The Stooges : Retour vers le passé
Musique

The Stooges : Retour vers le passé

The Stooges, Genesis, The Police, The Pixies… La mode rock en ce début de 21e siècle est aux retours. Question d’argent, de nostalgie ou de véritables intentions créatrices? Iggy Pop éclaircit l’imprévisible réunion des Stooges.

Lorsque les Stooges se sont séparés en 1974, après un concert franchement bordélique où le chanteur Iggy Pop passa son temps à insulter la foule qui lui lançait monnaie, oeufs et cubes de glace en retour, personne n’aurait parié sur une éventuelle reformation de ce groupe de drogués au succès mitigé. On s’attendait davantage à trouver son charismatique leader dans le fond d’une ruelle, mort d’une surdose d’héroïne. Plus de 30 ans plus tard, les trois albums du quatuor de Detroit lancés entre 1969 et 1973 sont passés au rang de classiques, inspirant trois générations de rockeurs: celles des Sex Pistols, de Nirvana et des White Stripes. Iggy a aujourd’hui 60 ans, sept de moins que Mick Jagger. Toujours lucide, il ressuscite les Stooges en compagnie de deux membres originaux, les frères Ron (guitare) et Scott Asheton (batterie), et du bassiste des Minutemen Mike Watt. Afin de souligner le début d’une tournée mondiale et la parution du premier disque du groupe en 34 ans, The Weirdness (voir critique en page Disques), Voir s’est entretenu avec Iggy Pop.

C’est lorsque vous travailliez en studio avec les deux frères Asheton pour votre album solo, Skull Ring, qu’est née la rumeur d’une éventuelle reformation des Stooges. Comment s’est concrétisé votre retour au festival californien Coachella en avril 2003?

"Les organisateurs du festival ont d’abord contacté mon agent, mais je ne voulais rien savoir. Ils ont rappelé et rappelé, y allant toujours d’une meilleure offre. Je leur ai dit: "Foutez-moi la paix, je n’accepterai que si vous m’offrez tant." Ils ont dit: "O.K." J’étais pris pour le faire. Mais je ne te dirai pas combien d’argent ils ont allongé."

Que ressentiez-vous à jouer les vieilles pièces des Stooges 30 ans plus tard?

"Je n’ai pas vraiment d’émotions lorsque je monte sur scène. C’est comme si je tombais dans un monde parallèle. Un endroit qui n’a rien de très humain. Une sorte de transe. Je deviens comme Robocop, je m’assure que la job soit faite."

Aucune pression?

"Avant le concert surtout. En Californie, le public est froid. Étant entouré de vedettes, un Californien voit les célébrités comme des gens interchangeables. Je devais aussi faire abstraction de toutes ces vedettes merdiques comme les enfants d’Ozzy Osbourne et cette fucking Paris Hilton qui assistaient au concert."

Vous parlez des enfants Osbourne; un peu comme vous, Ozzy était considéré à l’époque comme une bête de scène détraquée. Vous a-t-on aussi approché pour être le sujet d’une émission de télé-réalité présentant votre vie comme un freak show?

"Des producteurs britanniques me l’ont proposé à deux reprises. On m’a aussi offert de jouer dans une télé-réalité où un groupe devait vivre et enregistrer un album en public, soit enfermé dans un cube de plastique transparent érigé en plein centre-ville de Londres. On voulait que je produise le disque en question. L’idée était amusante. Je leur ai dit oui, à la condition que le groupe soit formé de prisonniers. Mais lorsque les producteurs sont venus chez moi pour me présenter le concept final, tout avait changé. Ils me proposaient soudain de jouer dans un groupe avec Tommy Lee (l’émission Rock Star). Je leur ai dit de sortir de ma maison."

The Weirdness a été réalisé par Steve Albini, mais la rumeur voulait plutôt que Rick Rubin ou Jack White le réalise. Avez-vous eu de réels pourparlers avec eux?

"Rick Rubin m’a avoué vouloir réaliser l’album des Stooges, mais c’était finalement impossible car le disque devait alors sortir sous son étiquette (American Recordings), et je suis sous contrat avec Virgin. Jack m’a offert deux fois de réaliser l’album, mais nous ne voulions pas d’un réalisateur/musicien célèbre. Nous aurions dû partager l’attention médiatique avec lui, et notre ego est trop gros pour ça."

Étiez-vous content de voir les médias parler à nouveau de Detroit comme d’une ville rock avec l’explosion des White Stripes?

"Oh oui! Jack est un type amusant. Il a fait beaucoup pour la ville de Detroit."

Cette effervescence a-t-elle un lien avec votre retour?

"Non, j’ai reformé les Stooges parce que je me trouvais dans un cul-de-sac musical après mon dernier disque solo. L’inspiration ne me venait pas. Je me suis dit: "Pourquoi ne pas revenir avec les Stooges?""

Il y a énormément de groupes qui se reforment en ce moment: Genesis, The Pixies, The Police…

"On les bat tous. Nous étions là avant eux! Je gage que Sting s’est levé un matin, a fait sonner une petite cloche pour qu’un de ses serviteurs lui apporte son thé et, juste avant de faire son yoga, lui a demandé de regarder sur Internet comment se portait le retour des Stooges. C’est en voyant notre succès qu’il s’est dit: "Merde, si les Stooges peuvent le faire, The Police aussi." Même chose pour les Pixies, qui se sont reformés six mois après nous."

Quand les Sex Pistols ont effectué leur retour au cours des années 90, ils ont clairement annoncé qu’ils le faisaient pour l’argent. Est-ce la même chose pour tous ces groupes?

"Je ne peux pas répondre pour les autres. Mais pour moi, je peux te dire que je pourrais gagner beaucoup plus d’argent en faisant autre chose. Sauf que j’avais besoin de revenir en force musicalement, d’élever le niveau de qualité de mes compositions. Reformer les Stooges était la meilleure manière d’y arriver. Mais je pense que de leur côté, les frères Asheton étaient complètement paumés!"

Plusieurs célèbrent cette année les 30 ans du punk en établissant la naissance du mouvement avec la sortie de Never Mind the Bollocks, Here’s the Sex Pistols. D’autres vous voient comme le vrai parrain du punk à cause du son incisif des Stooges et cette attitude "je-m’en-foutiste" et "sans lendemain" qui s’en dégageait dès la fin des années 60. Étiez-vous punk avant le temps?

"J’ai longtemps détesté qu’on me considère comme le parrain du punk, mais ce qualificatif me suit depuis tellement longtemps que je le trouve maintenant amusant. Je crois surtout que nous étions plus que de simples punks. Les groupes punk se sont effectivement inspirés de notre musique, mais je crois aussi qu’ils l’ont simplifiée. Leurs propos étaient plus débiles, et leur formule, moins raffinée. Ils étaient moins bons que nous, mais ils ont créé une mode. De notre côté, nous n’avons jamais vraiment été à la mode."

Dans les années 60 et 70, les Stooges s’adressaient à une jeunesse branchée sur les formes d’art plus avant-gardistes. À qui s’adressent aujourd’hui les Stooges?

"Contrairement à aujourd’hui, la jeunesse avant-gardiste était peu nombreuse et divisée à l’époque. Quelques intellectuels nous aimaient, quelques drogués, quelques rebelles, quelques prisonniers, quelques grosses à la peau ravagée, mais le groupe ne pouvait pas durer longtemps, nous étions trop fêtards pour ça. Aujourd’hui, même si les jeunes attirés par le rock expérimental sont plus nombreux, je crois que les gens qui nous aimeront avec la même fougue qu’à l’époque seront moins nombreux. Certains trouveront que nous n’apportons rien de neuf, d’autres nous verront comme des vendus. Dans notre monde moderne, plusieurs peuvent penser, plusieurs peuvent marquer l’histoire, plusieurs peuvent imiter leurs voisins, mais très peu peuvent vraiment sentir les choses (really feel things). Et je crois que pour véritablement aimer les Stooges, il faut vraiment sentir les choses."

The Stooges
The Weirdness
Virgin / EMI

ooo

L’ÉPIDÉMIE…

Pour une maison de disques, outre la mort d’un de ses artistes (l’appât commercial le plus efficace, mais trop affligeant pour être humainement souhaitable), la résurrection d’un de ses légendaires poulains est le meilleur coup de promotion qui soit. Il suffit d’une seule conférence de presse diffusée mondialement via le World Wide Web et la machine s’emballe, générant ventes d’albums et de billets de concert. En cette période creuse où l’industrie du disque doit revoir ses fondements de base, l’annonce d’un retour a tout d’une manne tombée du ciel. Même le courant rock alternatif, qui par définition privilégierait l’authenticité artistique à l’argent, est atteint du même virus avec les reformations des Smashing Pumpkins (nouveau disque le 7 juillet), Jesus and Mary Chain, Rage Against the Machine, Dinosaur Jr. et Pixies. Laissons de côté la rumeur d’un retour des Jackson 5 et analysons ceux de Genesis et The Police.

GENESIS (1966-1998)

Genesis

Membres originaux: Phil Collins, Peter Gabriel, Steve Hackett, Tony Banks et Mike Rutherford (d’autres musiciens passèrent au sein de Genesis, mais pour Voir, ces cinq membres en incarnent le coeur de la grande époque).

Membres en 2007: Tony Banks, Phil Collins et Mike Rutherford

Projet: Tournée mondiale en 2007 s’arrêtant au Stade olympique de Montréal le 14 septembre

Observation: Les fans de la période plus commerciale de Genesis sont peut-être heureux, mais on ne pourra parler d’un grand retour pour Genesis tant que Peter Gabriel ne sera pas de la partie. Loin de nous l’idée de cracher dans la soupe, mais revoir dans la pire salle de concert de la Métropole un groupe qui surfe sur sa notoriété d’antan depuis le début des années 80 est digne d’intérêt, certes, mais n’a rien de si excitant.

POLICE (1977-1984)

The Police

Membres originaux: Sting, Stewart Copeland et Andy Summers

Membres présents en 2007: Sting, Stewart Copeland et Andy Summers

Projet: Tournée mondiale en 2007 qui s’arrêtera à Montréal les 25 et 26 juillet au Centre Bell.

Observation: L’année sabbatique amorcée par The Police après la tournée Synchronicity, en mars 1984, s’est finalement transformée en pause de 23 ans. Il faut avouer qu’à l’époque, les trois rockeurs se disputaient à répétition. Ils en venaient même aux coups. Disparu au zénith de sa carrière, The Police peut revenir la tête haute. Sans compter que sa séparation permit à Sting de lancer les albums The Dream of the Blue Turtles et Nothing Like the Sun, deux chefs-d’oeuvre pop de la décennie 80. Une réunion nostalgique, mais qui risque d’être fort agréable.