Grand Corps Malade : Grand Slam
Avec la venue du populaire Grand Corps Malade et l’événement Bienvenue à Slam Cité présenté par Ivy le même soir aux FrancoFolies, Montréal entre de plain-pied dans l’ère et l’aire de la slam-poésie.
À force d’être utilisés à toutes les sauces, les termes "slam" et "slam-poésie" ont fini, à l’instar de bien des mots à la mode, par se voir galvaudés et détournés de leur sens initial. Entendons-nous donc pour d’emblée définir le slam comme une compétition amicale de poésie orale, arbitrée par des juges choisis dans l’assistance et encadrée par des règles plus ou moins strictes, dont celle de la brièveté des textes; et la slam-poésie comme lesdits textes poétiques faisant l’objet de cette compétition.
Depuis sa création à Chicago par l’Américain Marc Smith au milieu des années 80, le slam suscite pas mal d’engouement de part et d’autre de l’Atlantique, tant dans l’anglophonie que dans la francophonie, ce que même ses plus fervents champions ne sauraient expliquer. "Je ne suis pas le mieux placé pour essayer d’analyser tout ça, admet sans ambages Grand Corps Malade, le slammeur francophone le plus médiatisé de l’heure. Mais que ce soit en France ou au Québec, il existe un véritable amour de la langue, des mots, et ce, depuis très longtemps. Et c’est vrai que le slam, c’est un retour au texte. Moi, j’ai des textes simples, je parle de choses concrètes, quotidiennes. Peut-être que ça plaît aux gens parce qu’ils s’y retrouvent."
UNE BOUCHE ET DES OREILLES
Manifestement, les gens ont été nombreux à se retrouver dans les histoires et méditations poétiques de ce trentenaire, né Fabien Marsaud à Saint-Denis, en banlieue de Paris, et propulsé première grande star du slam francophone dès la parution de Midi 20, son premier album, en mars 2006. Paru sous la prestigieuse étiquette Universal, le disque évoque sa vie, son patelin, son grand chagrin d’amour et le grave accident de plongeon, survenu en 1997, qui l’a privé pendant près de trois ans de l’usage de ses jambes et lui a inspiré son nom de scène. Le succès de Midi 20, vite classé en tête des ventes d’albums français et couronné de deux trophées aux Victoires de la musique, permet à Grand Corps Malade de se produire dans des salles de plus en plus grandes et souvent à guichets fermés.
Mais qui dit pareil succès dit également levée de boucliers… Ç’a notamment été le cas pour Grand Corps Malade et ses confrères de la scène slam, dont le statut de poètes s’est vu contesté par une partie des poètes littéraires de l’Hexagone et d’ailleurs. À la lumière de cette controverse qui sévit toujours en France comme chez nous, on peut se demander ce qui distingue la slam-poésie de la poésie littéraire écrite. "Avant tout, c’est l’oralité, d’affirmer Grand Corps Malade. Le slam peut être comparé à beaucoup de choses, mais il vit d’abord à l’oral et n’existe que dans la bouche de quelqu’un. Le slam, c’est une bouche qui donne et des oreilles qui prennent."
Mais quand les slammeurs prennent d’assaut un festival de chanson comme les FrancoFolies, se sentent-ils apparentés aux artisans de la chanson, du rap ou même d’autres formes d’expression orale comme le conte? "C’est vrai qu’on est un peu à la frontière de tout ça, acquiesce Grand Corps Malade, qui d’ailleurs reprenait récemment à sa manière Les Trompettes de la renommée sur le collectif en hommage à Brassens, Putain de toi. Moi, je me sens proche du rap parce qu’un texte de slam-poésie peut se rapprocher d’un rap, c’est assez bavard, il y a beaucoup de mots. Et on n’est pas loin de la chanson à texte, ni des poètes classiques."
MONTRÉAL SLAMME-T-ELLE?
Ivy: "Contrairement à la France, on n’a pas de gens uniquement fourbis en slam. Mais ça donne beaucoup de diversité, beaucoup de jeu sur la langue."photo: Biberian Orselli |
Figure de proue de la scène spoken word chez nous, cofondateur du groupe Slamontréal (avec Bertrand Laverdure et quelques autres), grand gagnant des Francouvertes de 1997 et auteur d’un recueil de poèmes paru au Noroît en 2005 (Les corps carillonnent), le poète Ivy, alias Ivan Bielinski, renchérit volontiers: "En partant, le poème est écrit avec l’intention de le donner à entendre. L’insistance sur la rime, que plusieurs ont soulignée, n’est pas essentielle à la slam-poésie, même si on la retrouve beaucoup en France et aussi chez les Anglos. Reste qu’à la base, le slam, c’est plus une forme de soirée de poésie qu’un genre. Et ce qui définit vraiment cette compétition de poésie à l’amiable, c’est la volonté de parler directement aux gens, de les attirer vers la poésie."
On peut se demander ce qui distingue la scène slam montréalaise (du moins, la francophone) de celle de Paris. "Au Québec, il n’y avait à peu près pas de scènes régulières. Et c’est un peu pour cette raison que, personnellement, j’ai tenu à voir défiler sur la scène des gens de tous les milieux de la parole, si on veut. Contrairement à la France, on n’a pas de slammeurs-slammeurs ici, pas de gens uniquement fourbis en slam. Mais ça donne beaucoup de diversité, beaucoup de jeu sur la langue. Et même si le slam vient à peine de naître officiellement ici, il y a des gens qui oeuvraient en français dans la marge depuis des années qui trouvent enfin un écho à leur travail. Alors je dirais qu’on a du slam de très haut calibre ici, parce que ses artisans y viennent avec une longue expérience."
Précédé par sa renommée et le tapage médiatique qu’elle suscite, Grand Corps Malade est passé par Montréal l’automne dernier, notamment pour promouvoir son album mais aussi pour tâter le terrain. "C’était très court, deux, trois jours en novembre dernier, un petit contact surtout avec les journalistes, mais un peu avec le public québécois parce que j’ai participé à un petit festival (Voix d’Amériques) de façon improvisée le dernier soir, une espèce de scène ouverte avec divers artistes." Bien que cette visite-éclair ait contribué à faire connaître davantage la slam-poésie, il s’est trouvé des gens dans le milieu montréalais pour craindre que la médiatisation à outrance du personnage de Grand Corps Malade ne brouille un tantinet les pistes et finisse par donner au public métropolitain l’impression que la slam-poésie se résume au travail du jeune homme de Saint-Denis. "Quand je l’ai rencontré l’automne dernier, rappelle Ivy, Fabien lui-même disait que bien qu’il soit issu du slam, son disque n’était pas slam à proprement parler, que c’était une oeuvre hybride. Je suis moi-même en train d’enregistrer un disque hybride du même type. L’ennui, c’est qu’on ne peut pas contrôler la réception des gens…"
UNE CERTAINE IDÉE DU PARTAGE
En tout cas, s’il est un point sur lequel Grand Corps Malade et Ivy se rejoignent, c’est cette idée de démocratie et de partage qui sous-tend la conception même du slam. "L’idée de démocratisation de la prise de parole rejoint l’intention de Marc Smith qui voulait abolir la distance entre les poètes académiques et ceux de la rue, rappelle Ivy. Cette intention s’est traduite aussi dans la volonté d’abolir la distance entre le public et la poésie, même au risque de la voir glisser dans l’amateurisme."
Pour sa part, inquiet de l’accentuation des inégalités sociales déjà présentes dans une France qui vire de plus en plus à droite, Grand Corps Malade continue à ce jour d’animer des ateliers d’écriture de slam-poésie auprès des jeunes dans les cités et ailleurs. "Cet accès à la parole, tout le monde en est friand. Et sans rentrer dans les clichés, peut-être encore plus en banlieue, parce qu’on a affaire à des jeunes qui n’ont pas souvent la possibilité de s’exprimer et qui peuvent se sentir à l’écart d’un certain système. C’est vrai que c’est important, important pour tout le monde."
Grand Corps Malade
Le 1er août à 20 h (complet)
À la Salle Wilfrid-Pelletier de la PdA
Bienvenue à Slam Cité et Abd Al Malik
Le 1er août à 23 h
Au Spectrum