Claude Dubois : Qui paire gagne.
Musique

Claude Dubois : Qui paire gagne.

Pour ses 60 ans, Claude Dubois convie avec générosité et délicatesse une poignée de grosses pointures à reprendre quelques-unes des immortelles de son répertoire.

Claude Dubois a 60 ans depuis le 25 avril. Il appartient à cette génération d’artistes issus du baby-boom d’après-guerre dont on fait grand cas ces temps-ci, presque 40 ans après le Viêt Nam, San Francisco, le Flower Power, la libération sexuelle et le LSD. À la une des magazines, Dylan, (66 ans) Tom Wolfe ou McCartney (65 ans) répètent tous qu’à cette époque, le succès dépendait d’audaces, d’illuminations et de dons naturels qu’ils s’expliquent mal encore aujourd’hui.

Dubois avait au moins un don: une voix fabuleuse, assortie d’un esprit aventureux et créatif qui suit ses temps de liberté en changeant de peau. Enfant du country-folk, jeune chansonnier frayant dans la contre-culture, il deviendra, après bien des mutations, l’icône pop aux 35 disques et 25 chansons incontournables, indissociables de l’histoire du Québec contemporain.

Aujourd’hui ce parcours à la Rod Stewart passant par l’unplug et le crooner du casino connaît un rebondissement prévisible mais tout de même étonnant, puisque ces Duos Dubois semblent viser directement une francophonie où, hormis cette province, l’interprète du Blues du businessman n’a jamais connu beaucoup de succès.

"Capotons pas! J’suis pas très carriériste, je n’ai jamais supporté la France longtemps. Je me passe difficilement de mes espaces personnels et mes vieux meubles… Mais j’ai fait ce disque de duos avec des chansons qui tiennent encore la route, parce qu’elles portent encore les mêmes vérités, afin qu’elles vivent le plus longtemps possible, et tant mieux si elles se répandent dans la francophonie… On verra…" dit Dubois, relax, évaché dans le canapé d’une petite suite du 32e étage du Marriott, Place du Canada. "La job de promotion, je ne l’ai jamais faite très fort. Cette fois-ci, je me suis associé à des gens qui vont la faire pour moi." Bénéficiant des efforts visiblement déjà considérables des productions de Zone 3 (Le boss, Paul Dupont-Hébert, demeure auprès de Dubois tout au long de la conversation, multipliant les interurbains), c’est à une grosse brochette d’artistes français et québécois qui marchent très fort dans l’hexagone que Dubois a proposé de reprendre en duo une poignée de classiques: Cabrel, Bruel, Corneille, Garou, Isabelle Boulay, Linda Lemay, Natasha St-Pier et Céline Dion… Un processus de six mois, rien de moins.

Pourtant, contrairement à bien des duos de circonstances, l’affaire ne semble jamais forcée. Probablement parce que Dubois y affiche des politesses permanentes en tenant la porte large ouverte aux invités qui entrent dans ses chansons: "Chaque interprète y a trouvé son propre univers, et je ne voulais pas intervenir dans sa perception. Il fallait que ce soit leurs sons, leurs rythmes, leurs émotions… À moi ensuite de trouver ma place là-dedans, sans tasser personne. Cabrel, dès la première prise de Pas question d’aventure, c’était bon en sacrement! Je ne savais plus quoi faire de plus, comment poser ma voix là-dessus… Il fallait protéger sa vision. Il a dit à sa femme: "c’est la première fois que je fais un duo tout seul", tellement j’étais discret", dit Dubois souriant et très enthousiaste. "Pour Isabelle Boulay, J’ai souvenir encore est une chanson d’enfance qui emplissait déjà son monde et qui change de sens dans son esprit. Alors je marchais sur des oeufs… Et comme personnellement, je n’ai plus rien à prouver, j’ai protégé leurs bulles…"

Stéphane Laporte, Dupont-Hébert et Dubois ont aussi su proposer aux 13 interprètes de l’album des chansons qui leur ressemblent. Ainsi, Comme un million de gens dans la voix de Linda Lemay prend des allures un poil psycho-pop, Femme de société, des tons de drague élégante avec Corneille, et les élans lyriques de Si dieu existe semblent avoir été confectionnés expressément pour Céline Dion. "Je suis allé souper dans son île, et à table, elle me chantait ça toutes les cinq minutes… Alors quand est venu le temps, je savais quoi lui proposer", rigole Dubois jamais à court d’anecdotes.

Loin des arrangements surannés de Francois Rauber, le moment le plus touchant de Duos Dubois sera sans doute pour bien des Québécois Le Labrador qui, reprise par Vigneault, Desjardins, Dubois, retrouve ses couleurs de complainte. "Elle a repris le sens qu’elle avait lorsque je l’enregistrais avec une guitare et une bouteille de scotch. La fibre nationale, l’existence même du pays, l’amour des Amérindiens, les grands espaces… Je l’ai fait entendre, j’ai vu des amis brailler… Gilles a dit: "On est trois gars du nord…""

Difficile, devant une poignée de chansons issues pour une part des années 60-70, de ne pas brièvement évoquer l’accueil que lui firent ses pairs alors qu’il fréquentait dès 16 ans l’élite déjà bien plus âgée de la révolution tranquille: "On se voyait à l’Association espagnole, c’était des hosties de malades! Quand tu disais une niaiserie, ils t’éjectaient. Ils pouvaient te casser une chaise sur la gueule! Gauvreau était particulièrement épeurant… Moi ti-cul, ils me toléraient. Les poètes ont été tristement oubliés… Les chansons sont restées…"

Claude Dubois
Duos Dubois
Pingouin/Select

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Francis Cabrel, à propos de sa collaboration avec Claude Dubois:
"Franchement, je ne connaissais pas le répertoire de Claude Dubois de manière exhaustive. C’est Paul Dupont-Hébert qui m’a proposé le projet de reprendre une pièce de Claude. Avec Le Blues du businessman, Pas question d’aventure était une des rares pièces que je connaissais. J’ai enregistré la version chez Claude lors de ma dernière visite au Québec. Je suis assez content du résultat parce que la chanson est très émouvante et très bien restituée. Ce que j’aime dans la chanson, ce sont les gens authentiques. Zachary Richard et Claude Dubois sont de cette trempe. Des passionnés, des amoureux qui ont vécu toute leur vie en ne pensant qu’à la musique."