Buck 65 : Buck 57
Musique

Buck 65 : Buck 57

Buck 65 lance Situation, un album où Elvis Presley et Jack Kerouac servent une ingénieuse analyse culturelle.

"Les événements de 1957 ont, 50 ans plus tard, une influence directe sur notre manière de vivre", avance Buck 65 lorsque vient le temps d’expliquer le concept derrière son nouvel album paru le 30 octobre: Situation.

"C’est l’année où le Frisbee et le Tang ont fait leur apparition. Où le film et la chanson d’Elvis Presley Jailhouse Rock ont catapulté la musique rock au coeur de la culture populaire. Où la publication d’On the Road de Jack Kerouac a donné naissance à la beat generation. Où le mouvement de l’Internationale situationniste s’est formé en Italie."

Couché confortablement dans son lit où il passera la matinée à donner des entrevues, Ricardo Terfry, alias Buck 65, raisonne à la vitesse grand V. De retour à Toronto après quatre ans vécus à Paris, où il a "mangé beaucoup de bacon" avec ses compatriotes Feist et Gonzales, le rappeur décrit son nouvel opus comme étant le moins personnel de sa discographie. À travers des pièces réalisées avec aplomb par Skratch Bastid, il y analyse avec brio l’électrochoc culturel vécu en 57. Un concept développé lorsqu’il fréquentait une descendante du dadaïste Francis Picabia. "En m’intéressant au dadaïsme, j’ai découvert les écrits du Français Guy Debord et l’Internationale situationniste, un groupe qui, en 1957, souhaitait réveiller la société et changer sa manière de penser en utilisant l’art dada et surréaliste."

Or, toujours en 57, mais de l’autre côté de l’Atlantique, l’art s’employait justement à changer les mentalités. "Si tu prends Elvis dans Jailhouse Rock, l’idée du mauvais garçon qui devient une idole, c’est une image qui a contribué à la rébellion des jeunes. Le message était changé: au lieu d’être gentils, soyez méchants! Le personnage de Dean Moriarty dans On the Road véhiculait les mêmes valeurs. La pin up Bettie Page choquait les moeurs et incarnait aussi cette rébellion. Elle s’est retirée de la vie publique la même année."

"Je ne crois pas qu’Elvis ou Kerouac connaissaient la philosophie de l’Internationale situationniste en 1957. Et ça me semble fort significatif qu’au même moment, à différents endroits dans le monde, plusieurs personnes pensaient la même chose. Grâce à l’art, leurs idées ont changé les manières de vivre. Aujourd’hui, l’icône du jeune rebelle fait partie de la culture pop. On a encore en tête l’image du mauvais garçon qui circule en moto avec son manteau de cuir."

Si Buck 65 évite de décrire Situation comme un disque-concept, "un qualificatif qui effraie les gens", il affirme toutefois vouloir réveiller à son tour notre société en décrivant le phénomène, plutôt qu’en devenant moralisateur. "Le problème en 2007, c’est qu’on a seulement conservé l’image du rebelle, oubliant sa philosophie. Si nous regardons l’évolution de notre culture, particulièrement avec l’arrivée d’Internet, les murs sont tombés, il n’y a plus de tabous à briser. Nous avons perdu notre innocence. Les manteaux de cuir sont très beaux, mais ne choquent plus. Plus rien ne nous impressionne, plus rien ne nous semble mystérieux. Et lorsque tu enlèves à l’être humain cette notion de curiosité, cet intérêt accordé à ce qui l’entoure, tu le transformes en machine. Amorphe, il ne pense plus."

Buck 65
Situation
(WEA)