Martin Léon : Les filles électriques
Les filles, l’amour. Sur son deuxième disque, Martin Léon accouche d’une dizaine de "lettres" tout en nuances, couchées sur des musiques incontournables.
Il a… 40! On lui donne 30, 34 à tout prendre. Diligent, poli, affable comme le furent les garçons d’avant le siècle dernier, emmitouflé de noir, il est très beau… Et frileux comme un oignon dans un champ de framboises mourantes avec l’automne.
Et, justement, au sud-sud-ouest du bar, quelques jolis fruits défendus, bruyantes, perturbent à peine la concentration de ce ténébreux qui vient pourtant de faire 11 chansons à parler des filles. Une obsession renforcée par six ans d’abstinence. Abstinence professionnelle, s’entend.
Six ans de silence? Même pas. Car Martin L’Heureux, alias Martin Léon, nom de famille emprunté à sa mère partie trop vite, p’tit gars de Saint-Roch possiblement sauvé de l’indigence intellectuelle par les bourses au talent du Séminaire de Québec, connaît la musique. Bachelier en composition, il l’a étudiée jusqu’à l’université. Et puis chez Morricone: musiques de film, beaux bidouillages rentables ou alimentaires en tous genres depuis… Mais côté chanson, plus grand-chose à se mettre sous la dent depuis 2003, après l’excellent Kiki BBQ…
Nous voici ici, pour parler du deuxième: Le Facteur vent; 11 chansons qui méritent l’usage de quelques superlatifs: Fort. Très bien. Brillant. Suave. Flagrant. Excellent. Le Phalène, L’Exil, Pour mieux t’aimer sont peut-être les plus belles chansons de 2007.
SINCÉRITÉ
"C’est parce que j’avais rien à dire. Je ne sais pas comment les artistes font pour pondre des disques chaque année. Faut assumer ça ensuite, sur scène, à la radio… J’ai essayé d’aimer mon art, de ne pas m’aliéner dans les entrevues et les tournées. Et puis plusieurs p’tites affaires se sont produites… et les influences des lectures: Miron, Cohen, Baudelaire, Maupassant. Leur sincérité, leur force… Qu’ils n’aient pas eu peur d’étaler leur sensibilité, ça m’a touché", dit Léon humblement, pour excuser son absence et justifier son retour.
"L’Amérique du Nord nous dit qu’il faut être des héros; pas des loosers; des winners. Mais entre les deux, il y a beaucoup de place pour le doute. J’ai pris le temps de parler de 11 aspects de l’amour que j’ai vécus. La sincérité est le seul pas vers la liberté!"
Il cite des séducteurs fous, des amoureux blessés. Entre Cohen et Miron, il a consumé quelques cohésions spirituelles remarquables. Cohen cherchait la femme en Dieu. Et lui, comme Vigneault et surtout Léveillée, sur les trois quarts de ce disque, recherche le corps de la femme dans le pays: "Dans le silence de la nuit / et la lumière des étoiles / au coeur de l’azur infini / et des aurores boréales / avec le vent comme seul habit / et puis ton ventre comme fanal / va falloir se faire un nid / loin au dessus des cathédrales / pour mieux s’aimer."
Le sait-il? "Me laisser remplir du désir, du feu dans les veines, ne pas mordre tout de suite… J’entendais ça dans ma tête en marchant dans le bois. Ça me faisait des migraines, je dormais mal… Avec la peur d’aimer… Mon errance affective durera peut-être toute ma vie, elle aura été fertile. Mais ma blonde, quand elle a entendu ça, elle a pleuré. Parce que, ensuite, je l’ai rencontrée. Parce qu’on s’aime pour des années!"
Le pays le plus fréquenté, celui des cinq derniers hivers, pour lui qui n’est revenu en ville que depuis deux mois, gravite un poil au nord. Une terre de rédemption dont il ne saisit pas encore toute l’incidence. Ses chansons, distantes ont en tout cas la patience nerveuse de courriers attendus: "Ce sont des lettres, ma façon de vivre l’amour à 40 ans… Une certaine "zenitude"… J’ai écrit à du monde, avec une politesse passionnée, très autobiographique." Et là où Kiki BBQ faisait dans l’anecdote et le pittoresque, Le Facteur vent fait dans l’universel.
Au retour en ville, Martin Léon retrouve une petite communauté d’esprits: "Ça commence à être vrai, Ariane téléphone, Dumas hier… des amis… Parfois je me sens comme le grand frère. C’est une solidarité récente, après que cette génération ait vécu ses angoisses. Nous avons quelques points communs, l’émerveillement et la recherche dans le doute. Moi, j’ai essayé cette fois-ci de raconter le vertige… À quel point on peut se transformer sous l’emprise d’une passion amoureuse. L’univers ne manque pas de merveilles, mais peut-être de gens qui s’émerveillent."
Martin Léon
Le Facteur vent
(La Tribu/Select)
À écouter si vous aimez /
Éloi Painchaud, Jean-Louis Murat, Daniel Bélanger