Juliette Gréco : Des nouvelles du front
Musique

Juliette Gréco : Des nouvelles du front

Trente-six albums et toujours le désir de dire. À l’âge où d’autres somnolent, Juliette Gréco remonte sur scène soutenir un disque délicieux avec une grâce inouïe.

Ça barde en Provence! En cette aride fin de juillet, de vastes feux de broussailles s’approchent dangereusement du parvis de quelques maisons de Ramatuelle, là où Juliette Greco passe généralement ses étés avec son mari, le pianiste et merveilleux arrangeur Gérard Jouannest. Le vrombissement des Canadair et hélicoptères qui arrosent le brasier ont beau rendre la conversation difficile, Gréco, stoïque, tousse mais ne s’en inquiète guère: "C’est terrible, mais il y a bien mille pompiers, que pourrais-je faire de plus!" dit-elle en refusant de remettre à plus tard la conversation portant sur son nouvel album et sa tournée.

Contrairement au précédent qui comptait des originales de Miossec, Gérard Manset, Benjamin Biolay, et qui, des Inrock à Paris Match, lui valut autant les hommages de la presse alternative que ceux des magazines people, Le Temps d’une chanson ramène Gréco vers une poignée de classiques qu’en 57 ans de carrière elle avait délibérément contournés: "C’est un choix d’amour et de mémoire, dit-elle, mais il faut avoir l’impression d’apporter quelque chose de différent à ces chansons. Sinon à quoi bon?"

Eh non, la plus illustre des interprètes de la chanson française n’avait jamais chanté, pas même sur scène, Un jour tu verras de Mouloudji, Mathilde de Brel, La Chanson de Prévert de Gainsbourg ni même Avec le temps de Ferré! "Il était très fâché, Serge… Quant à Léo, j’aimais trop quand il la chantait, c’était, pour moi, parfait. Je croyais ne pouvoir rien y apporter… Et puis il est parti et je me suis dit qu’il aurait aimé que je la chante… Quand les gens qu’on aime s’en vont, il faut continuer de parler d’eux, sans cela ils meurent."

Des classiques que la Muse a pris à contre-pied, en ralentissant, en soupesant sobrement, avec une sorte de gravité infinie, chaque mot, chaque phrase, comme si la vie en dépendait: "C’est simplement à cause de la beauté des mots. La beauté est absolument indispensable! Qu’est-ce qu’on ferait si le monde était laid!" explique-t-elle avec un charme et une passion inaltérés.

Enregistré somptueusement à New York en moins de trois jours avec un grand orchestre et quelques musiciens de jazz dont Michael Brecker, Wallace Roney et Joe Lovano, Le Temps d’une chanson recèle aussi quelques surprises telles Les Mains d’or de Lavilliers ou Né quelque part de Maxime Le Forestier: "Quand je la lui ai fait entendre, je tremblais comme une feuille. C’est une chanson importante, alors c’est grave, ce genre de moment. Il était très, très surpris."

Soutenant ce disque de Berlin à Reykjavik, sur scène, pour la toute première fois, Gréco chante un titre en anglais: Over the Rainbow: "A priori, c’est une chanson rose dentelle, mais durant la guerre, c’était interdit de chanter en anglais. Pour moi, c’est devenu un chant de combat, je sortais de prison pour cause de résistance."

Sur YouTube, les images sépia de la jeune Gréco vêtue en garçonne, interprétant Sous les ponts de Paris, rappellent le côté iconoclaste de la fille libérée chantant l’existentialisme de Sartre et vivant des amours tourmentées avec Miles Davis: "J’étais un objet de scandale absolu. Moi, en revanche, je m’amusais bien. Le but de l’opération, c’était le bonheur et ça l’est toujours… Car le temps importe peu. J’ai 80 ans mais je n’en sais rien. Je n’ai pas eu le temps de m’en préoccuper. Je préfère mourir que de stopper."

Le 4 août à 20 h
Au Théâtre Maisonneuve de la PdA
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