Isabelle Boulay : Le doux chagrin
Musique

Isabelle Boulay : Le doux chagrin

Isabelle Boulay, après 10 ans de carrière, assouvit le plaisir secret d’un album qui sent bon le terroir, hanté par l’inoubliable souvenir de son père et la mémoire des siens.

MATANTE, MATANE

Mardi gris d’hiver interminable. Au sixième étage d’un building du tronçon ouest de Sainte-Catherine, Isabelle Boulay fait la promotion d’un huitième album qui la ramène à ses solides racines.

La table est donc dressée pour un petit devoir de mémoire: ses sept ans, première de classe, le resto-bar de ses parents sur le bord de la 132 à Sainte-Félicité où elle pousse la chansonnette. La famille, si importante, et matante, et mononcle… ce petit monde qui la couve pressentant déjà l’étincelle. Une cousine l’inscrit à ses premiers concours d’amateurs. Petite immigrée des régions, elle descend ensuite seule vers la capitale: "J’avais besoin de liberté pour m’épanouir. Je ne voulais plus vivre dans le regard de ceux qui me connaissaient. Besoin de culture, de littérature. À Québec, je voulais découvrir ce que j’aimais. C’était soit la linguistique, soit la chanson. J’ai fait un mois au cégep de Limoilou avec des profs super… et puis j’ai remporté Petite-Vallée à 17 ans, Granby à 19. Ç’a été la chanson…"

POP STAR

Devant ma petite tasse de thé, la fille de 34 ans, crinière mordorée de cheval sauvage, passe sur la suite des choses avec un naturel désarmant sans se préoccuper des rapports de proportion incongrus entre Sainte-Félicité et Paris: Starmania 350 fois à 22 ans, les couvertures papier glacé des magazines, potinages de gérant, soupirants, ruptures et prince consort. En 1999, Le Saule et Je t’oublierai, je t’oublierai sont sur toutes les radios. 240 000 disques ici, 225 000 en France, soutenue par des auteurs-compositeurs célèbres. À l’été 2000, l’affaire explose en France alors que Mieux qu’ici-bas franchit aisément le cap du million d’exemplaires.

PARTIR, REVENIR

Pourquoi raconter ces histoires? Pour se familiariser peut-être avec les motifs et décors de son nouveau projet, ses attaches, pour justifier sa galerie de personnages, telle tante Adrienne, et l’omniprésence de ce père qui glisse en fantôme bienveillant sur presque toutes les chansons de De retour à la source, dans des lieux où sonne encore l’angélus de midi.

Durant quelques années, entre le Zénith et les FrancoFolies, Isabelle Boulay cogite. Elle a en main sa chanson-titre écrite par Geneviève Binette, un truc franchement country qui donne envie d’en avoir dix: "C’est allé assez vite. Je voulais faire un album de reprises country. Mais tout en préparant autre chose, Luc De Larochellière et Michel Rivard m’ont fait des chansons. J’en ai demandé d’autres à Éloi Painchaud, Jorane, Zachary Richard, Louise Forestier… Et j’ai commencé à croire que je pouvais apporter quelque chose au country. Finalement, ce fut comme de quitter l’autoroute pour prendre des chemins de gravelle. La vie m’apparaissait moins tragique que dans Le Saule inconsolable. Les auteurs et la réalisation de Rick Haworth m’ont emmenée ailleurs…"

"J’ai été élevée dans un milieu rural. Fabrice Luchini m’a dit que j’étais "vachement pertinente", manière de dire, je crois, que ma nature profonde était, à ses yeux, pittoresque et authentique", poursuit une Isabelle Boulay hilare, constatant tout de même que cet album, où elle pose à 10 ans en cow-girl d’anniversaire, n’a rien de "désarçonnant": Sur les trois quarts de ses titres, De retour à la source réfère nécessairement profondément à l’enfance, au paradis perdu, à la simplicité oubliée, avec un onirisme idéal sacralisant définitivement une grande cassure connue: la mort de son père, décédé à l’âge de 58 ans alors que, en pleine ascension, elle en avait à peine 21.

Cette cassure, ses auteurs vont la pousser finalement au paroxysme. Une chanson offerte par Paul Daraîche, figure de proue du western d’ici, lui aura permis d’assister à une réconciliation inattendue. "C’est par une journée grise / Dans la route de l’église / Que remontent en moi / Les images de mon passé / Dans ce petit cimetière / Quelque part près de la mer à Gaspé / Je suis là toute seule et fière / Sur la tombe de mon père… (Lui)"

Isabelle Boulay
De retour à la source
(Audiogram / Select)

Les 4 et 5 mai
Au Vieux Clocher de Sherbrooke

Les 11 et 12 mai
Au Vieux Clocher de Magog – COMPLET