Afrobeat : Beat international
Musique

Afrobeat : Beat international

Le Festival de Jazz célèbre les 10 ans de la mort du légendaire Fela Kuti, le père de l’afrobeat.

Musicien génial et inspiré, mais dégôuté des agissements du gouvernement de son pays à la fin des années 60, le Nigérien Fela Anikulapo Kuti (1938-1997) donna naissance à l’afrobeat en concoctant un mélange explosif de funk, de jazz et de musique Yoruba pour exprimer sa volonté de changement social. Composant de virulentes diatribes, écrites en pidgin – l’anglais du petit peuple -, contre la dictature militaire, la corruption qui gangrène les élites, mais qui décrivent aussi la misère de la rue et suggèrent à l’Africain qu’il doit conquérir sa liberté par un retour aux sources qui lui rendra son identité, Fela subira le harcèlement constant des forces de l’ordre, toute sa vie durant.

En fusionnant le funk furieux de James Brown et le hard bop des années 1950-1960 avec les rythmes juju et highlife, Fela développe des compositions d’au moins un quart d’heure chacune, mettant en valeur des cuivres rugissants et des percussions polyphoniques hypnotiques. Ces rythmes irrésistibles attirent de nombreux musiciens à la recherche d’un médium qui leur permettrait d’assouvir leurs fantasmes musicaux – comme le batteur Ginger Baker (Cream), qui enregistrera l’album Stratavarious avec lui en 1972 -, et l’inspiration de Fela en devient le phare.

Worldbeat

Pour la formation montréalaise Afrodizz et son leader Gabriel Aldama (Club Soda, 28 juin, minuit), l’illumination se produit alors que ce dernier étudie en musique à Concordia. "Un ami est venu chez moi pour digitaliser un lot de vinyles de Fela. Pendant deux jours, je me suis mis à capoter sur cette musique et à l’analyser", affirme-t-il. Puis il s’appliqua d’abord à repiquer ces partitions, pour ensuite développer ses propres compositions et monter le groupe qui lui est maintenant fidèle depuis presque six ans. "Au départ, j’étais attiré par la musique latine, mais c’est probablement le côté dansant, basé sur les percussions et accessible à tous, qui m’a convaincu. Nous sommes partis du son traditionnel afrobeat pour y ajouter graduellement nos propres influences", ajoute Gabriel. Pour cette occasion spéciale au Club Soda, la formation comprendra 16 musiciens, ainsi que 6 danseuses et durera plus de 3 heures. La totale, quoi!

Martin Perna, saxophoniste baryton du collectif afrobeat de New York, Antibalas (première partie de Femi Kuti, au Métropolis, le 30 juin), en fit la découverte par un échantillon de Sorrow, Tears And Blood, tel qu’utilisé par le X-Clan vers 1991. "Au-delà du genre musical, c’est le côté "protest songs" de Fela qui m’a toujours allumé: je le vois comme un Dylan ou un Cohen africain", dit-il. La formation new-yorkaise a évidemment injecté ses propres influences musicales telles que le jazz expérimental propre à sa scène locale et les rythmes latinos, omniprésents dans le Bronx et Brooklyn. "Antibalas a un côté très rebelle, fidèle au genre et à l’esprit de Kuti, mais malgré le métissage et un son résolument urbain, nous sommes considérés comme un groupe afrobeat et nous n’avons pas l’intention de nous éloigner de ces racines".

"L’afrobeat veut éveiller les consciences et supporter le combat du peuple", annonce d’entrée de jeu Femi Kuti (Métropolis, le 30 juin). Il a été créé par mon père Fela Kuti, et il s’agit d’un amalgame de tous les genres musicaux qu’il aimait bien alors qu’il était encore enfant. Vous avez le juju nigérien et le highlife ghanéen (connu comme le rock’n’roll africain) fusionnés au jazz, funk et soul américains. Ces éléments de base ne changent pas même si, de nos jours, on peut y ajouter des éléments hip-hop et en faire des remixes, ajoute-t-il. N’oubliez pas que Fela était reconnu pour savoir exprimer précisément sa pensée en tout temps… Les choses étaient différentes à la fin des années 60, une période radicale où les gens voulaient de l’action plutôt que des promesses; on le comprend bien dans ses premiers textes", explique son fils.

Son frère aîné, Seun Kuti (Grand événement, le 3 juillet), synthétise, lui, sa définition de l’afrobeat en un mot: vérité. "Même de nos jours, l’afrobeat demeure la voix du peuple! Dans mes chansons, je parle de la corruption générée par le pétrole, la politique et la distorsion de l’information chez nous. Je pense que j’ai un rôle important à jouer pour le développement de mon peuple, donc évidemment j’ai une ambition politique pour aider à développer mon pays plus tard", ajoute-t-il. Les frères Kuti font tous deux état de l’amour de leur père pour la musique de Miles Davis, John Coltrane et Charlie Parker, dont les disques tournaient en boucle au foyer familial, tout autant que la musique "classique" africaine. On dirait bien, finalement, que l’Amérique et l’Afrique ont musicalement beaucoup plus en commun qu’on serait d’abord porté de le croire…

Dates, lieux et horaires variés
www.montrealjazzfest.com

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LES RENDEZ-VOUS SAMSUNG

Le FIJM n’est pas reconnu pour faire les choses à moitié, thématiquement parlant. Au-delà du Grand événement en compagnie de Seun Kuti et Egypt 80 – le groupe fondé par son père -, d’un Métropolis avec Fémi Kuti et Antibalas et d’un spectacle de minuit, au Club Soda, d’Afrodizz, quelques autres belles surprises afrobeat nous attendent dans le cadre de la série Les rendez-vous Samsung (sur l’avenue du Président-Kennedy): le 28, la formation américaine Budos Band de Staten Island, dont la musique, aux accents psychédéliques, est basée sur l’afrobeat période 68-73. Puis, le 30 juin, un quintette d’Ottawa dont ont dit beaucoup de bien, le Souljazz Orchestra. On décrit le son de Nomo de Détroit comme la rencontre de Konono #1 et Tortoise… À découvrir le 7 juillet. Et finalement, pour la clôture du festival le dimanche 8, le collectif montréalais Papa Groove foulera en dernier cette scène. Du groove, du funk des cuivres et des percussions à profusion sur 10 jours… que demander de plus?