The Souljazz Orchestra : L'hymne qui soulève
Musique

The Souljazz Orchestra : L’hymne qui soulève

The Souljazz Orchestra approfondit son art dans les traces de ses maîtres. Rencontre avec le claviériste Pierre Chrétien et la chanteuse Marielle Rivard, unis dans la parole et le geste.

The Souljazz Orchestra invite à la fête avec ses mantras revendicateurs et ses rythmes emballants qui mêlent l’afrobeat, le funk, le soul et le jazz. Sa raison d’être est de faire frétiller les popotins tout en intégrant à ses airs des messages politiques qui revendiquent et dénoncent avec verve. Autour du dynamique claviériste Pierre Chrétien, du batteur Philippe Lafrenière et des saxophonistes Zakary Frantz, Ray Murray et Steve Patterson gravite une brochette d’invités dont le troubadour Mighty Popo et les suaves chanteuses Marielle Rivard et Alanna Stuart. Le joyeux ensemble sillonne les routes canadiennes en caravane, multipliant les sorties, les distances et les publics, qui le réclament toujours plus nombreux: "On a fait le Festival de jazz de Montréal devant 10 000 personnes, notre plus grosse foule jusqu’à maintenant et la plus grosse affluence de spectateurs à la scène Samsung en 2007!" s’exclament les deux amis, visiblement heureux d’un tel succès.

SAVOIR D’OÙ L’ON VIENT…

The Souljazz Orchestra réchauffe la froide capitale depuis plus de cinq ans. Ses deux albums, Uprooted (2005) et Freedom No Go Die (2006), ont obtenu un grand succès auprès de la critique et du public d’ici et d’ailleurs. Après avoir été groupe maison au Café Nostalgica, au Mercury Lounge et au Babylon, l’ensemble à géométrie variable a trouvé un équilibre qui lui permet de s’attaquer au marché mondial avec un aplomb qui ne surprendra pas ceux qui le côtoient depuis ses débuts. "On joue moins qu’avant, mais il a fallu arrêter parce qu’on saturait le marché. Maintenant on joue moins souvent et on fait des plus gros concerts. La qualité plutôt que la quantité", indique Pierre Chrétien. Une sage décision qui donne aux prestations un caractère événementiel, ajoutant encore un brin d’euphorie.

Comme chez leurs idoles James Brown et Fela Kuti, on ne peut s’empêcher de remarquer la puissance de la décharge d’énergie qui circule entre les musiciens du groupe et l’auditoire lors des prestations. Comprendre le Souljazz, c’est aussi comprendre l’afrobeat, une musique popularisée en Afrique dans les années 1970 qui fusionne le funk, le jazz et les musiques traditionnelles africaines, créée sous l’égide de Fela Anikulapo Kuti, décédé en 1997. Un art éminemment politique dont les fruits ne sont pas seulement destinés à un usage esthétique, l’ambiance festive demeurant au service du message, destiné à unir et à soulever le public.

Bien que leurs hymnes s’attaquent d’abord aux inégalités et aux injustices qui sévissent de par le monde, les membres du Souljazz Orchestra véhiculent un discours politique qui prend racine dans le contexte canadien: "J’ai d’ailleurs écrit une chanson après avoir lu J’ai serré la main du diable, le livre de Roméo Dallaire. On écrit à propos de ce qu’on connaît." Bref, c’est les pieds bien ancrés et le regard porté à l’horizon que le groupe exprime la révolte des insoumis.

POUR SAVOIR OÙ L’ON VA

photo: Brian Goldshmied

Aujourd’hui, le Souljazz attire l’attention des connaisseurs, musiciens et critiques: "Étant donné que nous jouerons ensemble à Calgary au mois d’août, le claviériste de Fela m’a contacté. Il disait qu’il adorait notre musique, qu’il avait hâte de nous rencontrer. Je lui ai réécrit en lui disant qu’il était un de mes idoles, que j’avais passé plusieurs heures à l’étudier!" s’étonne le claviériste, tout sourire sous le soleil d’Ottawa.

L’orchestre a aussi réchauffé la scène pour Femi Kuti, le fils de l’autre, cet été sur les plaines LeBreton à l’occasion du Bluesfest. Marielle Rivard est restée marquée par sa conversation avec l’homme: "Il est ultracharismatique et très humble en même temps. Il est très digne de qui il est, de sa musique. Il ressemble tellement à son père."

Femi est venu lui-même féliciter le groupe après le concert, un moment inoubliable même si les éloges envers leurs performances se multiplient à la vitesse du son. Parmi eux, celui du DJ Gilles Peterson de la radio BBC1, qui a inclus l’envoûtante Mista President à sa liste des 10 meilleures chansons de 2006. Une visibilité concrète qui se traduit, entre autres, par une participation au prochain Virgin Music Fest à Toronto et l’organisation d’une tournée européenne pour 2008.

"Mais la notoriété, ça peut avoir l’effet contraire. On s’est fait contacter par des multinationales pour mettre notre musique sur leurs produits", déplore Marielle. Une offre que le groupe s’est empressé de rejeter: "Coca-Cola voulait se servir de notre musique pour avoir l’air contre-culturel. Ah! Viens pas m’achaler, là! Vous allez contre tout ce que l’on prône!" ajoute Pierre, peu impressionné par le potentiel lucratif d’une telle alliance. Une intégrité qui appuie l’affirmation du claviériste lorsqu’il soutient qu’il faut beaucoup de discipline pour faire du funk.

Le groupe prépare un album pour 2008 et a déjà rehaussé son répertoire de quelques pièces. L’expérience acquise dans les derniers mois a porté fruit selon Pierre: "On commence à moins dépendre des invités, à s’appuyer davantage sur nos atouts et à développer notre son." Car c’est maintenant sous son propre nom que le Souljazz est reconnu, la création prenant assurément le pas sur l’interprétation. Comme le remarque Marielle, "on le voit dans les festivals; même si les gens ne connaissent pas l’afrobeat, le soul ou le funk, ceux qui aiment danser passent et sont enveloppés. Ils veulent rester pour bouger avec nous". Là réside toute la force du Souljazz, une présence active qui soulève littéralement l’auditoire, réduisant toujours la ligne qui sépare musique et politique. Fela serait fier.

Le 16 août à 21h45
Au parc Britannia – Festival folk d’Ottawa