Charlélie Couture : Voyage au bout de la nuit
Charlélie Couture se régénère à travers un exil propice à stimuler des tensions créatrices temporairement assouvies par un album direct et franc.
L’album s’intitule New-YorCoeur. Depuis Pochette surprise où l’étrange iconoclaste venu de Nancy prit la chanson par surprise, c’est son vingt-sixième. En 30 ans, sa voix d’émail s’est posée sur tous les genres: ballades déglinguées, complaintes déchirées, rock lourd et glauque, le tout toujours perclus d’un peu de nuit et rédigé avec l’extraordinaire beauté de textes en points d’interrogation. Ce métier, il l’avait pourtant abordé, dit-il, "avec détachement"…
"J’suis un animal sauvage, pas très bon à la carrière. Je suis mené par une ambition d’artiste assez instinctive. Je crois que ce qui trouble beaucoup les jeunes d’aujourd’hui, c’est l’obligation au succès immédiat… Moi, si j’ai traversé les averses, c’est parce que je ne me préoccupais pas de la météo", ricane le tout nouveau sexagénaire.
En 2004, il se barrait à New York avec famille, pinceaux, guitares et bagages. Dans son studio au dix-neuvième étage d’un building de la 59e Rue, ce diplômé de l’École des beaux-arts qui exposa pour la première fois à 15 ans se consacre désormais essentiellement à la peinture, entre de brèves tournées: "Je l’ai toujours dit sans qu’on l’entende: la chanson me permet de poursuivre mes recherches de plasticien. Ici, on ne me connaît que comme peintre. Alors qu’en France, quoi que je fasse, je serai toujours le chanteur qui peint."
Il l’avoue, son exil dépend aussi des conditions actuelles de l’industrie du disque, qui le désolent: "J’écris toujours, mais j’ai quelque peu cessé de croire au pouvoir de transmission de la création en chanson. À l’inverse de la peinture qui ne souffre pas de l’industrialisation pour les masses, la chanson est devenue terriblement soumise aux effets d’un marketing qui veut rassasier à court terme… Pour cet album, j’ai été "blacklisté" à la télé française, probablement parce que relégué par les programmateurs à une ancienne image… ce qui est insupportable! Car quoi que j’aie pu faire, je dois vivre au présent pour exister. Et je ne nourris pas mes enfants avec des souvenirs!"
Voyageur devant l’Éternel, Charlélie a toujours saisi l’occasion d’enregistrer pour se jeter dans des contextes dépaysants. La vibration des villes – Nassau, Melbourne et même Québec (où il a jadis enregistré Crocodile) – a certes influencé sa musique. Mais cette fois-ci New York, et le studio installé dans la chambre 1606 de l’Hôtel 57, s’avère plus qu’une inspiration de transit: "Les gens t’encouragent ici, mais les mots ne les intéressent pas, seulement les actes… La liberté, ici, c’est encore de pouvoir se construire soi-même. C’est un monde dans un monde…" Cet état d’esprit ambiant a donné naissance à un disque flagrant: "J’essaie de faire passer des messages pas totalement évidents en les appuyant de musiques lourdes qui les rendent accessibles à tout le monde sans ce maniérisme qui a parfois détourné l’attention du message."
De ses apostrophes à haute voix sur l’échec populiste des créateurs dans Même à Spielberg jusqu’au danger de généraliser l’humain selon sa nationalité dans le soliloque Tous les hommes, en passant par le classicisme parfait de Juste un instant, New-YorCoeur s’avère une sorte de rare analyse ouverte qui coïncide avec sa permanente préoccupation quant au statut multidisciplinaire de l’artiste. De ses constantes réflexions là-dessus, on retiendra cette formule lapidaire lancée en fin de conversation: "Être un artisan, c’est formuler des réponses; être un artiste, c’est poser des questions. Et je crois que c’est ce que je fais le mieux."
Charlélie Couture
New-YorCoeur
GSI Musique
À écouter si vous aimez
Hubert-Félix Thiéfaine
Rodolphe Burger
Bashung