Kevin Parent : Entre chien et loup
Musique

Kevin Parent : Entre chien et loup

Apprivoiser la bête, préserver le double instinct de sa dualité culturelle. À 34 ans, Kevin Parent s’offre un retour aux sources dans le confort et l’intégrité de sa langue maternelle.

Personne n’entendrait probablement jamais parler, ailleurs que dans les bas de pages jaunies d’un guide récréotouristique de la Gaspésie, de ce détail sur une carte, situé à 15 minutes de Carleton, au creux de la Baie des Chaleurs, si son citoyen le plus célèbre ne se nommait Kevin Parent.

Le bled s’appelle Nouvelle. L’endroit est paisible et tout petit. À peine 2000 habitants au dernier recensement. Tellement petit en fait que Kevin, qui y est presque né, craint d’entrer dans les détails. D’oser une description trop précise qui risquerait de faire de la terre agricole et de la maison un peu bizarre qu’il y a achetée il y a dix ans, avec sa part des revenus de Pigeon d’argile, une attraction touristique estivale supplémentaire, coincée entre le Parc national de Miguasha, et la Savonnerie d’Escuminac.

Incontournable contraste naturel qui permet le ressourcement entre les cinq mois qu’il passe à Montréal chaque année, la Gaspésie demeure plus qu’un refuge; c’est un pays peuplé d’amis.

"J’ai carburé à la Gaspésie durant toute ma vie et c’est de plus en plus important. Y r’tourner, c’est une "maintenance" émotive et cérébrale essentielle… Et puis mon fils habite tout près… À 14 ans, il a besoin de moi, et j’ai besoin de lui. Ça passe avant la carrière, avant les amours, en avant de toutte", dit-il fermement, avec, toujours, cet extraordinaire accent mat, mélange de montréalais, d’acadien et d’anglais qui fait tomber chaque syllabe mollement dans les basses.

Raisons assez essentielles pour que Parent se tape encore en deux jours dans sa Volvo Station Wagon les 18 heures d’aller-retour qui le séparent de Montréal. Le temps d’une paire d’entrevues, la Gaspésie est aussi une géographie nécessaire pour saisir sa dualité avouée entre deux langues, l’une maternelle et l’autre acquise sur les bancs de l’école locale, avant qu’il ne décroche en secondaire trois. Car Fangless Wolf Facing Winter, ce sixième album qu’il est venu nous présenter, est, finalement, tout en anglais.

LA LANGUE DE CHEZ-NOUS

"On est de descendance irlandaise. Des Wafers d’un bord, des Ferguson de l’autre. Mes deux parents ont été élevés en anglais par leur mère. Moi, c’était pas Passe-partout, c’était Sesame Street, Spider Man et Popeye. Chez nous, ça parlait tout le temps en anglais. And we still do… Mais je suis allé à l’école en français… Pis c’est ben correct comme ca!" raconte Kevin Parent devant la salade d’un petit resto de Ste-Catherine, à propos de ce coin du Québec qui, comme bien d’autres, peuplés d’immigrants irlandais, écossais, puis de royalistes, devint multiethnique bien avant la lettre.

Pourtant, de la part du poète, de l’auteur consacré, le commentaire qui suit étonne tout de même encore: "Je crois qu’il y a toujours eu une facette de moi largement ignorée. Au départ, toutes mes chansons étaient en anglais. En 1993, mon premier gérant m’a inscrit à un concours de chansons. Fallait que ce soit en français. J’ai dit: "Crisse! Je peux pas! Je suis un anglophone! Moi, c’est Pink Floyd, Bob Dylan, Cohen, Cat Stevens… Qu’est-ce que je vais faire?" Vigneault et Raymond Lévesque, je ne connaissais pas ça. Mais j’avais des visions, un background francophone différent. Je les ai traduites avec un peu d’aide… et j’ai écrit en français. Malhabilement; mais je sentais que c’était différent de ce qu’on entendait à la radio… Et puis il y a eu les quotas de contenus francophones imposés par les subventions… Et je suis devenu un produit du "terrrrrroir" gaspésien, rigole-t-il. Mais j’ai toujours voulu faire des chansons dans les deux langues."

Canadian? Québécois, Kevin Parent, ce quasi-rénovateur de la chanson québécoise en 95? "Aujourd’hui, je me sens plus québécois que jamais. J’ai appris à comprendre les insécurités des francophones et ce qui les menace."

CROIRE

Entre 2001 et 2006, le Father On The Go prend une pause significative et s’intéresse délibérément aux vertus de la thérapie: "Je cherchais des outils pour m’adapter à un style de vie chaotique et vivre ma dualité linguistique. C’est deux mondes "tough" à gérer. Le désavantage, c’est que je dois me justifier. Il y a du monde qui doute de mon intégrité. Des gens qui sont méfiants, qui pensent que tout ça, c’est une histoire inventée pour vendre aux Anglais. Mais je vis vraiment une double vie depuis que je suis enfant."

Parent est de ceux qui croient que l’artiste s’exprime essentiellement à travers ses propres outils de création. Préoccupé par l’authenticité, l’intégrité des rapports qu’il entretient avec tous ses interlocuteurs, il ne s’abandonne aux confidences excessives du tête-à-tête qu’en situation de relative confiance, sinon en position de charme. Son rugueux inconfort avec la part superficielle du médiatique est légendaire: "Faire un sourire juste pour la caméra? Hostie que je trouve ça quétaine! Les entrevues? Bof, parfois c’est presque une thérapie. Ça met des questions dans la face… On dirait que vous aimez déstabiliser les artistes… Sauf que… sauf que…" dit-il en marquant une longue pause. "Honnêtement, j’adore mon métier! Or, mon métier, c’est de faire de la musique… Mais hostie qu’au fond, être obligé d’en parler… François! Je te jure, je comprends toujours pas pourquoi…" conclut-il avant de s’embarquer tout de même de bonne grâce dans le processus de création de Fangless Wolf Facing Winter. Parce que "parler de musique est tout de même plus agréable que de parler de soi-même".

MON P’TIT LOUP

"J’avais du matériel emmagasiné. Des boîtes de textes dans lesquelles je m’enfargeais, des mélodies qui traînaient, des flashs datant de 10 ans. Je me suis encabané pendant un an et on a enregistré le démo en quatre jours. Le faire en anglais m’a permis de libérer de l’espace sur mon disque dur." Un album en anglais laisse-t-il supposer d’autres ambitions? "Je ne sais pas. J’ai fait ça sans attentes, en disposant d’une grande liberté. Je ne pousserai pas sur le marché anglophone sans qu’on m’y invite… Tout ce que je vise, c’est être moi-même. Et ces chansons, cette musique fait partie de moi depuis longtemps. Je crois que ce disque est plein d’intégrité."

Cette musique? Du folk rock. Clairement. Deux poignées de bien belles ballades avec une douzaine d’excellents musiciens dont Jeff Smallwood, Paul Picard, Dominique Messier, Rick Hayworth… Plus Springsteen que Wilco, (Every Now and Then). Une consonance canadienne qui rappelle la précision de Blue Rodeo, le ludique de Blackie and the Rodeo Kings (So Hard to Get). Une très belle fluidité vocale, le confort de la langue maternelle et le sens de la mélodie d’un Mark Knopfler (Come With Me), des touches de brit pop à la Peter Gabriel appuyées visiblement par la présence de Tony Levin sur tout l’album (dont River So Cold). Un intimisme omniprésent et grave entre Cat Stevens et Chris Whitley (Can’t Stand This Loneliness, Kyoto)… Bref, bel album généreux où il est bien difficile de laisser de côté une de ses chansons longuement mûries. Probablement ce qui s’est fait de mieux ici, dans le genre…

Littéralement, Loup sans croc affrontant l’hiver (Fangless Wolf Facing Winter) est aussi un disque de douceurs un brin amères. "C’est plus accentué sur la musique et les mélodies. Même si je tiens profondément à contribuer à la francophonie, tout en gardant le profond désir de communiquer sans me sentir maladroit, en anglais on dispose de plus de liberté et de confort "musical". Les sons parlent beaucoup… Mais disons qu’on peut très bien vivre sans crocs. Sans violence, tout en faisant face. Moi, dans la vie, si je n’avais pas été musicien, je serais devenu jardinier… Un jour, peut-être… On a toujours de quoi à apprendre. Et j’aime apprendre."

Kevin Parent
Fangless Wolf Facing Winter
Audiogram

ooo

Tony Levin

"Je trippais sur la basse dans Jaune de Jean-Pierre Ferland. Quinze ans après, j’apprends que c’est lui qui l’a faite… Il est curieusement très disponible. C’est le genre de type qui permet de s’améliorer. Il comble les basses fréquences sans piler sur mon terrain… It enhances it! Au Québec, il y a évidemment de très bons musiciens, lui, il est particulièrement cool, je m’entends bien avec lui. Il est de descendance russe et possède un humour formidable."