, c’est la fin, le dernier maillon de la chaîne."
La quête du succès est-elle un moteur dans votre travail?
N.G. "Le plus important est de ne pas faire de compromis pour passer à la radio. Faire une musique la plus honnête possible. Toute la question est de savoir jusqu’où aller dans la compromission. C’était l’obsession de Kurt Cobain. Quand tu lis son journal intime, tu réalises à quel point il voulait devenir une star. Il envoyait des missives à ses musiciens pour leur dire: "Moi je veux être le numéro un, alors assurez, faites bien votre boulot." Il était vraiment tiraillé entre son désir d’être numéro un et son refus de la compromission."
Et vous, vous vous positionnez comment face à cette problématique?
J.B.D. "On ne va pas se tirer une balle."
N.G. "On a un potentiel pour faire une musique beaucoup plus commerciale. Mais on refuse."
Votre musique n’est pas non plus avant-gardiste. Elle est déjà assez commerciale.
N.G. "On pourrait faire encore plus commercial. On a juste décidé de faire une musique la plus honnête possible. Et si on parvient à créer un tube, tant mieux, mais notre dépendance à nous, on la trouve dans la recherche d’une qualité artistique et du sens donné à notre musique. Il s’agit d’une dépendance finalement plus saine. Cela nous permet de rester underground sur toute la surface du globe."
Air
Pocket Symphony
(Virgin / EMI)
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-Massive Attack
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-Burt Bacharach