Urbain Desbois : La grande illusion
Urbain Desbois atteint le sommet de son art avec son quatrième album.
"Au départ, j’ai joué dans plein de projets de musique, mais sans jamais m’approcher d’un micro. Ce n’était pas mon ambition. À la base, j’étais un musicien. En cachette, je me suis mis à écrire des chansons. Puis j’ai décidé d’en faire un disque. Je ne savais pas que je pouvais chauffer ce véhicule-là, celui de la chanson. Je fais des chansons parce que les bands avec qui je travaillais, à l’origine, ils n’en avaient pas de bonnes. Je ne pense pas que les miennes soient super bonnes, mais au moins je me suis taillé une pratique, mon créneau", raconte le très volubile Urbain Desbois qui lance La gravité me pèse, son quatrième album.
En 2000, à l’époque de ses deux premiers disques sortis à quelques mois d’intervalle, Urbain fait dans le minimalisme et rejoint, peut-être sans le savoir, une école française démarrée une décennie plus tôt avec Dominique A, Katerine, puis Jérôme Minière, Mathieu Boogaerts et compagnie. Une voix blanche, des ritournelles plus ou moins légères, avec une tonalité enfantine mais également une mélancolie qui sourd parfois entre deux notes. Une poignée d’artistes souterrains, qui font un travail de démineurs: ils creusent des chemins moins fréquentés. Urbain avait indéniablement un lien de parenté avec cette famille underground, mais aujourd’hui, avec la parution de son nouveau compact, il risque de quitter les rives troubles de la marge.
Car Urbain n’a jamais été aussi pop. La métamorphose, entamée avec le précédent disque (Entomologie, 2003), est frappante: un son plus ample, une voix plus souple, une couleur musicale plus travaillée. Ça coïncide avec un autre changement dans la carrière de Desbois: après trois albums pour La Tribu, le nouveau paraît sous étiquette Audiogram: "Les disques que j’ai faits avec La Tribu, c’était moi le réalisateur. Il n’y avait pas de direction artistique extérieure. C’était mon projet et quand c’était fini, on le sortait. Alors que chez Audiogram, la première chose que j’ai demandée, c’est un réalisateur, un directeur artistique. Je voulais qu’on m’aide. J’ai appris à travailler en équipe."
L’heureux élu s’appelle Jean-François Lemieux. C’est lui qui poussera encore plus loin Desbois dans sa démarche créative: "Avec Jean-François, on a beaucoup discuté pour savoir exactement où on allait. Au final, ça donne un disque tricoté plus serré, avec un souci du détail. Rien n’était laissé au hasard, comme je le faisais avant. Lui, il dit que la magie n’existe pas vraiment. Son point de vue, c’est que oui, tu peux capter de grands moments de musique en n’intervenant pas, mais ce n’est pas tout le temps heureux. Il préfère travailler, avoir des bases solides, et ensuite on met du crémage. Même dans la structure des chansons, il est rentré et il a coupé des affaires. Si la magie n’existe pas, la technique, elle, existe. Tu peux recréer l’illusion de la magie."
Urbain Desbois, avec La gravité me pèse, est devenu une grande illusion: on pense approcher un chanteur rigolo, échevelé. On est heureux d’écouter un artisan méticuleux, le crâne rasé, qui peut s’attendrir ou pousser un coup de gueule contre Quebecor. Les guitares précises et vertigineuses d’Olivier Langevin s’invitent çà et là, pour offrir une texture sonore encore plus riche.
De la belle ouvrage: "Notre but ultime était de ne pas étouffer le poétique, il faut que ça reste des chansons d’Urbain Desbois. Ce n’est pas de la musique de robots. Avec Jean-François, j’apprenais comment construire des chansons qui ne vont jamais s’écrouler."
Ils ont pris un petit studio qui ne coûtait pas cher, s’enlevant un poids de rentabilité, de performance. "La gravité me pèse", clame le titre du disque. Pourtant, Urbain n’a jamais semblé si léger. Presque heureux. En tout cas, il est intarissable. Si personne ne l’arrêtait, il continuerait ainsi à parler de création, d’illusion. Ce serait dommage, car il pourrait en oublier son spectacle aux prochaines FrancoFolies de Montréal, cet été.
Il est aussi sacrément inspiré. Le CD s’ouvre sur un de ses meilleurs morceaux: "Mes chansons ne servent à rien / C’est comme des ailes de pingouin / Elles me vont bien, mais ne me mènent jamais loin / Trop petit le poème sur le bout de ma langue", chante-t-il. Ça n’a jamais été aussi faux. Ses dernières chansons servent au plaisir. On ne pouvait espérer mieux.
Urbain Desbois
La gravité me pèse
(Audiogram / Select)
À voir/écouter si vous aimez
– Thomas Fersen
– Jérôme Minière
– Mathieu Boogaerts