Macy Gray : Plus grande que nature
Musique

Macy Gray : Plus grande que nature

Diva du rhythm’n’blues contemporain, Macy Gray profite du festival Osheaga pour présenter au public montréalais son album Big et son univers esquissé avec une plume trempée à l’encrier de l’humour noir.

"Quand j’étais gamine, un de mes oncles, qui venait souvent à la maison, m’a confié qu’il avait tué quelqu’un, raconte la chanteuse Macy Gray avec une certaine candeur. Je lui ai demandé comment il se sentait et il m’a dit que c’était très libérateur, un mot que je n’ai pas trop compris. Mais ça m’a beaucoup impressionnée, fait un peu peur aussi. Et je n’ai jamais su si c’était vrai."

L’anecdote n’est pas sans rapport avec Big, cinquième album de la diva en huit ans et premier album studio depuis The Trouble with Being Myself, qui avait connu un semi-échec en 2003. Sur un ton pince-sans-rire, la chanson Strange Behavior met en scène un couple dont le bonheur se voit compromis par des impératifs financiers: "We were happily married until he waived a gun at me / I said, "What’s with all your strange behavior?" / He said, "I love you, baby, but you got a big insurance policy / And I really need the paper"". Par un revirement de situation assez ironique, c’est l’aspirant meurtrier qui se fait descendre par son épouse à qui, décidément, le pragmatisme ne fait pas défaut.

La chanson fait écho à une antérieure, I’ve Committed Murder (tirée du premier album de Gray, On How Life Is), qui relatait aussi un meurtre impuni. Manifestement, la confidence du tonton a laissé son empreinte dans l’imaginaire de sa nièce. "Je n’avais pas fait le lien: je vais passer pour une obsédée, rigole Macy Gray. Pourtant, je vous assure que je n’ai jamais tué personne. Reste que dans les histoires de meurtre, au cinéma, à la télé, c’est le point de vue du tueur qui m’a toujours fascinée. Comment vit-on avec la conscience d’avoir ôté la vie à un autre?"

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Née Natalie Renee McIntyre à Canton, Ohio, la chanteuse (qui allait emprunter son nom de scène à une vieille voisine de sa famille) retient aussi de son enfance ces sept années de cours de piano classique. Mais l’écoute des disques d’Aretha Franklin, Stevie Wonder et Marvin Gaye, découverts à l’adolescence, donne l’impression de l’avoir marquée davantage. "Mais j’écoute et j’aime tous les genres de musique depuis toujours: le jazz, le blues, le rock, le soul, le hip-hop, absolument tout", affirme Macy Gray.

Son timbre de voix nasillard et acide, qui lui attirait les moqueries de ses compagnons de classe, l’inscrit dans la filiation d’une Ann Peebles, mais on pourrait remonter la lignée jusqu’à Dinah Washington et Billie Holiday. "Je suis une grande fan de Billie Holiday", confesse Gray, qui a débuté dans le métier en interprétant des standards au sein d’un combo de jazz qui tournait dans les bars de Los Angeles. Évidemment, les personnages féminins auxquels elle prête désormais sa voix font preuve d’un tempérament fort différent de celui des amantes brisées qu’incarnait si souvent Lady Day. À leurs complaintes désespérées ("Well, I’d rather my man would hit me/Then for him to jump up and quit me", chantait par exemple Billie dans Ain’t Nobody’s Business If I Do), Macy Gray oppose une lucidité de bad girl moderne: "I thought I’d die when you left/But I’m still taking a breath/I’m okay", entonne-t-elle dans Okay, hymne de la divorcée triomphante. Autres temps, autres moeurs, comme le veut le dicton.

L’éclectisme de Gray se reflète sur Big, où des orchestrations rhythm’n’blues classiques se marient au rock, au jazz et au hip-hop. Outre les méditations sur le meurtre comme solution aux contentieux conjugaux, il y a ici le lot habituel de chansons sur les hauts et les bas de l’amour et même, plus rare, une pièce sur les bonheurs de la maternité (What I Gotta Do). Par leur climat, certaines plages (Finally Made Me Happy, One for Me, Get Out et Treat Me Like Your Money) rappellent manières et périodes de Sa Très Éclectique Majesté Pourpre, Prince, dont Gray apprécie l’oeuvre. Sur les critères qui la guident dans la décision de retenir ou non une chanson, la diva se prononce à peine. "Il y a pas mal d’humour sur ce disque, mais ce n’est ni généralisé, ni délibéré. Mes proches me disent que je suis drôle et je le suis sans doute. Alors l’humour peut parfois être un critère, en effet."

Sur la question de l’état des lieux de la musique populaire, l’enfant terrible du rhythm’n’blues contemporain est cependant plus catégorique, voire un brin nostalgique. "La musique pop n’est plus ce qu’elle était, vous savez. Le soul, le rock et même le hip-hop n’ont plus l’énergie ni l’âme d’antan. Je ne suis peut-être pas la meilleure juge de mon propre travail. Mais je sais que j’aimerais dans l’avenir sortir de mes petites histoires personnelles, m’attaquer à des sujets plus vastes, à des thèmes sociaux et politiques. J’aimerais un jour faire un album de l’envergure de What’s Going On de Marvin Gaye. Mais je n’en suis pas encore là…"

THINK BIG!

Pour la réalisation de Big, Macy Gray a fait appel à will.i.am, membre des Black Eyed Peas, formation avec laquelle la chanteuse avait précédemment collaboré. Même si le rappeur-réalisateur n’a pas toujours eu la main heureuse (on se souviendra en grimaçant de Timeless, l’album qu’il avait réalisé pour Sergio Mendes), Gray ne tarit pas d’éloges à son sujet: "Parce que will est lui-même un artiste, il me comprend mieux que bien des réalisateurs. Et puis, c’est un esprit musical tellement créatif, tellement innovateur." La griffe du jeune loup du hip-hop est discernable sur Ghetto Love et, plus particulièrement, sur Treat Me Like Your Money, où il y va même de quelques rimettes grinçantes sur l’amour des billets verts, que n’aurait peut-être pas reniées l’Avare de Molière ("I keep yo’ picture right next to my Benjamin Franklin/And if you take my money, girl, I’ll give you a spankin’").

Tant qu’à y être, la diva a également sollicité la participation de Fergie, aussi membre des Black Eyed Peas (sur Glad You’re Here), de même que celle d’une idole de jeunesse, Natalie Cole, qui lui donne la réplique sur Finally Made Me Happy. "On ne se connaissait pas vraiment avant, mais je l’ai toujours admirée et elle a accepté mon invitation sans hésiter. Tout s’est très bien passé en studio et, l’autre soir, elle est même venue me rejoindre sur scène pendant un de mes concerts."

Parlant de concerts, quand on lui demande ce à quoi les festivaliers montréalais devraient s’attendre en termes de performance, de musiciens et, pourquoi pas, d’invités, Gray demeure économe de détails: "Je ne veux pas trop en dire, pour ne pas gâcher l’effet de surprise", raille la star, dont certaines frasques ont fait un personnage controversé. Et il est vrai qu’elle aime bien ménager les surprises, autant pour elle que pour son public, qui avait justement eu l’étonnement de la voir interpréter son propre rôle dans le premier volet des aventures cinématographiques de Spiderman et de la découvrir comme comédienne dans le drame policier Training Day. Sur ce front, une récidive en vue? "Eh bien, j’ai recommencé à lire des scénarios, admet celle qui était initialement venue à Los Angeles pour suivre des cours de scénarisation à la University of Southern California. Je n’ai pas arrêté mon choix, mais c’est sûr que j’ai gardé l’envie de faire du cinéma. Quel genre? Je ne sais pas encore, mais j’aime beaucoup les polars…"

Sans blague? Eh bien, le tonton présumé assassin a vraiment de quoi être fier de son influence!

ooo

BAD GIRLS

Critique sévère de la musique pop contemporaine, Macy Gray applaudit cependant le travail d’Amy Winehouse: "J’aime beaucoup son plus récent CD, sa voix, ses chansons et la réalisation. J’aime aussi son énergie." Et pour cause! Comme sa cadette britannique, Gray appartient à cette génération de chanteuses dont non seulement la musique mélange volontiers des influences multiples mais dont les textes parfois crus font fi des conventions, de la bienséance et de la rectitude politique. Dans une certaine mesure, on pourrait dire que Betty Mabry Davis, les amazones de Salt-N-Pepa et Mary J. Blige avaient tour à tour ouvert un peu plus la voie à cette expression d’une certaine colère féminine. Ce qui en tout cas rapproche le plus Winehouse et Gray l’une de l’autre, c’est cet humour irrévérencieux qu’elles empruntent volontiers pour balancer au visage de leurs amants réels ou fictifs des phrases comme "What kind of fuckery are we? Nowadays, you don’t mean dick to me" (Winehouse dans Me & Mr. Jones). Donc, à défaut d’avoir Winehouse, on aura Macy Gray et on n’y perd pas au change. Et dire qu’on a failli les avoir toutes les deux!

Le 9 septembre dans le cadre du festival Osheaga
Au parc Jean-Drapeau
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