Rufus Wainwright : Mûri à point
Musique

Rufus Wainwright : Mûri à point

Rufus Wainwright s’apprête à nous livrer Release the Stars, un cinquième album dévoilant une nouvelle sensibilité. Rencontre avec un artiste plus que jamais en maîtrise de ses moyens.

On rejoint Rufus Wainwright dans une sympathique croissanterie du Mile-End où il a l’habitude de convier les journalistes et où il fait particulièrement bon se réfugier par cette journée froide et pluvieuse du début d’avril. Devant nous, nul dandy flamboyant, mais plutôt un homme décontracté vêtu d’un chandail à capuchon dont le vert semble exactement celui de ses yeux.

S’il débarque souvent à Montréal, c’est que les liens familiaux l’attachent encore à cette ville où il a grandi avant de quitter pour New York à la fin des années 90. "Je reviens souvent à Montréal pour être auprès de ma mère (Kate McGarrigle) et pour fuir les grands méchants États-Unis! Dans un certain sens, c’est toujours un peu étrange pour moi de revenir ici. Avant de quitter, je n’étais pas du tout populaire et j’étais quelqu’un de plutôt déprimé qui menait une vie de bohème. À l’époque, percer dans le domaine de la musique à Montréal et rayonner à l’extérieur était une chose difficile à imaginer, alors qu’aujourd’hui il s’agit d’un endroit très hype reconnu à travers le monde."

L’ATTRAIT DE L’EXIL

L’enregistrement des pistes de base de Release the Stars s’est effectué à Brooklyn pour ensuite se terminer à Berlin où il s’est d’une part rendu pour vivre auprès de son copain. Cette migration était aussi motivée par le désir de vivre une sorte d’expérience mythique similaire à celles que David Bowie, Iggy Pop et Lou Reed ont vécues dans les années 70 quand ils se sont installés dans cette ville allemande. "J’avais cette espèce de fantasme de devenir comme eux une figure noire et énigmatique du rock. J’imaginais que cet album serait très dur et très sexuel."

Mais, surprise! Le charme allemand opéra d’une tout autre manière sur le jeune homme. Au côté sombre et dur qu’il imaginait retrouver dans ce pays, il préféra son côté plus exalté et plus classique. "Je me suis mis à manger plein de saucisses, à visiter des palais rococos et à me balader en montagne… Je suis finalement devenu un être plus romantique et cela transparaît dans mon album."

POINT TOURNANT

Avouant poursuivre des ambitions beaucoup plus grandes qu’au début de sa carrière, Wainwright multiplie les projets d’envergure. Parallèlement à sa carrière "pop", il travaille par exemple à l’écriture d’un opéra commandé par le Metropolitan Opera de New York et qui devrait voir le jour autour de 2011. Il admet que lorsqu’il a commencé l’écriture de Release the Stars, il avait davantage en tête cet opéra et que cela a eu des répercussions quant aux gracieux arrangements symphoniques qui s’y retrouvent. "Avec ce projet d’opéra, j’ai grandi et j’écris la musique la plus grandiose que j’aie jamais faite. Je crois que je suis donc devenu plus habile à faire des liens entre la musique populaire et la musique classique, chose que je tentais d’accomplir depuis des années." Avec tous les orchestres, les sections de cordes et de cuivres et les chanteurs y ayant contribué, c’est plus d’une centaine de personnes qui ont participé à Release the Stars. Sa soeur Martha, sa demi-soeur Lucy Roche et la chanteuse soul Sharon Jones sont du nombre.

Et pour la toute première fois, le chanteur et musicien a lui-même pris les rênes de la réalisation: "J’adore tous mes anciens albums, mais j’ai toujours eu l’impression qu’il manquait quelque chose, admet-il, que quelque chose avait mystérieusement disparu. Puisque, au cours des années, j’ai travaillé avec des musiciens et des réalisateurs talentueux desquels j’ai beaucoup appris, j’ai pensé que pour cet album, je pouvais accomplir le travail moi-même, en espérant pouvoir arriver au bon résultat."

Le Pet Shop Boy Neil Tennant a aussi mis l’épaule à la roue en tant que coréalisateur. "Cet homme est à la fois très intellectuel et très terre à terre. Il m’a grandement aidé à me ramener à la réalité et à me rappeler certaines choses: que des fans ont des attentes à mon égard, que la musique est aussi une business et qu’il faut se soucier de survivre financièrement. Bref, il m’a appris comment tirer mon épingle du jeu dans le monde de la musique pop ainsi qu’à ne pas me comporter comme un enfoiré et à ne pas trop me laisser emporter par mon propre ego."

On décèle aussi dans les textes de Release the Stars que l’artiste se révèle d’une nouvelle manière; le ton s’y fait plus intime et introspectif et les émotions y sont déployées avec moins de grandiloquence. Il se livre maintenant avec un désir d’honnêteté accru et une lucidité qu’on ne lui connaissait pas: "Mon regard est davantage dirigé vers le monde extérieur. Autrefois, j’explorais mon propre monde imaginaire et je ne m’adressais qu’à moi-même; cela établissait une sorte de distance avec l’auditeur. Je m’adresse maintenant à d’autres humains, je leur dis: "Voilà qui je suis, voilà ce que je pense.""

Voilà donc où en est rendu l’artiste qui a allègrement galéré durant sa vingtaine et qui a maintenant l’impression, à l’âge mythique de 33 ans, d’avoir atteint un sommet sur le plan personnel et artistique. Ainsi, Release the Stars est l’oeuvre d’un homme qui commence tout juste à connaître la sérénité et qui sait qu’il est maintenant temps d’agir en accord avec ses rêves.

Release the Stars
(Geffen / Universal)
En magasin le 15 mai

En spectacle le 14 juin
Au Théâtre Maisonneuve

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