René Richard Cyr : Crime organisé
René Richard Cyr revient à l’Opéra de Montréal pour monter Don Giovanni, de Mozart. Classicisme nouveau genre…
Après avoir livré l’année dernière The Turn of the Screw, de Benjamin Britten, René Richard Cyr s’embarque pour une deuxième fois dans une production de l’Opéra de Montréal. Sa collaboration avec l’Atelier lyrique de la compagnie était son baptême opératique, et le metteur en scène en garde un excellent souvenir: "J’ai dressé un bilan formidable après ça; dans tout ce que j’ai fait, c’est à marquer d’une pierre blanche! Je me suis procuré pratiquement tout Britten par la suite; j’adore sa musique. J’écoute beaucoup son opéra Billy Budd actuellement et j’aimerais bien pouvoir y toucher un de ces jours…" C’est que l’aventure a visiblement fait naître une passion, et l’on reverra sans aucun doute René Richard Cyr dans ce rôle-là après cette deuxième collaboration, qui s’annonce tout à fait inspirée, et dont la distribution ravira les amateurs.
Cette fois-ci, c’est à l’un des opéras les plus populaires que se frotte le metteur en scène: Don Giovanni. Et ce n’est plus à l’Atelier lyrique, avec de jeunes chanteurs pleins de promesses, mais dans la grande maison, avec des chanteurs chevronnés! "Mais la grande différence, explique-t-il, c’est surtout dans l’écriture; le Britten était très dialogué, mais chez Mozart, on chante pendant quatre minutes pour indiquer que l’on se dirige vers la porte… Dans des moments comme ça, je n’ai pas cherché à remplir les quatre minutes avec quelque chose de réaliste; on peut aussi simplement écouter le chant: stand and sing!" Il y a plusieurs anglophones dans la production, dont le baryton canadien Aaron St. Clair Nicholson dans le rôle-titre, ou les Britanniques Susan Gritton (Donna Anna) et Neal Davies (Leporello), et René Richard Cyr n’est pas peu fier d’avoir amélioré son anglais!
L’une des grandes différences entre le théâtre, que Cyr connaît évidemment très bien, et l’opéra, c’est que tout le travail de conception se passe avant l’arrivée des chanteurs et des chanteuses; quand les répétitions commencent, il y a longtemps que le décor, les accessoires et les costumes sont arrêtés. "Je me suis mis à y penser dès le lendemain de la production du Britten; le temps de répétition est assez court, donc la pré-production est très importante, et ça oblige à une réelle réflexion. Et une fois que l’on a trouvé sa vision personnelle de l’oeuvre, il faut la vendre à ceux qui seront sur scène! Ce sont des rôles qu’ils ont tous déjà chantés dans d’autres mises en scène, et qu’il connaissent très bien. Personne n’a été récalcitrant, mais j’ai amené des notions qui ont causé quelques surprises."
CÔTÉ OBSCUR
Sans aucunement dénaturer son sujet, René Richard Cyr a choisi de le présenter selon un point de vue passablement original. Lisant les notes qu’il a préparées pour expliquer sa vision aux chanteurs, je me demandais un peu si je lisais une histoire sur Don Giovanni ou sur… Don Corleone! "Oui, il y a de ça! Mais lorsque l’on prépare quelque chose de ce genre, on se demande pourquoi on le fait, c’est-à-dire que si c’est simplement une entreprise muséale, il y a déjà des DVD; il faut que l’on sorte de la salle avec une certaine réflexion, quelque chose en plus." L’interprète de Don Giovanni, Aaron St. Clair Nicholson, aime bien ce côté mafieux du personnage: "Cette approche à la Tony Soprano montre bien les faiblesses et la fragilité de Don Giovanni, tout en soulignant le côté sauvage du malheur qu’il cause partout où il passe."
Le metteur en scène a choisi de camper l’action dans un territoire qui pourrait évoquer Londres, et dans une époque floue qui se situe entre la fin du XIXe siècle et aujourd’hui (plutôt qu’à Séville au XVIIe siècle, comme l’écrivait le librettiste de Mozart, Lorenzo da Ponte). "C’est davantage l’aspect social des personnages qui m’a inspiré et j’ai voulu les diviser en trois familles: il y a celle de Donna Anna, de son fiancé Don Ottavio et de son père le commandeur, qui représente le bien, mais qui est quand même un peu terne, uniforme et pleine de conventions. On les aime bien, mais ils sont un peu coincés… De l’autre côté, celui du mal, il y a Don Giovanni et son valet, Leporello, qui ont quelque chose du petit truand, un peu plus libertin, et plus séduisant. Et puis, au centre, il y a la majorité silencieuse, le peuple."
Le Don Giovanni de Cyr est quelqu’un qui a choisi d’aller jusqu’au bout du mal, et sans rien inventer qui ne serait pas dans Mozart, le metteur en scène nous offre peut-être l’un des Don Giovanni les plus sombres que l’on ait jamais vu. "J’ai demandé au scénographe, Pierre-Étienne Locas, de travailler dans le sens d’une déconstruction, comme la vie de Don Giovanni se déconstruit du début à la fin de l’opéra."
SAVOIR-FAIRE
Bien sûr, René Richard Cyr arrive à l’opéra avec un travail de réflexion sur le texte qui vient directement du théâtre, mais comme me dira un peu plus tard Bernard Labadie, "c’est précisément pour leur vision que l’on va chercher des metteurs en scène de théâtre". Le directeur musical des Violons du Roy, qui sera dans la fosse avec ses musiciens pour cette production, était directeur artistique de l’Opéra de Montréal jusqu’en juin dernier, et c’est justement lui qui est allé chercher René Richard Cyr (il laisse aujourd’hui avec plaisir le travail de direction artistique à son successeur tout récemment nommé, Michel Beaulac). "René Richard est quelqu’un avec qui il est très facile de travailler. Il n’arrive pas avec tout le bagage parfois un peu figé des gens d’opéra, mais apporte au contraire une certaine fraîcheur. Et en ce qui me concerne, je suis très heureux de me retrouver ici à ne faire que ce qu’il faut que je fasse dans la vie, soit de la musique!"
De ce côté-là, les musiciens seront un peu plus d’une quarantaine, et ils joueront dans une fosse un peu moins profonde qu’à l’habitude, afin d’emplir l’énorme vaisseau qu’est Wilfrid-Pelletier. Par ailleurs, René Richard Cyr a aussi mis en scène les choeurs, bien entendu, et il aura ainsi également une influence sur l’aspect musical de l’oeuvre: "C’est drôle, parce que c’est plus souvent le contraire, mais j’ai voulu ramener les choeurs au strict minimum. Il y a 22 choristes, parce que c’était le minimum musicalement acceptable, mais je les ai prévenus qu’il pourrait y avoir des moments où ils ne seront que 9, pour créer un certain mouvement organique sur scène. Il faut faire confiance à l’oeuvre, ne pas chercher à la surcharger. Et heureusement, les chanteurs ont vraiment l’esprit ouvert." Ce dépouillement vers lequel tend René Richard Cyr met évidemment de l’avant le talent des chanteurs et chanteuses, et de ce côté-là, il est servi: "J’ai travaillé avec beaucoup de chanteuses, et quand le talent manque, les effets spéciaux sont très utiles, mais avec quelqu’un comme Lyne Fortin (Donna Elvira), tu n’as qu’à la faire chanter!"
Parlant de ses collègues, cette dernière me dira plus tard: "Vocalement, je pense que c’est l’une des meilleures productions qui se sont faites ici depuis longtemps! C’est assez impressionnant de voir à quel point les rôles ont été bien distribués. Et on a le meilleur chef d’orchestre pour faire musicalement de la dentelle, comme Mozart le réclame." Tous les éléments semblent être en place pour un grand Don Giovanni, mais René Richard Cyr insiste: "Il serait prétentieux de dire que nous faisons LE Don Giovanni… Nous faisons notre version de Don Giovanni!" www.operademontreal.com
En italien avec surtitres anglais et français.
Les 19, 23, 26, 28, 31 mai à 20h et le 2 juin à 14h
À la Salle Wilfrid-Pelletier