Émilie Proulx : À doute toutes!
Musique

Émilie Proulx : À doute toutes!

Dans une époque inquiète, avide de certitudes, Émilie Proulx fait des chansons de doute qui sont paradoxalement l’affirmation de son envie de ne pas sombrer dedans.

Fin janvier 2007, Émilie Proulx lança un tout petit disque mince et sobre. Vingt et une minutes d’introspections, de ruminations intérieures sur l’élasticité du temps. Cinq chansons interrompant l’horloge, semblables à ce moment singulier où une plongeuse cherche en elle-même le courage de quitter le tremplin, de se mouiller, comme si son ombre la poussait dans le dos, comme si sa conscience lui murmurait: "Vas-y! T’es capable!"

Pourtant, dans le vaste dossier de presse qui suivit la parution de Dans une ville, endormie, ce disque trituré discrètement en sous-sol, pas une seule fausse note. Des obscurs fanzines Internet à la grosse Presse du samedi en passant par Voir, que du bien, que du bon à propos de cette fille-orchestre: auteure-compositrice, productrice, arrangeuse. Un quasi-triomphe, tout juste entrecoupé d’étonnements répétés, regrets ou compliments, à l’égard de la tristesse de ses textes: "Douleur de vivre", dit-on…

Rencontrée dans un café, entre dîner et apéro, la jeune fille de 26 ans, toute menue, vive et limpide, qui n’affiche ostensiblement rien de souffreteux, s’étonne encore qu’on fasse autant de cas du ton sobre et doux de ses chansons: "Visiblement, ça surprend parce qu’ici, peu d’artistes font ce genre de musique. Ailleurs, ça se fait beaucoup, et personne ne le remarque à ce point…"

Mais si elle attribue à l’environnement de son enfance en campagne, dans le rang 2 de Saint-Célestin, son penchant pour le monde intérieur ("J’étais probablement plus solitaire… Dans un rang, on voit moins de monde qu’en ville. On apprend à jouer tout seul. J’ai peut-être vécu un peu plus dans l’imaginaire", dit-elle), le petit mal de vivre de Que passent les heures ou de La peur me montre vers où aller s’explique bien simplement par l’envie de ne chanter que ce qu’on vit. Point.

DOUTE-REDOUTE

Or, écrites majoritairement il y a quatre ans, au moment charnière où les angoisses du futur incertain prennent le dessus sur l’insouciance de la jeunesse, ces chansons sont, à cette image, hésitantes, inquiètes: "J’ai étudié la musique, l’horticulture, quitté l’école, travaillé dans des centres jardins, vendu des disques chez Archambault, donné des cours d’informatique, joué de la musique… J’ai déménagé 14 fois en 10 ans! À 25 ans, j’avais l’impression que le temps commençait à m’échapper. Que vais-je faire de ma vie? Cette question, je l’entendais aussi continuellement tout autour de moi. Et je me la pose encore…"

"Pire, poursuit-elle, la première chanson que j’ai écrite s’intitulait Chanson plate. J’étais persuadée que ce serait mauvais et j’ai décidé de faire une chanson à partir de cette conviction… Pourquoi me mentir et faire des chansons roses? Le doute fait partie de nos vies et il faut s’en accommoder. Je souhaite simplement être vraie et que les auditeurs le sentent. Je ne peux que faire confiance à cette spontanéité. On verra ce que ça donne. En tout cas, ça mène à des endroits plus intéressants que si je composais des polkas…"

Les derniers mois ont un peu changé la donne. Boursière du Conseil des Arts du Canada, soutenue par son étiquette de disques, Émilie ne se consacre plus qu’à la musique et à la finalisation de son premier vrai album sur lequel elle joue toujours de tout, hormis de la batterie. Des chansons, encore, comme la très belle Les masques tombent, jetées hors du temps: "Je n’ai pas envie de faire des chansons anecdotiques. Je me demande pourquoi mes chansons devraient saisir quoi que ce soit de réel. Je crois que même en l’absence de détails, les repères sont facultatifs…" hésite-t-elle, en confessant qu’elle ne se pose pas vraiment ce genre de questions. "Il y a beaucoup de sentimentalité en musique… Peut-être trop. Je préfère Tu m’aimes-tu à Star Académie."

Elle confesse aussi des prédilections qui s’accordent bien à son tempérament fluide: "Joni Mitchell, Radiohead, Pink Floyd, Talk Talk. Des idoles, parfois des inspirations qui touchent et qui rejoignent aussi intellectuellement. L’aspect sonore de ces musiques, la réalisation, créer des univers pleins d’images un peu cinématographiques, enveloppantes, ça me plaît énormément. L’impulsion de base est musicale."

Première visite officielle dans la capitale depuis sa participation au 15e anniversaire de Voir Québec en avril, 10e vrai spectacle… "En concert, avec cinq musiciens, il y a une énergie, une présence qui s’éloignent des expériences que je faisais dans ma chambre avec ma guitare et un multipiste…"

Mais toujours la même retenue un peu indéfinissable: "J’aime les imperfections, la part de doute. Je ne veux pas chanter parfaitement. J’aime le naturel…Dans la vie aussi: pas de maquillage, pas de rouge à lèvres. Jamais! Ça doit être mon héritage grunge! Mais pourquoi en mettre plus? Je suis quelqu’un de concis. J’essaie de dire les choses en quelques lignes. Je ne suis heureuse qu’en étant moi-même. À long terme, l’honnêteté, je crois, est la chose la plus rentable."

Le 17 août à 18h30
Dans la cour du Séminaire de Québec
Dans le cadre de l’International de musique folk de Québec

Émilie Proulx
Dans une ville, endormie
(GSI/La Confiserie
Dist. Select)