Sophie Milman : Les lauriers d’une réfugiée
À 23 ans, Sophie Milman tient déjà une carrière qui lui donne des airs de jazzwoman chevronnée. Issue d’un exode éprouvant, elle nous raconte comment elle a su tirer sa maturité de cette expérience et comment elle parvient à gérer une attention si soudaine.
À la première écoute, nul ne croirait que la voix de Sophie Milman est celle d’une aussi jeune chanteuse. Feutrée et romanesque, celle-ci s’accapare les diverses saveurs de jazz de son premier album avec la sensibilité d’une grande diva et l’aisance qui résulte généralement d’années de technique. Et pourtant, c’est en autodidacte qu’elle s’est taillé son chemin, tant à son avantage qu’à son désavantage. "J’ai la chance d’avoir une voix que les gens apprécient à la base, avoue-t-elle. Je lui insère l’émotion qui me vient, sans trop me poser de questions. Mais c’est en tournée que je me suis rendu compte que mon manque de technique me faisait souvent perdre la voix trop tôt." Il faut comprendre que le succès de Sophie Milman a presque précédé la chanteuse, quelques années après une arrivée difficile au Canada. Aperçu de son itinéraire pour le moins unique.
EXILÉE
D’origine russe, Sophie a développé son goût pour le jazz en écoutant les Peterson, Armstrong et Fitzgerald dans ses années préadolescentes passées en Israël. Alors qu’elle avait 15 ans, la famille Milman se reloge à Toronto, avec bien peu d’argent et une défaillance dans la langue de Shakespeare. "Mes parents en arrachaient et moi, je n’avais pas d’amis. Je ne pouvais pas me révolter contre mes parents et j’étais sans ressources. Je parlais à peine anglais. Alors je me suis abandonnée dans la musique, raconte-t-elle. J’allais à la bibliothèque pour emprunter des partitions de musique à répétition. C’était ma façon de m’évader, un hobby pour me distinguer des autres personnes." Recluse au départ, Sophie allait profiter de la nature cosmopolite de Toronto pour se dégourdir et s’adapter à son nouvel habitat. "Contrairement aux Américains, les Canadiens sont ouverts aux différences. On y apprécie les Russes, entre autres. Et Toronto possède cette scène musicale si riche, ainsi qu’un milieu intellectuel très stimulant. Où d’autre pouvais-je intéresser les gens avec ma musique trilingue?" À Montréal, possiblement? "En effet, le Québec a été très accueillant pour moi. C’est d’ailleurs dans cette province que ma carrière a été lancée, et j’y retourne constamment, à mon grand bonheur. On dirait que mes origines intriguent les gens davantage qu’ailleurs. J’imagine que c’est un peu ce que les gens aiment de mon histoire: c’est un success story; la petite immigrante qui arrive sans le sou et se monte une carrière internationale."
LA RÉUSSITE EN VOIE RAPIDE
C’est dans l’été, entre le secondaire et l’université, qu’elle fait la rencontre de Bill King – impresario, musicien et producteur réputé – alors qu’il tient une série de concerts jazz intitulée Real Divas. À tout hasard et sans faux espoirs, Sophie tente sa chance. Subjugué, King aura tôt fait d’ouvrir des portes pour la chanteuse, à commencer par celle du studio où elle enregistrera son premier album éponyme, avant même d’obtenir de l’expérience sur la route. "C’était d’abord pour le plaisir, raconte-t-elle. Je ne pensais pas sérieusement faire carrière, à ce moment." La pression était forte sur elle, qui s’avoue pourtant plutôt pessimiste de nature. "Ça peut paraître étrange, mais j’ai un manque chronique de confiance en moi. J’ai tendance à calculer tout, je planifie trop et je m’attends toujours au pire. Mais j’ai ce qu’on pourrait appeler une forte personnalité."
C’est sur ce trait de caractère que s’est bâtie la carrière de la jeune chanteuse, qui jouit non seulement d’un certain succès, mais aussi d’une indépendance plutôt rare dans le domaine, avec l’aide du Net. Outre des ventes respectables, son album éponyme s’est retrouvé au sommet des palmarès jazz de téléchargement payant aux États-Unis, au Canada, en France et même au Japon. "C’est bien pour les artistes émergents d’avoir cette possibilité. Et dans mon cas, le public qui s’intéresse à ma musique possède la mentalité plus traditionnelle en matière de consommation d’albums et détient suffisamment d’argent pour acheter de la musique, extrapole la chanteuse. Mais c’est très difficile pour moi de m’occuper de la partie business. Il y a des gens qui en font un peu à ma place, mais j’essaie de garder un contrôle sur tout. Je n’arrive pas à comprendre comment un artiste peut laisser ça entre les mains de quelqu’un d’autre. Après tout, au bout du compte, c’est toujours ton visage que tu vois sur les panneaux et dans les journaux."
Deux ans après la sortie de son album (un deuxième se prépare sans faire ombrage à ses études non terminées), la jazzwoman poursuit sa route, forte d’une expérience de scène grandissante et offrant davantage de nouvelles chansons, infusées d’une palette de styles de plus en plus grande mais toujours à saveur de jazz traditionnel mordant. De bon augure pour une carrière internationale à surveiller.
Le 21 mars à 20h
Au Théâtre Centennial
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