Bernard Labadie : Au palais du Roy
Bernard Labadie réalise un rêve et profite de l’ouverture de la Maison de la musique pour positionner les Violons du Roy au centre de la vie culturelle de Québec. Une circonstance idéale pour faire une visite interactive avec le chef d’orchestre à l’apogée de sa carrière.
"Aaah! L’orgue est arrivé!" Bernard Labadie se précipite directement sur la scène pour jeter un oeil sur l’instrument de musique – impossible pour lui de cacher son enthousiasme et son excitation. "C’est l’orgue positif commandé pour la salle. Le même type d’orgue, sans être une réplique, qu’utilisait Haendel pour la composition de ses concertos. C’est formidable!" L’orgue est en effet bien en place et entre de bonnes mains, celles du facteur d’instruments Helmutt Wolff, qui s’applique aux dernières mises au point. "Tout est entièrement mécanique, m’explique Bernard Labadie. Il n’y a pas de contacts électriques pour les touches, ce qui permet beaucoup plus de nuances et de contrôle pour l’interprète." Voici le chef d’orchestre dans son élément, au centre du lieu culturel qui suscite beaucoup d’attention et d’intérêt depuis quelque temps. Les années ont passé et le chef des Violons du Roy savoure chaque instant de cette réalisation. Pour Bernard Labadie, le plus important maintenant, c’est que les gens l’adoptent sans réserve et redécouvrent la musique au sein d’une salle dont la vocation est bien définie.
AU-DELÀ DU SON, LE SILENCE
Au coeur de la salle Raoul-Jobin, dans la Maison de la musique, quand on est sur la scène, la chaleur des boiseries impressionne. Le cachet est rehaussé, si on garde en mémoire le décor très classique (à la limite du kitsch) de la salle d’antan. La plate-forme hachurée qui surplombe la scène se remarque aussi, un dispositif similaire à celui de la salle Françoys-Bernier du Domaine Forget, essentiel pour l’acoustique. "La structure est plus facile à manoeuvrer, indique Bernard Labadie. Ce plateau est motorisé, alors que celui de la salle Françoys-Bernier se déplace manuellement. Je ne crois pas que nous modifierons son angle très souvent. Nous avons effectué quelques essais au courant du dernier mois en compagnie de Jean-Marie Zeitouni. C’était pour les répétitions de La Nuit transfigurée. Je pouvais me permettre d’être dans la salle pour les derniers tests d’acoustique. Par exemple, nous avons fait quelques essais avec les rideaux, qui peuvent recouvrir les surfaces des murs pour couper la réverbération." Pourtant, ce qui confirme le succès technique de la salle pour Bernard Labadie, c’est le silence. "Elle est pourvue d’un silence que je qualifie d’oppressant. Écoute…" Un exercice qui semble anodin, mais très révélateur. Le silence est pénétrant, intrigant même, et contribue à l’âme de cette salle.
ÉLITISME
Plusieurs chiffres ont été mentionnés tout au long de la réalisation de ce projet, qui a pris de plus en plus l’apparence d’une saga. La confusion a régné lorsqu’on a commencé à comparer les augmentations de coûts par rapport au budget initial de 12 millions, prévu pour les rénovations de 1991, en vue de la conversion du Palais Montcalm en maison de théâtre. Au départ, le budget pour la Maison de la musique était plutôt de 17 millions. L’augmentation, qui porte la facture aux alentours de 23 millions, est donc de 5 à 6 millions.
Malgré tout, après une campagne municipale et un changement d’entrepreneur en prime (la poursuite contre Génie-Tech inc. s’est réglée à l’amiable), la polémique s’est mise de la partie (certains animateurs radio aussi), amenant le public à se questionner sur le bien-fondé d’une telle initiative destinée à un orchestre classique. Bernard Labadie en a-t-il été ébranlé? "Oh! Les vieilles chimères… Les retards ont peut-être contribué à les alimenter. J’ai dirigé dans plusieurs villes aux États-Unis. Que ce soit le Walt Disney Hall ou encore à Napa en Californie. Ce sont des projets qui dépassent les 125 millions! C’est une tout autre réalité. Ils embauchent des stars de l’architecture et les budgets sont illimités. Ces édifices sont conçus pour être des landmarks si on veut; des symboles visuels très tape-à-l’oeil. Il faut prendre en considération que nous devions travailler sur un édifice historique. C’est beaucoup plus compliqué. Deux options s’offraient à nous pour augmenter le volume de la salle, soit d’élever le plafond ou de creuser dans le sol. Mais, c’était surtout un besoin essentiel pour la ville de Québec. La Maison de la musique reste accessible, et je suis sûr que les gens seront éblouis."
EN MUSIQUE
Malgré ce tourbillon médiatique qui entoure l’ouverture imminente de la salle, Bernard Labadie garde la tête à la musique. Les Violons du Roy, en compagnie du choeur La Chapelle de Québec, reçoivent les sopranos Shannon Mercer et Tracy Smith Bessette, la mezzo-soprano Allyson McHardy, le ténor Frédéric Antoun et les barytons Joshua Hopkins et Étienne Dupuis. Au programme: l’oratorio Israël en Égypte de Friedrich Haendel. "Nous avons choisi de produire cet oratorio dans le but avoué de montrer les capacités de cette salle. C’est une oeuvre imposante, plus de 80 personnes sur scène, à grand déploiement. Nous allons montrer ce que cette salle a dans le ventre", dit-il avec un brin de fierté. On ose déjà penser à la prochaine saison et aux interprètes de stature internationale qui pourraient s’y présenter. Est-ce que les Vivica Genaux, Magdalena Kozena ou encore David Daniels seront en lice pour un retour au sein des Violons? Le chef cache à peine ses intentions. "Peut-être, peut-être, dit-il mi-sourire en coin. C’est un atout, c’est sûr! Constamment, en tournée, nous parlons de Québec. Maintenant, nous avons un argument supplémentaire." Déjà nous ne sommes pas en reste avec la venue de la mezzo-soprano Julia Migenes, une avant-première présentée le 17 mars.
L’objectif immédiat concerne maintenant l’orchestre lui-même. La salle Raoul-Jobin est considérée comme un instrument de musique à part entière, qui contribuera à rehausser encore d’un cran le son même de l’ensemble. "Déjà, nous remarquons une différence dans le son de l’orchestre, indique-t-il. Les premières répétitions dans la salle étaient pour le concert Haydn que nous avons donné au mois de février. Lors de la première, à l’église Saint-Dominique, le niveau d’interprétation était rehaussé. On le sentait. Travailler dans un tel contexte est plus exigeant pour nous. Mais c’est très flatteur en même temps. L’écoute des musiciens est différente."
Les 23 et 24 mars à 20h
À la Maison de la musique
Voir calendrier Classique