Alfa Rococo : Mettre le cap
Après Les Jours de pluie, Alfa Rococo met le cap sur un ensoleillement graduel qui couvrira le Québec en entier en un rien de temps! Entrevue matinale avec le charmant duo.
On leur doit le tube de l’été: Les Jours de pluie d’Alfa Rococo a tourné partout avec sa groovy-pop sucrée qui nous promettait des jours meilleurs. Cette pièce ouvre d’ailleurs leur premier album, Lever l’ancre, qui paraissait ce printemps et qui a depuis reçu des fleurs de la critique, des nominations – prix Félix-Leclerc et au GAMIQ pour meilleur album indie-pop -, en plus de rallier les radios de la province. Serait-ce le mariage douceur des deux voix, féminine et masculine, qui séduit les tympans? Ou cette apparente légèreté musicale aux accents rétro et électro qui renferme néanmoins des textes d’une profondeur certaine? La réponse se trouve vraisemblablement dans le nom même de la formation, dont la personnalité allie flegme et ingénuité.
ALPHA ET ROCOCO
Lui, David Bussières (le frère de la splendide Pascale), a étudié en musique et a été le guitariste attitré et posé des formations Dobacaracol et André, avant de faire partie de la tournée européenne Dralion du Cirque du Soleil. Plutôt sérieux, à son affaire, avec des connaissances poussées en musique, il est le membre alpha du groupe.
Elle, Justine Laberge (soeur d’aucun illustre acteur), est tombée dans le chant comme on glisse sur une peau de banane. Angoissée excessive, elle tergiverse sur son avenir et se fait des cheveux blancs à l’université, après des études en arts et lettres, en massothérapie, et quoi encore. Pour apprendre à se détendre, elle prend des cours de yoga et de chant – dont on lui avait vanté les vertus relaxantes. Son "nouvel instrument" lui servira en tant que choriste auprès d’Ève Cournoyer, en plus d’être la voix de trames sonores publicitaires et télévisuelles. Spontanée, excitée, toujours souriante, elle est la membre rococo du groupe.
À deux, ils forment un prisme lisse quoique anguleux, qui voyait le jour en 2004 et qui vogue de plus belle sur les eaux pourpres et tumultueuses de l’indie-pop québécoise.
COLLISION FRONTALE
C’est par l’entremise d’amis communs que les deux artistes dans l’âme se rencontrent dans une fête il y a plusieurs années. David approchera alors Justine pour "tester sa voix" sur une chanson qu’ils parachèveront à deux. "David s’était équipé d’un petit studio maison et il voulait le tester. Ça a été compliqué au début parce que je ne voulais pas qu’il me regarde lorsque je chantais. Alors, fallait mettre un rideau (rires)! Je ne pensais tellement pas que j’étais capable de chanter! Ça a été long avant que je sois moins gênée. Encore maintenant, j’ai une pudeur parce que c’est un accident de parcours, le chant, ce n’était pas prévu!" lance la belle à la voix un brin enfantine.
Prenant un réel plaisir à cette première collaboration et enthousiasmés du résultat, ils remettent ça et composent quelques textes conjointement. Inscrits au concours Francouvertes de Montréal, David devra renoncer à y participer en raison de son embauche dans la tournée Dralion en tant que guitariste. Le petit futé y voit alors une belle occasion de travailler sur des compositions le jour – traînant un petit studio improvisé -, pour se produire sur scène le soir. Il fit ainsi venir Justine et ils créèrent la majorité des pièces de l’album et du démo en tournée. "Les voix que l’on entend sur Les Jours de pluie ont été "tapées" en Espagne dans une chambre d’hôtel", relate fièrement David. Et Justine d’ajouter: "On avait refait les voix en studio à Montréal, mais il n’y avait pas la magie du démo… Même si c’était pas parfait, il y avait quelque chose qui se passait là-bas." C’est donc sur un autre continent, entourés de leurs amis "flyés" de la tournée que la signature d’Alfa Rococo a pris du tonus: "C’était notre premier public. On faisait des nouvelles chansons et il y avait des gens de partout dans le monde qui écoutaient nos chansons. Des personnes venant de l’Inde trippaient sur notre musique!" s’exclame Justine.
TORRENT ET ACCALMIE
Qui dit duo dit aussi duel, et l’exception ne fut pas faite chez Alfa Rococo, où deux fortes personnalités ont dû calmer leur ego afin de se gréer d’une âme musicale commune. "La dynamique entre nous a beaucoup changé dans le processus de création de l’album. Au début, on avait plus de misère, avec l’orgueil, on tenait vraiment chacun notre bout et on se prenait la tête relativement souvent", commence David. Justine poursuit, amusée: "S’il y avait une chanson qui plaisait plus à David, elle me plaisait moins à moi et vice versa. On n’arrivait pas à mettre nos idées ensemble. On se battait entre nous et avec les chansons. Finalement, on s’est fait confiance, on a mis nos ego de côté et on s’est rendu compte que c’était bénéfique: ça donnait un résultat nouveau qui nous plaisait aux deux."
Le tandem prenait ainsi conscience de ses forces et faiblesses, du penchant alpha comme de celui plus rococo… "On se complète bien, assure Justine. David est fort de sa formation musicale, et moi non, sauf que j’ai peut-être la naïveté ou la spontanéité qu’il a perdues." David confirme: "C’est un couteau à double tranchant d’étudier en musique. Souvent tu perds la petite touche simple et efficace… Tu es amené à beaucoup réfléchir à chaque affaire et je suis en train de me débarrasser de ça."
Cette combinaison "mini-wheat" – comme s’est plu à la comparer David – se retrouve aussi dans la musique qui, sous des dehors très joyeux et festifs, renferme des textes empreints d’une inquiétude certaine face aux lendemains. "Il y a une certaine dichotomie, c’est groovy et dansant, mais les textes sont plus sérieux, voire sombres", reconnaît David en faisant référence à Horribles Gens et Plus rien à faire. "Ce qui m’inquiète, ce sont les gens qui semblent faire abstraction des grands enjeux mondiaux, ceux qui s’en foutent, qui attendent juste de crever. À ce titre, la pièce Laboratoire traite de toute cette énergie déployée pour détruire plutôt que de construire", complète ce grand observateur poétique, qui se plaît à écrire dans l’autobus, s’achetant des tickets sans destination précise. "C’est comme la seule place sur Terre où tout le monde se regarde et ça ne dérange pas!"
La poésie des textes est donc venue naturellement pour le tandem qui met régulièrement dans le lecteur les Gainsbourg, Leloup, M, Mano Negra et compagnie. Amoureux du français, ils font un pied de nez aux joual et revendiquent en outre l’étiquette pop. "Aujourd’hui, on est capable de faire de la pop de bon goût. Le bassin est tellement large, ça va de Bruno Pelletier jusqu’à Beck. Nous nageons plus proche de Beck que du côté de la pop sirupeuse", mesure David.
Sur l’album qu’ils ont coproduit, les deux amis ont fait appel à Mathieu Dandurand pour les assister la réalisation, en plus d’une dizaine de musiciens chevronnés. "Pour l’album, on voulait vraiment employer la technique du do it yourself parce qu’on a tout ramassé l’argent pour le faire; on voulait vraiment que ce soit à notre goût." Quatre musiciens les suivront cet automne dans différentes régions du Québec pour une tournée qui comprend la première partie de Stefie Shock pour quelques représentations. En attendant, le deuxième simple Lever l’ancre a été lancé et devrait rapidement prendre le chemin des radios. Attention, cette pièce est tout aussi contagieuse que la première et a l’heur de coller dans la membrane auditive longtemps… longtemps… longtemps!
Le 1er septembre à 20h
Au Parc La Baie
Dans le cadre du Festival de montgolfières de Gatineau