Feist : Une Canadienne errant
Feist nous refait le coup de l’album rassembleur et addictif. Trois ans après Let It Die, revoici l’ancienne punkette de Calgary avec en main un disque encore plus pétillant.
Attraper Feist au téléphone est devenu beaucoup plus ardu aujourd’hui qu’au moment de la parution de Let It Die, il y a trois ans, qui n’était pas le premier effort de Leslie mais celui qui marquerait ses débuts remarqués en tant que Feist. Cette fois, à l’heure dite, celle qui vit désormais à Paris circule sous la terre, quelque part en Angleterre, et les ondes de son cellulaire ne permettent pas la communication. Quand on réussit enfin à la joindre, on la trouve en bagnole, en pleine heure de circulation londonienne, et l’on entend les klaxons couiner tout autour. Feist, qui lance The Reminder ces jours-ci, est déjà de retour en tournée, sans qu’elle n’ait jamais vraiment arrêté d’ailleurs, et la voilà en route pour un test de son.
Désormais, la Canadienne en exil volontaire connaît la game. Quatre cent mille exemplaires de Let It Die plus tard, on pourrait la croire moins encline à se révéler. Mais ce serait ignorer une différence importante entre ce nouvel album qui lui ressemble tant et le précédent: cette fois-ci, elle signe et cosigne la majorité des chansons, l’album n’est donc pas un bouquet de reprises. "C’est vrai, je ne voulais pas chanter les chansons d’autres artistes. Au fil des nombreuses tournées que j’ai faites, les covers avaient moins d’intérêt à mes yeux et j’ai fini par presque tous les exclure de ma set list, les uns après les autres. Là, je souhaitais être en mesure de trimballer ces nouvelles chansons aussi longtemps que ça me plairait… Arriver avec du matériel original faisait donc partie du plan."
FILLE DE GANG
Elle s’était mis en bouche des airs de Françoise Hardy, Ron Sexsmith, Blossom Dearie et même des Bee Gees, entre autres. Au final, ça donnait une galette difficile à catégoriser mais néanmoins très accessible. Passant avec aisance de la pop au folk, avec quelques détours jazzés, soul, voire disco, Feist nous avait pondu un disque charmant, couvrant un vaste spectre musical.
The Reminder apparaît au bout d’une démarche complètement différente: "Cette fois, le processus fut moins expérimental et plus conscient. Pour Let It Die, nous avions profité des petits moments de liberté pendant la tournée de Gonzales (ndlr: son grand pote pianiste et réalisateur doué), que j’accompagnais. On enregistrait aléatoirement, quand on avait du temps, à partir des mélodies que j’avais en tête. Et à la fin, on s’est retrouvé avec un album en main, à ma grande surprise! Avec The Reminder, ce fut tout à fait autre chose. La collaboration entre Gonzales et moi était bien établie. Je me suis moins sentie placée devant un infini de possibilités, ce qui peut être assez étourdissant… Je savais ce que je voulais et avec qui je désirais travailler."
Écrit et conçu en tournée, The Reminder fut enregistré vite fait, bien fait en deux sessions, l’une à Toronto et l’autre dans un vieux manoir non loin de Paris. "Après avoir été en tournée si longtemps, plongé dans un brouillard de mouvements, l’idée était d’enfin se poser quelque part, de ne plus se déplacer. Le studio était situé dans le sous-sol, mais on a fini par transporter tout l’équipement dans les pièces ouvertes et spacieuses de la maison. Les micros se sont retrouvés un peu partout sur le plancher. On évitait même d’utiliser des écouteurs, histoire d’abolir le plus possible la distance entre nous. On se levait et on descendait travailler; j’enregistrais en jaquette et les gars en pyjama!"
UNE FEMME LIBÉRÉE
Sur The Reminder, on sent que Feist prend son pied (voir les délicieuses I Feel It All, My Moon My Man et 1234), un peu plus folichonne que sur Let It Die, qui faisait très pop adulte, il faut le dire. Elle se pose parfois lors de moments plus introspectifs, surtout dans la deuxième portion, plus dépouillée, de l’album. On la sent libre et abandonnée, aussi pétillante que le justaucorps à paillettes bleu électrique qu’elle porte dans le vidéo de 1234.
Quelque chose a changé dans la façon dont Feist module sa voix, comme si elle y allait plus instinctivement, lors des premières mesures de Honey Honey par exemple, où l’on croirait entendre le tchou-tchou d’un petit train pour enfants. "J’ai une plus grande intimité avec le chant. Quand tu fais quelque chose souvent, pendant longtemps, il finit par se développer une sorte d’instinct, c’est physique, et ça arrive très graduellement, sans que tu en sois conscient. Je ne suis même pas en mesure de tout m’expliquer ça à moi-même…"
Et même si ce nouveau disque explore et dissèque une vaste palette d’émotions principalement liées à l’état amoureux, son grand sujet de prédilection ("pour moi, c’est presque un des éléments; il y a la terre, l’eau, le feu, l’air et l’amour"), une impression de plus grande uniformité s’en dégage.
Encore une fois, Feist nous fait le coup de l’album rassembleur, qui plaira autant à l’amateur d’indie-rock qu’aux fans d’Isabelle Boulay, et sur lequel on va manger, danser, se saouler, se reposer, baiser, le genre de disque qu’on entendra tout l’été sur les terrasses, dans les boutiques et les restos, l’album qu’on fera jouer dans la voiture au début d’un long trajet, avec l’impression de partir du bon pied.
Feist
The Reminder
Arts & Craft / EMI
En magasin le 1er mai