Le Husky : L’amour est sans pitié
Chanson moderne pour cyniques romantiques, c’est le récit des espoirs frustrés et du désenchantement, mais c’est aussi un rendez-vous avec l’existence dans ce qu’elle a de grand et d’urgent. Le Husky nous raconte l’histoire grinçante d’une vie de chien.
Yannick Duguay, autoproclamé Le Husky, se prépare pour l’hiver: "Je laisse derrière moi une époque charnière. En fait, je me débarrasse de certains côtés, je change de peau, je suis en train de muer." Chanson moderne pour cyniques romantiques est un album abouti, fruit d’un voyage initiatique à travers la vingtaine torturée de l’artiste. L’entrée en matière de son premier projet ne laisse aucun doute: il sera question des grands malaises de l’époque. L’auteur-compositeur-interprète livre en deux mots les thèmes de son oeuvre: l’absence et la rupture. Laconique, ce grand ténébreux repenti explique qu’après une période d’errance, il a trouvé un antidote à ce qui empoisonnait son existence: "Pour moi, le romantisme, c’est de toujours désirer ce qu’on n’a pas, comme si tout pouvait être comblé. La vie est souffrance, on manque de tout, tout le temps. C’est difficile d’exister et les femmes sont un maudit bon break, tout comme l’art!" Avis aux intéressés, le remède coûte cher, le traitement est long et parfois difficile…
L’artiste a mis quelques années à mûrir son premier opus: "Je travaille dessus depuis quatre ans déjà. Au début c’était juste les machines et moi. Le band est venu beaucoup plus tard, il y a un an environ." Le résultat final est convaincant, voire étonnant. Le ton mélancolique de la ballade d’ouverture évoquant un animal domestique, on oublie qu’on a affaire à une bête acharnée et dominante. Grave erreur! Le Husky nous ramène à la réalité en attaquant la deuxième piste avec un son mordant qui contraste grandement avec l’introduction mielleuse qui nous avait fait baisser la garde. Il maintiendra la cadence tout au long de l’entreprise.
Duguay nous livre une oeuvre accrocheuse, facile d’écoute et familière sur un ton qui lui permet d’aborder des sujets souvent très durs, comme le suicide et la maladie. "J’ai trimé fort pour développer quelque chose de bien au plan de la qualité artistique. Même si les thèmes sont parfois très durs, le vecteur est positif. C’est drôle, La Presse a titré "Les morsures d’un écorché" et Le Devoir dit "L’heure est grave". J’ai l’air pas mal lourd, mais tu sais, je ne vends pas de la drogue, je fais de la musique pop!"
Choisi pour sa portée symbolique, le nom du Husky s’inspire d’une rencontre avec l’arbitraire et la souffrance, mais aussi avec la force. En effet, le nom évoque un animal robuste, caractériel et indépendant. Des attributs qui collent bien à la peau du musicien. "J’ai réalisé le sens très positif du mot désillusion. Ça signifie qu’on ne vit plus dans le rêve, qu’on voit clair. À partir de ce moment-là, tu peux être actif dans le monde et être en phase avec lui au lieu de le rejeter parce qu’il ne répond pas à tes attentes."
VAGUE À L’ÂME
Duguay s’inspire beaucoup des vies tumultueuses des poètes maudits et des idéalistes finis, auxquels il se réfère souvent. Du Vaisseau d’or de Nelligan aux Fleurs du mal de Baudelaire, on comprend vite où l’auteur a fait ses classes. "J’étais ténébreux, j’avais des idées noires et je voyais le monde avec beaucoup de haine et de mépris dans la vingtaine. Je vivais mal l’échec de la rébellion. Tu sais, quand tu passes une soirée à refaire l’univers avec un chum, pis qu’en te levant tu te rends compte que la seule chose que le monde a de plus, c’est une gueule de bois…" Le face à face entre Duguay et la réalité a fait mal. "C’était un constat d’échec, comme Le Bateau ivre de Rimbaud, un idéal en train de crever de faim, une promesse de liberté qui finit en menterie et de l’enthousiasme perdu dans plusieurs nuits alcoolisées." Jetant un regard amusé sur son passé, il ajoute qu’il garde néanmoins un souvenir empreint de tendresse de l’adolescent qu’il était. "Je suis encore attaché à cet imaginaire-là; la poésie sacrifiée sur l’autel de la liberté. Je suis passé à autre chose, mais Rimbaud, c’était mon Jim Morrison, pour moi c’était une rock star!"
Assuré, confiant, un peu arrogant, chantant en plein Montréal et posant à moitié nu devant l’enseigne d’un cinéma porno, on s’imagine difficilement Le Husky traîner de la patte dans l’existence! Pourtant, nous dit-il, sa vingtaine n’était pas jojo: "J’ai longtemps été prisonnier d’un dégoût de moi-même. J’ai fait la paix avec ça quand je me suis rendu compte qu’il n’y a personne de vraiment mauvais là-dedans, qu’on essaie tous de faire de notre mieux avec ce qu’on a." Plutôt animal que mystique, Duguay a toutefois trouvé ses réponses dans la philosophie. "La tradition bouddhique dit que la première étape, c’est d’entrer en amitié avec soi-même. Le problème pour beaucoup de monde, c’est qu’ils ne s’aiment pas. L’autodestruction, c’est une méthode de haine appliquée. J’ai été longtemps là-dedans et je me suis rendu compte que rien n’allait changer si je ne sortais pas de ça. Dans ce sens-là, Chanson moderne est cathartique."
Refusant d’être ralenti par ses angoisses, Duguay s’est donné corps et âme à sa première production. "Je n’ai pas mis la main à la souris, mais je suis partout. J’ai choisi le label, j’ai choisi le graphiste, etc. Je ne veux pas perdre trop de temps avec la paperasse. De ce point de vue-là, Grosse Boîte, c’est le meilleur des mondes. Ils se tapent la job plate, moi je me concentre sur le plus important: faire de la musique. Je voulais que tous les aspects soient irréprochables, que rien ne dépasse. Je suis même allé passer une semaine à Rouyn chez celui qui a réalisé la pochette, Patrick Gauvin. Je couchais à côté de son bureau et il me réveillait pour me demander si c’était correct!"
Le 26 octobre à 21h
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