Carla Bruni : Un esprit sain dans un corps saint
Après un hiatus de quatre ans, Carla Bruni reprend sa guitare avec derrière elle 1,2 million d’admirateurs ravis.
Noblesse oblige, vous la verrez, l’entendrez bientôt partout. L’égérie italienne de Versace et Dior, ex-déesse des catwalks et ex-copine de Mick Jagger débarque au Québec du 2 au 7 avril, un nouvel album sous le bras. Forte du succès improbable des petites ballades brillantes et sensuelles de Quelqu’un m’a dit (vendu en 2002 à plus de 1,2 million de copies, dont 120 000 au Québec), cette fille de milliardaire s’est maintenant offert sur No Promises une excursion anglophone particulière. Portés par des mélodies douces et confortables, proches de la pop londonienne introspective, Yeats, Auden, Emily Dickinson et quelques autres génies littéraires du tout début du 19e siècle sont désormais ses paroliers fétiches involontaires. Pourquoi? Nous avons pris un peu d’avance avec cette tête fort bien faite, depuis Paris.
Comment expliquer l’extraordinaire succès d’un disque aussi anachronique que Quelqu’un m’a dit?
"Ça m’a stupéfaite. On en avait sorti 15 000 et ça a été pulvérisé rapidement. Je crois qu’il y a des gens intéressés à retourner au berceau de la chanson: une mélodie, un refrain, une rengaine, une ritournelle, ce n’est que ça finalement. Mais je suis surtout arrivée au bon moment. Il y a des choses atroces qui ont du succès et de jolies choses qui n’en ont pas. Le succès n’est pas une valeur qualitative. J’ai eu de la chance."
Vous faisiez ça en dilettante, grattant la guitare entre deux défilés de mode…
"Je ne suis pas dilettante, je suis autodidacte. Il est vrai que mon premier disque, je l’ai fait avec deux, trois bouts de ficelle, légèrement, spontanément, en enregistrant les maquettes chez moi. Mais c’était le projet de ma vie; pendant cinq ans, j’ai écrit des chansons et des textes sans arrêt."
Quoique la douceur et la nostalgie y persistent, ces chansons prennent peut-être un peu à contre-pied ceux qui attendaient un nouvel album francophone fait de vos propres compositions?
"Les chansons sont des espèces de miracles. J’aime bien qu’ils se produisent de mille manières: chanter les textes des autres… écrire pour d’autres comme je le fais pour Julien Clerc… Mais ce que je préfère, c’est encore d’écrire les deux: paroles et musique… J’y travaille actuellement."
La grande majorité des auteurs que vous chantez maintenant sont nés il y a deux siècles. Ce sont des textes splendides, naturalistes… les saisons, l’attente, la lenteur de vivre…
"C’était globalement une période romantique, parfois sombre mais pourtant très lumineuse, pleine de délicatesse qui me plaît beaucoup. Il y a une mélancolie que j’adore dans ces poèmes, j’aime non seulement leur sens mais aussi leur musicalité."
Ça démolit tout de même quelques idées préconçues, le top-modèle qui consomme de la poésie et chante des trucs un peu intellos…
"Ce n’est pas le fruit d’une démarche intellectuelle structurée; ce disque, heu, je l’ai fait spontanément, c’est la rencontre de quelques poèmes, je n’ai pas eu à justifier ma démarche."
Est-ce donc un préjugé de considérer qu’un ex-mannequin mondialement célèbre qui chante un Prix Nobel de littérature offre un sacré contraste?
"Ça peut être vu comme ca… Oui, en général, le monde de l’image est assez superficiel, mais il est difficile de communiquer quoi que ce soit sans images. Moi, à 18 ans, j’avais un fort désir d’indépendance et je suis subitement devenue mannequin parce que je voulais voyager et que c’était accessible rapidement, sans formation. Ensuite, c’est comme monter dans un train. Et ça a duré 13 ans…"
La notoriété a facilité ce changement de carrière?
"Au départ. Sur le plan médiatique, je n’étais pas tellement rassurée. J’avais peur que tout se mélange dans la tête des gens. Mais si la célébrité peut susciter le scepticisme, elle apporte aussi de grandes facilités. J’ai trouvé ça miraculeux de faire un disque assez intime, folk, pas très commercial, en toute liberté. Il y a beaucoup de gens qui font de belles choses mais ils ne sont pas assez connus pour susciter l’intérêt."
Parlons mode. Que pensez-vous de l’interdiction des filles trop maigres sur les catwalks d’Italie?
"Il me semble qu’actuellement, beaucoup de minceurs sont reliées à l’âge plus qu’au régime. Ce sont de toutes jeunes femmes. Les filles sont généralement minces, mais maintenant, ce sont de toutes petites filles dont le corps n’a pas encore vraiment de formes."
La beauté, est-ce une dictature?
"Non. C’est un petit quart d’heure d’avance sur les choses… Mais ça n’assoit rien. Dans le monde de la mode, j’ai vu des filles beaucoup plus belles que moi qui ne résistaient pas. Tenir le coup est difficile. C’est très exigeant. Privilégié, mais exigeant."
C’est derrière vous, tout ça? Maintenant, il n’y a plus que la musique et la chanson?
"Oui, je crois. Je l’espère. En tout cas, j’en meurs d’envie!"
Carla Bruni
No Promises
Naïve / Audiogram
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– Jane Birkin
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