Fabiola Toupin : La messagère
Musique

Fabiola Toupin : La messagère

Fabiola Toupin aura fait languir son public. Après plusieurs années, elle livre enfin son premier vrai album, Je reviens d’ici.

Interprète trifluvienne au charisme indéniable, Fabiola Toupin évolue dans l’univers musical québécois depuis 12 ans. Si elle a déjà chanté avec l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières et participé à l’opéra-folk Un éternel hiver de Lynda Lemay, elle n’avait jamais enregistré de disque solo de façon professionnelle avant Je reviens d’ici, galette mâtinée de poésie. Elle raconte que cela n’était pas une nécessité pour elle, curieusement.

"Les gens me l’ont réclamé avant que j’en ressente le besoin. Pour moi, la vraie rencontre avec le public, le vrai sens de ce métier-là, c’est sur scène. Je trouvais qu’un album, c’était quelque chose qui s’inscrivait davantage dans une démarche de show-business, dans laquelle je n’ai jamais vraiment été à l’aise. Avec le temps, ma réflexion a évolué. Je sentais que je portais quelque chose en dedans de moi qui commençait à être lourd. Et je me suis rendu compte que c’était cet album que je désirais, inconsciemment, depuis plus longtemps que je ne le pensais", explique-t-elle avec verve. Cependant, si Je reviens d’ici a vu le jour, c’est avant tout parce que Pierre Verville et Réjean Bouchard, les coréalisateurs, lui ont posé un ultimatum. Bouchard partait vivre trois ans au Maroc; le disque devait se faire maintenant ou jamais. En neuf jours, la fougueuse artiste enregistre donc 13 chansons au Studio Newton à Saint-Louis-de-France. Un vrai marathon… de bonheur. Tout le travail se déroule dans une ambiance décontractée. "Je me suis sentie comme la petite soeur qu’on voulait protéger et dont on voulait être sûr que le premier album soit autant à son goût qu’au nôtre. À quelque part, je n’ai pas l’impression que c’est mon disque. Il est autant une fierté pour Réjean, Pierre et tous les musiciens qui y ont participé", dit-elle en énumérant les Dominic Laroche (basse), David Robert (batterie), Jacky Molard (violon), Dominique Lebozec (clarinette) et Didier Dumoutier (accordéon) qui l’ont épaulée dans ce projet qui laisse beaucoup de place à la spontanéité. "On n’est pas tombés dans le piège du mieux. À rechercher le meilleur, on laisse souvent filer les petits moments magiques."

DIVERSITÉ CULTURELLE

Hétéroclite, Je reviens d’ici part dans différentes directions. Les musiques, composées par son fidèle acolyte Manu Trudel, mordent autant dans le folk, le tango, le dixie, le rock que le genre latin. Seule la poésie – elle chante les mots de Serge Mongrain, Yves Boisvert, Jean-Paul Daoust et Guy Marchamps, entre autres – tisse un lien solide entre les pièces. Un pari audacieux. "Pour ce premier album, on s’est dit qu’on se campait dans quelque chose de très personnel et d’intègre. Ça me plaît d’offrir ça, comme image. Peut-être n’ai-je pas sorti d’album avant parce que j’ai toujours eu de la difficulté à savoir où je me positionne dans l’univers musical québécois? J’ai fait toutes sortes de trucs; j’aime les mots et la poésie. Avant tout, pour moi, c’est le texte qui est important. Je ne crois pas avoir un style musical plus qu’un autre", défend-elle. D’ailleurs, à cette question, celle qui se définit comme une communicatrice avoue n’avoir jamais su quoi répondre. "Je pense que mon vrai talent est de complètement habiter et de rendre vivant le texte que je propose. Je crois que c’est à ce moment-là que la voix devient belle. Sans ça, je ne pense pas que je chante bien. C’est le propos qui suscite l’émotion et l’émotion, la beauté dans la voix."

TROUVER SES MOTS

En plus d’avoir transcendé la peur de sortir un disque, Fabiola Toupin a signé le dernier titre, Entre vous et moi. Un passage obligé en quelque sorte. "C’est comme s’il avait fallu que je passe par le rôle d’auteure pour me donner le droit de n’être qu’une interprète… Je n’aime pas dire ça. Je m’explique. Dans le milieu, on me demande souvent: "Est-ce que tu fais juste chanter? Écris-tu tes chansons?" C’est peut-être un mélange de ma perception et de ce que les gens essayent de me dire de façon maladroite; aujourd’hui, c’est difficile de valoriser l’interprète. À l’époque, les Pauline Julien et compagnie étaient considérées comme de grandes artistes qui portaient à bout de bras les poètes du Québec et qui les faisaient connaître partout. Aujourd’hui, quand on est interprète, on est considéré comme une personne manipulée un peu par l’industrie, une personne qui n’a pas de propos, qui a plus ou moins de démarche artistique. Alors que moi, j’ai toujours senti que je m’appropriais très bien ma démarche artistique, que j’avais des choses à dire et que le choix de personnes avec qui je travaillais était important. À travers cette chanson-là, c’est un peu ça que je dis. Est-ce que je peux être seulement interprète et que ça soit suffisant?" Elle ajoute doucement, les yeux étincelants: "J’ai toujours été là où je sentais que je pouvais habiter le propos. J’ai trop de respect pour ce métier-là pour le faire juste pour le flashing, la performance, le tape-à-l’oeil. Je pense que le public mérite plus que ça. Si la nature a créé des artistes, je pense que c’est parce qu’elle a besoin d’abord d’un témoin de la beauté, de l’émotion qui nous habite. On a besoin d’avoir des phares qui nous disent qu’on est tous pareils, qu’on est tous fragiles à la même place, qu’on a tous peur du jugement et d’être seuls… Moi, je me sens porteuse de ça."

Fabiola Toupin
Je reviens d’ici
(Indépendant)