Les Grandes Veillées de La Baie : Une musique souveraine
Musique

Les Grandes Veillées de La Baie : Une musique souveraine

Une nouvelle tradition est sur le point de naître dans l’arrondissement de La Baie. Les Grandes Veillées, un festival de culture et de musique traditionnelles, rassemblera conteurs, musiciens et podorythmistes… Entrevue avec Yves Lambert, porte-parole de l’événement.

Yves Lambert quittait sa vieille bottine en 2003 pour marcher pieds nus dans l’aube. Si les premiers pas loin de ses premières amours l’ont sans doute un peu dérouté, il semble aujourd’hui se sentir mieux chaussé que jamais. "J’ai jamais aimé mon métier comme maintenant. Et j’ai jamais joué de la bonne musique comme maintenant." Puisque des chemins se séparent et d’autres se croisent, autour de celui qu’on appelle maintenant Monsieur Lambert gravitent dorénavant quatre jeunes musiciens : Nicolas Pellerin (violon, pieds, voix), Olivier Rondeau (guitares, voix), Tommy Gauthier (violon, bouzouki, mandoline, voix) et Simon Lepage (contrebasse, basse).

Cette indépendance chèrement acquise porte aujourd’hui ses fruits, libérant du coup l’esprit du chanteur et musicien. Sans doute est-ce le résultat de l’expérience de milliers de turlutes, Yves Lambert ne garde plus sa langue dans sa poche. Devant l’urgence de la crise identitaire québécoise, il écorche les médias, l’adhésion répandue du Québécois moyen au fast identity kit américain qui y est largement diffusé.

C’est décidément une nouvelle facette de Lambert qui surgit depuis qu’il a pris le large, donnant l’impression de reprendre une parole longtemps étouffée. Cette ouverture soudaine n’est pas sans incidence sur son travail, qui prend une tournure beaucoup plus engagée: "Je l’étais, engagé, dans la Bottine. Mais j’avais pas l’droit. Pour moi, c’est essentiel. Mon métier artistique est complètement intégré à mes convictions politiques. C’est évident que je trouve ça très important. Ce qu’on fait, dans le contexte dans lequel on le fait… C’est là que ça se passe."

Les opinions politiques de Lambert reprendront aussi leurs droits sur le prochain album qu’il prépare avec son Bébert Orchestra. Parmi les textes issus de la mémoire collective – ce que le chanteur associe à une tradition plus rurale – se glisseront aussi des textes dits plus urbains, ceux de poètes québécois contemporains reconnus pour leur engagement politique (Raymond Lévesque, Gilbert Langevin, Gaston Miron, Gérald Godin…). L’un de ces morceaux est une improvisation en studio de six minutes autour d’un texte de Gérald Godin: "Le texte est vraiment très bon. Admettons qu’il dit ce qu’il a à dire", lance-t-il avec ce roulement de R caractéristique, rappelant ce roulement de tambour qui annonce invariablement qu’une chose importante est sur le point de se produire…

RETOUR AUX SOURCES

Pendant les dernières années, la nouvelle vie de Lambert a provoqué son lot de remises en question. Le principal intéressé semble aujourd’hui avoir l’assurance de celui qui, sans renier ses racines, continue de progresser. Après avoir été maître de scène pour la Bottine pendant 23 ans, il va sans dire que son image de bonhomie festive et enjouée lui colle à la peau… Pourtant, pour celui qui croit par-dessus tout à l’importance de la mémoire, il arrive que se fasse sentir le besoin de se sortir de ce personnage, pour que la fête ne devienne pas un simple prétexte à l’oubli.

Mais c’est aussi – et surtout – ses choix artistiques qui sont teintés par son désir de revenir aux sources de la musique traditionnelle. "Ça fait depuis 1984 que j’ai commencé à métisser la musique québécoise, ça fait quand même une bonne "escousse". Moi j’appelle ça les figures de style. Pour se démocratiser, on a eu besoin d’amener d’autres rythmes là-dedans, de la métisser… J’ai encore ce réflexe-là, mais plus vraiment de façon intellectuelle. C’est beaucoup plus de façon organique, émotive. C’est vraiment de l’intérieur. Il y a plein d’influences mais c’est intégré. C’est de l’arrangement pur et simple."

"La matière est là, et elle est diablement intéressante, continue-t-il. Il y a un beat québécois, une façon de jouer la musique au Québec qu’il faut respecter. C’est sûr que tu peux mettre du hip-hop là-dedans. Tu peux tout faire…" Phrase qu’il termine sur des points de suspension qui s’étirent non sans cynisme.

Le retour aux sources s’effectue aussi dans la collecte des chansons. Car la voix doit également être donnée aux petites gens qui perpétuent une tradition méritant d’être connue. "Ce qui est bien avec la musique traditionnelle, c’est qu’elle est présente dans tous les tissus familiaux, partout au Québec." Le chanteur cumule d’ailleurs les anecdotes, racontant comment un commis de quincaillerie lui a offert un enregistrement sur cassette audio de sa mère chantant quelques airs chargés de l’histoire familiale, ou comment une femme de la bourgade de Saint-Didace lui a révélé un répertoire complètement inconnu… "C’est partout. C’est pour ça que c’est important de prendre conscience de son existence. Cette musique-là est encore l’objet de préjugés. On avance un peu dans la considération des gens, mais il y a encore beaucoup de préjugés. C’est un réflexe de colonisés…" lance-t-il avant de s’emporter – juste un peu, mais tout de même: "Le Québec attire même plus les touristes par manque d’exotisme. On veut tellement ressembler aux Américains… À c’t’heure ça ressemble aux États, ça fait qu’ils ne viennent plus, les Américains. J’suis tanné de ça… Tout pour s’à-plat-ventrir devant les États. Moi je trouve ça absolument révoltant. Et pendant ce temps-là, la culture en reperd tout le temps, les gens en sont de moins en moins proches… Moi c’est pas les gens que je blâme… C’est ceux qui ont la responsabilité d’amener l’éducation aux gens. C’est terrible ce qu’ils font présentement."

LES GRANDES VEILLÉES

La naissance d’un nouveau festival est sans doute un grand événement. Surtout pour la musique traditionnelle, qui ne jouit pas d’un réseau de diffusion très développé au Québec. "Il y a un noyau qui est extrêmement dynamique, dans le milieu traditionnel, mais ce qui manque c’est vraiment des endroits pour performer. On ne profite pas non plus des grands médias, on est toujours dans la marginalité, dans l’underground traditionnel…"

C’est pourquoi il s’est laissé convaincre lorsqu’il a été approché pour être porte-parole des Grandes Veillées de La Baie, il y a de cela un an et demi. "Le public est là et ne demande que ça. Il y a urgence à cause de cette espèce de tendance à l’uniformisation de la culture et d’un manque flagrant en éducation. Au Québec, présentement, la carence est là. Politiquement, il faut mettre l’accent sur l’éducation et sur la culture. À quelque part, on voit que ceux qui ont fait les réformes n’ont pas eu les priorités nécessaires. Le résultat, c’est que les gens, au Québec, sont de moins en moins sensibles à l’énergie de la musique."

Paradoxalement, c’est bien connu, la musique traditionnelle québécoise jouit d’une excellente reconnaissance à l’échelle internationale. "Il y a l’espèce de phénomène des groupes traditionnels qui "jousent" beaucoup à l’extérieur, mais au Québec, c’est toujours plus difficile. Je parle de musique traditionnelle, mais je pourrais parler de jazz, de toutes les formes d’art qui ne sont pas mainstream. Ça fait que ce genre d’événement-là, c’est quelque chose d’essentiel pour la survie de notre milieu. C’est diablement important que les Québécois puissent écouter ce qui se fait en musique identitaire, présentement, au Québec."

Au quai Lepage de La Baie
En clôture des Grandes Veillées de La Baie
Le 8 juillet
Voir calendrier World/Reggae

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La musique traditionnelle
L’album Récidive de Monsieur Lambert
La Bottine souriante