Ben Harper : Proposition insensée
Ben Harper et ses Innocent Criminals s’apprêtent à nous faire cette proposition impossible et insensée qu’on appelle le rock’n’roll. Avec passion et talent.
"Messieurs, j’ai maintenant Ben Harper en ligne", d’annoncer la charmante relationniste d’EMI Music. Comme de fait, l’auteur-compositeur-interprète est enfin avec nous, après une petite demi-heure de retard, prêt à répondre aux questions de la poignée de journalistes canadiens conviés à la téléconférence de presse. Avec intelligence, rigueur, conviction et un brin d’humour. "D’abord, fait-il remarquer sur un ton faussement sévère à un collègue, quand vous vous adressez à des musiciens qui ont parfois un ego assez considérable pour se concevoir comme des artistes, n’utilisez pas le terme projet pour décrire leur travail, c’est assez maladroit."
Une fois cette consigne dûment notée par tous, Ben Harper s’amuse à nous parler en plus amples détails de ce projet, ce onzième album en treize ans (en comptant les disques en concert), enregistré en sept jours à Paris, entièrement en mode analogique, un peu par nostalgie des années 70 – "l’âge d’or des enregistrements multipistes, si vous voulez mon avis", dixit le principal intéressé. Brillant amalgame de soul, de folk, de gospel, de rock et de blues, Lifeline ressemble à un concentré de ce que la musique pop en général et Ben Harper en particulier nous ont offert de mieux au cours des quarante dernières années.
"PLAY ANOTHER LONELY DAY, BEN!"
Souvenirs, souvenirs… La première fois que j’ai vu Harper, entraîné au Spectrum à l’été 1996 par une copine déjà conquise par sa musique, j’avais dû souffrir les cris du fan délirant qui partageait notre table. Plongé dans cet état proche de l’hystérie que provoquaient autrefois les Beatles de la première heure sur leur public de midinettes, le type n’avait cessé de réclamer à tue-tête la chanson Another Lonely Day, que Harper avait choisi de ne pas jouer ce soir-là, peut-être délibérément, qui sait?
Quand j’aborde le poids de certaines chansons (par exemple Fight Outta You, cet hymne à saveur sociale qui ouvre le nouvel album), leur impact parfois politique et la responsabilité des artistes, le chanteur reconnaît volontiers le fardeau qui est devenu sien au fil des ans: "C’est sûr, lorsque tu as le potentiel de provoquer une émeute avec ta musique, tu rends bien des gens nerveux", acquiesce le signataire de la chanson "coup de poing" sur le cas Rodney King (Like a King). "Il faut en avoir conscience. Je ne veux pas exagérer le pouvoir de la musique ou l’effet qu’elle peut avoir. Pas plus que je ne veux pas qu’on réduise la musique à sa seule fonction politique, ce serait presque une insulte. Après tout, ironise-t-il, la politique est une institution qui a échoué."
Il est comme ça, Ben Harper: diablement sérieux une minute, tout à fait cabotin la suivante, mais toujours soucieux du message à livrer. À l’évocation des retrouvailles de Led Zeppelin et des répercussions de la vague de reunion tours qui sévit actuellement sur le succès des artistes contemporains comme lui, celui qui estime sa vie familiale par-dessus tout se lance dans un plaidoyer sur le droit des artistes à mener des existences normales entre les tournées, entre les disques. "Juste parce que des gens comme eux se retirent pendant dix, quinze ans, ça ne veut pas dire qu’ils cessent d’exister. On ne peut pas mener une vie pareille, continuellement, sans répit. Je veux dire, le rock, c’est une proposition impossible et insensée, man! – Et c’est pourquoi nous l’aimons tant."
Les 24 et 25 septembre à 20h
Au Théâtre St-Denis
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À écouter si vous aimez /
Bill Withers, Van Morrison, Bob Marley