Jorane : Délier la langue
Jorane se rappelle à notre bon souvenir avec Vers à soi, un disque spacieux, vibrant et marqué par un rapport plus franc avec les mots. Rencontre.
"J’ai quelque chose à te montrer!" Avec cet air ravi propre à l’enfant qui vient de déballer son cadeau d’anniversaire, Jorane nous fait voir un exemplaire "fini" de Vers à soi, frais sorti de la manufacture. Fort bel emballage. Images superbes. Livret étudié. Pochette magique. On a entre les mains quelque chose qui tient de l’objet d’art. C’est comme si sa créatrice voulait laisser quelque chose qui déborde la musique. "Ça fait partie de ma démarche depuis le début, explique Jorane. Faire en sorte que le côté visuel colle à la musique qu’on va entendre. Chaque fois que je fais une photo, j’aime pouvoir laisser s’exprimer le côté créatif, laisser voler, quoi."
Un ange passe soudain. Jorane pose les yeux sur la table à café autour de laquelle nous sommes assis, puis déballe cette métaphore: "Tu peux avoir un comptoir de cuisine ben normal. Mais si tu me laisses le choix de la couleur et du matériel, des dessins, ah là, j’aime mieux ça."
Pour rester dans la métaphore domestique, nous offrons à Jorane notre théorie selon laquelle Vers à soi est beaucoup plus habité que le précédent The You and the Now. Le nouveau disque se comparerait à un cinq et demi chauffé, alors que l’autre n’était qu’un modeste deux et demi. Avait-elle conçu un plan d’aménagement particulier cette fois-ci? "Y avait pas de plan, s’esclaffe Jorane. Mais une chose est certaine, c’est plus ouvert, ça respire plus." Selon la musicienne, cela s’expliquerait en partie par le déroulement du processus d’enregistrement. "Pour The You and the Now, peut-être que j’avais eu trop de temps. Je suis quelqu’un qui travaille beaucoup sur l’impulsion. 16 mm s’était fait rapidement. Vent fou aussi. Là, on avait des limites de temps. J’aime ça. Ça ne me fait pas peur."
ÉLÉMENT DÉCLENCHEUR
Lorsqu’on la questionne sur la genèse de Vers à soi, Jorane propose plusieurs pistes de réponse, toujours à grands renforts de gestes ("Heureusement que je n’ai pas pris un café", rigole-t-elle). "J’avais décidé de prendre l’année 2006 off. Je suis allée en Inde passer du temps, notamment avec Jeunes musiciens du monde. J’avais besoin de me ressourcer. Puis il y a eu un trip de voilier. Et la grossesse aussi. Je suis sensible de nature, mais là, j’étais tellement perméable à tout. Et l’atelier d’écriture est arrivé."
Pour Jorane, ce qui a fait débloquer les choses pour de bon, c’est sans doute ce workshop qui lui a permis de trouver les mots pour le dire. "J’ai étudié en musique. C’est mon langage. Par contre, les paroles… Au début, ça tenait presque du hasard si j’arrivais avec un texte qui se pouvait. Vent fou avait des paroles en français, mais après ça je suis partie ailleurs. Pour The You and the Now, j’ai coécrit en anglais avec Simon Wilcox et Shira Myrow, qui ont des techniques d’écriture. J’ai continué de mon côté. Mais ce n’était pas pareil d’appliquer ça en français. Je suis allée faire un stage et ça a tout débloqué. Tout le petit chemin que j’avais fait avant, tout ça prenait son sens."
Il était impératif de concevoir cet album en français, poursuit Jorane. "La langue, c’est pas comme un morceau de linge que tu enlèves et que tu remets. C’est une peau permanente. J’étais passée par le monde instrumental, puis par l’anglais, et j’étais rendue là. Dire ce que je voulais dire en français. J’en avais envie, j’en avais besoin. J’ai maintenant les outils pour le faire."
Jorane
Vers à soi
(Tacca/Select)
À écouter si vous aimez /
Lisa Germano, Kate Bush, Tori Amos
TOUT NOUVEAU, TOUT SHOW
Jorane s’apprête à remonter sur les planches après une longuette sabbatique. À quoi s’attendre? À une grande tournée québécoise, qui ne négligera aucune région. "Le show promet, révèle Jorane, enthousiaste. Je serai accompagnée de Stephan Schneider et Miles Perkin, mes deux principaux collabos sur le disque. Un autre musicien, Pierre-Philippe Côté, jouera des claviers, de la guitare, de la contrebasse. C’est un show déjanté (rires)!" On répond qu’ils étaient déjà pas mal déjantés, les spectacles de Jorane… "Oui, c’est vrai. Mais à la fin, pour The You and the Now, j’étais assise tout le long. J’avais l’impression de partir mon gros char. Ce que je voulais, là, c’est offrir quelque chose qui bouge plus encore. Ce n’est pas du tout linéaire. On part en voyage. On s’en va vers des trucs colorés."