Liva : En retrouver son latin
Musique

Liva : En retrouver son latin

Liva fête ses dix ans d’existence et propose un second disque, cinq ans après le Requiem de 2002.

"Toute créature du monde/ est comme un livre, une peinture/ Pour nous servir de miroir/ Fidèle représentation/ De notre vie, de notre mort/ De notre état, de notre sort." Si le Québec n’avait perdu son latin dans la foulée du concile Vatican II, voici ce que nous aurions pu comprendre de ce poème intitulé Omnis mundi creatura, oeuvre d’un érudit du XIIe siècle tombé depuis des lustres dans les oubliettes de l’histoire. Même Nostradamus n’aurait pu parier qu’une formation de musique métal du XXIe siècle tirerait un jour des limbes un théologien et poète né près d’un millénaire plus tôt.

Rencontrés à la veille de la sortie officielle en magasin de De Insulis, leur nouvel opus, l’humeur des trois quarts du groupe est à la rigolade et à l’enthousiasme. Réunis autour du guitariste et chanteur Pier Carlo Liva, dont le patronyme donne au groupe son nom, on retrouve sa muse et complice sur scène comme dans la vie, Catherine Elvira Chartier à la voix et à l’alto électrique, de même que Sébastien Breton, le batteur. Ne manque à l’appel que Simon Roy-Boucher, le bassiste et le seul à ne pas avoir d’enfant. "C’est pour ça qu’il peut faire la grasse matinée", lance quelqu’un en riant. Laissez vos préjugés au vestiaire; Liva n’est pas un groupe de métal ordinaire et concocte ici même, en Estrie, une musique plus habituée à s’épanouir sur les terres du Vieux Continent. Osons lâcher un mot qu’on est peu habitué à entendre dans la sphère métallique: ils ont l’air heureux. Pier Carlo acquiesce: "J’ai l’impression que c’est la plus belle année de ma vie", déclare l’heureux nouveau père d’une seconde fille.

ALLIAGE

Là où les hordes chevelues communes se contentent de plaquer des sections de cordes par-dessus leurs rugissements afin de se donner le vernis de la classe – ainsi que le firent Metallica et consorts -, le quatuor sherbrookois a un autre modus operandi. L’alliance, ou plutôt l’alliage, entre le métal et le classique est à la base du son de Liva, à tel point que d’aucuns parleront de "métal pour ceux qui n’aiment pas le métal", ou encore de "classique pour ceux qui n’aiment pas le classique". D’ailleurs, trois des membres du groupe possèdent une formation musicale classique, ce qui ne les empêche nullement d’affectionner un son lourd, en filiation directe avec la musique de tendance death, où la voix parfois gutturale de Liva est appuyée par celle, aérienne, de Catherine Elvira.

Le latin a la cote chez les métalleux et on ne compte plus les groupes dont un titre d’album ou de chanson est en latin. Cette langue dite morte possède un grand pouvoir d’attraction et renvoie, pour plusieurs, à un passé mystérieux, où de doctes ecclésiastiques rédigeaient des ouvrages de démonologie en latin. Mais pour le De Insulis de Liva, l’inspiration est beaucoup moins sulfureuse. "Comme compositeur, la musique est préexistante au texte, mais le texte est abordé comme une partie musicale, nous confie Pier Carlo. Après le Requiem, je cherchais l’inspiration dans divers recueils de poésie en latin, et un texte de De Lille m’avait allumé. C’est après d’autres recherches que j’ai trouvé un autre texte de lui qui m’a confirmé que j’étais sur la bonne voie." C’est ainsi que De Insulis se divise en deux parties, qui sont à l’origine deux chantefables, c’est-à-dire une oeuvre où alternent les chants et les passages narratifs, et ce sont ces chants qui constituent les paroles de l’album. On se retient depuis le début de l’entrevue de lâcher le terme tant usé d’album-concept, mais on est soulagé lorsque Pier Carlo l’emploie de lui-même. "On ne s’est pas réveillés en se disant qu’on allait faire un album sur Alain de Lille, mais il se trouve que c’est chez lui que nous avons trouvé la forme poétique qui allait avec nos compositions", poursuit-il.

On sait peu de choses sur la vie d’Alain de Lille, ou Alanus De Insulis en latin, sinon que son érudition était telle qu’il se méritera le surnom de Doctor universalis. De Lille enseigna vraisemblablement à Paris et assista au concile du Latran en 1179, pour terminer ses jours à l’abbaye de Cîteaux en 1202 au terme d’une vie exceptionnellement longue pour l’époque, soit près de 80 ans.

CASSE-TÊTE

Parlant de son processus créatif, Pier Carlo évoque l’idée du casse-tête que l’on aurait échappé par terre. "Tu ramasses à droite et à gauche, mais tout est déjà là, et tu fais confiance à ton instinct pour savoir quelle pièce tu placeras en premier. Je ne suis pas du genre à composer 100 tounes pour en garder 10; généralement, les premières idées sont les bonnes." Sa complice Catherine Elvira nuance tout de suite: "Des premières idées, il en a tout plein. Il est toujours en train de composer dans sa tête, et ce n’est pas rare qu’il s’arrête en plein milieu d’une allée d’épicerie pour noter une idée musicale. Et c’est sans compter tous les riffs qu’il laisse sur le répondeur!"

Il existe une grande différence entre le processus d’enregistrement du premier album et celui de son successeur. Le Requiem fut finalement pressé après trois années passées à le roder sur scène, alors qu’il n’y avait que quatre ou cinq pièces de De Insulis qui avaient été testées en spectacle avant l’entrée en studio. Sébastien Breton raconte qu’il a eu un choc en écoutant le résultat final. "Les mots me manquaient. C’était donc ça qu’on pratiquait dans notre local!"

Ceux qui les auront vus en spectacle n’auront pas manqué de remarquer le plaisir que ces musiciens prennent à jouer ensemble. "Quand Simon, notre bassiste, est arrivé dans le band, relate Catherine Elvira, j’ai dit à Pier que j’avais l’impression qu’on était devenu une famille. C’est sûr qu’il y a parfois des moments de friction, tout comme dans une vraie famille, mais les moments positifs l’emportent. On est des gens simples et on n’a pas envie de jouer une game. J’espère que jamais je vais sortir de scène pour monter dans un taxi et rentrer tout de suite à l’hôtel." Et Sébastien de conclure: "Pour nous, l’après-show fait partie du show, c’est l’occasion pour nous d’échanger avec ceux qui nous supportent; c’est ce qui nous fait continuer."

Liva
De Insulis
Disques Anubis/distribution Outside

Spectacle de lancement
Le samedi 2 juin
Au bar Le Magog