Kent Nagano : Citoyen du monde
Élevé en Californie, sur le bord du Pacifique, Kent Nagano a gardé de la Côte Ouest un tempérament très cool qui se mêle allègrement à l’esprit zen hérité de ses origines japonaises. Mais au-delà des origines, américaines ou japonaises, Nagano est un véritable citoyen du monde.
L’homme garde une base solide en Californie, où il dirige l’Orchestre symphonique de Berkeley depuis 1978 (il le quittera en 2009), il a aussi tenu les rênes de l’Opéra de Lyon, du Hallé Orchestra de Manchester, et du Deutsches Symphonie-Orchester de Berlin. Le voici à Montréal avec l’OSM… et à Munich, où il est directeur musical de l’Opéra d’État de Bavière (Bayerisches Staatsoper). Il participait à ce titre en juillet dernier à pas moins de 12 concerts dans le cadre du Festival de l’Opéra de Munich (qui présentait 60 événements, dont 19 opéras différents, entre le 28 juin et le 31 juillet). Bien sûr, Kent Nagano dirigeait aussi un concert de l’OSM à Montréal et deux au Festival de Lanaudière durant le mois de juillet… De quoi se demander si le maestro n’en fait pas un peu trop… Rencontré à son bureau de la Place des Arts, Kent Nagano est loin de songer à ralentir la cadence: "Dans un certain sens, avec la responsabilité de diriger une institution comme l’OSM, on n’en fait jamais assez… Même s’il peut sembler que l’agenda est très chargé, je priorise toujours la qualité plutôt que la quantité. J’ai bien sûr une passion pour les arts, mais aussi une détermination à offrir aux organisations dans lesquelles je m’engage le temps dont elles ont besoin pour assurer le développement de leur potentiel. Il m’a semblé clair, dans le cas de l’OSM, que le potentiel y était, et que j’avais la possibilité d’arriver à l’aider à se réaliser; je ne vois pas d’autres façons de le faire qu’en y mettant le temps."
NOUVELLES FRONTIÈRES
Y mettre le temps, c’est aussi partir en tournée avec les musiciens de l’orchestre, afin de vivre avec eux au rythme de la route. C’est ainsi qu’en avril dernier, le chef et son équipage traversaient le Canada en passant par Yellowknife, Vancouver, Calgary, Toronto, Kitchener, Ottawa, Québec et St-Jean, Terre-Neuve. "C’était important pour l’orchestre, parce que l’OSM est aussi un orchestre québécois, et le Québec est une partie très importante du Canada. Les musiciens étaient emballés de pouvoir faire découvrir leur style à travers le pays. Nous en avons bénéficié énormément en tant qu’orchestre. Très peu d’entre nous avions déjà visité Yellowknife, et je n’avais certainement jamais été aussi près du cercle arctique! Je n’avais jamais vu cette beauté très spéciale, cette lumière… Ça nous a beaucoup rapprochés." Cette saison, c’est au Japon que l’OSM tournera pour la première fois.
L’Orchestre symphonique de Montréal n’avait jamais participé non plus au Festival international du Domaine Forget, dans Charlevoix, avant le 10 août dernier. C’est un peu comme si Kent Nagano voulait montrer à tous, après que l’OSM eût passé quelques années sans directeur musical et après une longue grève terminée juste avant son concert inaugural en septembre dernier, que son orchestre est bel et bien de retour, et plus vivant que jamais. La question le pique: "Oh! Je pense que l’orchestre a toujours été très vivant! Très dynamique! C’est simplement une part de notre mission que d’aider les gens à réaliser l’importance des arts. Et c’est peut-être plus important aujourd’hui que ça ne l’a jamais été! Nous avons été très chanceux récemment: la plupart de nos concerts ont été donnés devant des salles combles. Il y a 3 000 places à Wilfrid-Pelletier; c’est un nombre relativement petit, et c’est pourquoi nous devons sortir de la salle de concert à l’occasion, pour rejoindre les gens qui ne peuvent pas s’y rendre." Quitte, même, à jouer dans un stade de football! L’OSM jouait en effet devant 7 000 personnes le 11 août dernier au Stade Percival-Molson à l’invitation des Alouettes de Montréal. Le concert, au bénéfice de deux organismes qui viennent en aide aux enfants, a permis de recueillir 80 000 $. Kent Nagano se réjouit d’avoir pu participer à cet événement rassembleur: "Le stéréotype qui dit qu’il faut avoir une certaine éducation, ou appartenir à une certaine frange de la population pour comprendre cette musique est complètement faux. C’est pourquoi nous devons faire des efforts afin de démontrer que la porte est grande ouverte et que tout le monde est invité. Je sais gré à Larry Smith et ses collègues des Alouettes pour cette collaboration. La musique est un langage international… comme le sport!"
TRADITION ET NOUVEAUTÉ
Depuis l’annonce de son arrivée à la direction musicale de l’OSM, Kent Nagano, connu pour être un fervent défenseur des musiques d’aujourd’hui, a souvent répété qu’il ne voulait surtout pas bousculer les traditions établies par l’orchestre. Cependant, l’été dernier, il déménageait la série Mozart Plus de son habituelle basilique Notre-Dame à la "maison mère", la salle Wilfrid-Pelletier. "J’aime beaucoup la basilique, se défend-il, mais nous étions préoccupés par le confort de notre public durant certaines périodes de l’été qui peuvent être vraiment inconfortables pour des personnes qui ont des problèmes de santé ou qui sont âgées. Nous avons reçu plusieurs commentaires nous demandant d’offrir ces concerts dans une salle climatisée." Un problème qui pourrait trouver sa solution dans… une nouvelle salle? "Peut-être! L’une des réalisations vraiment importante pour moi dans l’année qui vient de passer, c’est la vitesse avec laquelle l’orchestre et moi avons pu établir une bonne communication. Habituellement, ça prend des années pour développer une relation de cette qualité, quand ça arrive! Nous avons atteint une profondeur que vous ne pouvez pas entendre à Wilfrid-Pelletier… Les nuances, les miroitements de couleur, les variations de tempo microscopiques, tous les détails qui font une bonne performance ne peuvent être perçus dans cette salle. Les défauts de la salle nous poussent à jouer "gros", mais ce n’est pas satisfaisant pour un orchestre qui peut faire tellement plus! Nous admirons tous l’excellence de l’OSM, mais je suis convaincu que ce n’est rien en comparaison de ce que ça pourrait être dans de meilleures conditions. Ce point de vue est partagé par beaucoup de gens et c’est ce qui me rend optimiste."
Si la saison dernière a marqué le retour de l’OSM à la tournée, cette saison marquera son retour à l’enregistrement. Un projet de DVD avec L’Enfant et les Sortilèges, de Ravel, et un CD Messiaen sont en préparation: "Nous avons déjà enregistré les Poèmes pour Mi (1937) et nous compléterons avec Chronochromie (1959-1960) (interprétée à Wilfrid-Pelletier le 10 janvier 2008). C’est un projet qui s’inscrit dans le cadre de l’année Olivier Messiaen (né en 1908), un compositeur qui était encore considéré d’avant-garde il y a peu de temps, mais au XXIe siècle, il est maintenant dans le grand répertoire." Et la saison à venir de l’OSM compte de nombreux compositeurs du XXe siècle (ou du XXIe): "Denys Bouliane, Claude Vivier, Paul Frehner… Unsuk Chin écrit pour nous une pièce que nous jouerons à Carnegie Hall, et nous donnerons en première canadienne son Concerto pour violon. Il y en a plusieurs autres." Et nous serons sans doute nombreux à aller les entendre.
Les 4 et 5 septembre à 20h
À la salle Wilfrid-Pelletier
SOIRÉE D’OUVERTURE
La contralto Marie-Nicole Lemieux participait au concert d’ouverture l’année dernière, elle accompagnait l’OSM durant sa tournée canadienne en avril dernier, et la revoilà devant le maestro pour chanter des airs de Mozart en ouverture de saison. Kent Nagano explique: "Très objectivement, elle est de classe internationale et on célèbre son talent partout. De plus, elle est d’ici! Le Canada a produit un nombre important de grands talents, et si nous travaillons avec eux, c’est bien parce qu’ils sont des artistes exceptionnels."
Lors du concert d’ouverture, le 4, Kent Nagano commencera la soirée à 19h30 sur l’esplanade de la Place des Arts en dirigeant un orchestre formé d’étudiants du Conservatoire de musique de Montréal et de l’Université de Montréal. Le pianiste Alain Lefèvre interprétera alors la Rhapsody in Blue de George Gershwin. Le chef retournera à l’intérieur pour diriger l’OSM, et, après avoir ouvert le concert avec Also Sprach Zarathustra, de Richard Strauss, il dirigera simultanément les deux orchestres (à l’intérieur et à l’extérieur) dans l’Adagio et fugue en do mineur de Mozart; à l’entracte, il retournera dehors pour diriger l’Adagio de Barber!