Preservation Hall Jazz Band : Agents de conservation
Musique

Preservation Hall Jazz Band : Agents de conservation

Fils des fondateurs de l’une des plus respectables institutions jazz d’Amérique, Ben Jaffe témoigne des moments difficiles qu’il traverse avec le groupe maison de cette salle mythique: le Preservation Hall Jazz Band de New Orleans.

En tournée à travers l’Amérique afin de proposer un temps des Fêtes à la manière créole, le Preservation Hall Jazz Band transmet la bonne nouvelle: cette musique n’est pas vivante que dans nos mémoires ou sur disque, elle respire encore.

Avec la finesse et la grandeur d’âme de ceux qui l’ont créé et fait connaître, ces dignes émules revisitent un répertoire riche, dont certains titres se retrouvent différemment colorés par l’histoire. On pense à Do You Know How it Feels to Miss New Orleans, popularisé par la légende locale Louis Armstrong (mais aussi chanté par Billie Holliday), une pièce où la nostalgie côtoie désormais intimement la tragédie.

Quand l’ouragan Katrina frappe la ville en 2005 et que les digues rompent, les dommages subis sont évidemment humains, matériels, mais aussi culturels. Creuset du jazz sauce cajun, La Nouvelle-Orléans voit bon nombre de ses musiciens évincés de leurs demeures, exilés aux quatre coins des États-Unis en attendant une aide qui, on le sait, se fera cruellement attendre.

Au Preservation Hall, minuscule temple décati voué à la survie du jazz tel qu’on l’interprétait au premier quart du siècle dernier, ceux qui faisaient vibrer les murs vermoulus de l’endroit étaient au nombre des involontaires déserteurs. "Nos dommages matériels étaient relativement superficiels", raconte Ben Jaffe, l’homme derrière cette mythique institution fondée par ses parents. "Le French Quarter où nous sommes n’a pas été inondé, et à part quelques arbres tombés et des dommages à la toiture, nous avons été épargnés par la catastrophe. Le problème, c’est que les musiciens, eux, n’étaient plus là. Puis, maintenant que nous sommes parvenus à les rapatrier, c’est le public qui manque à l’appel."

Privé de la manne des touristes, sans doute effrayés par les images de fin du monde retransmises à la télé lors du cataclysme, le Preservation Hall n’est toujours pas parvenu à reprendre ses activités au même rythme qu’auparavant. Mais la salle se doit tout de même d’ouvrir ses portes, si ce n’est que pour honorer ce devoir de mémoire qui est un peu sa raison d’être. "C’était ma responsabilité de rouvrir le plus vite possible, d’être là pour rappeler aux gens pourquoi nous aimons tant New Orleans, ce que cette ville recèle de particulier. Et une des choses extraordinaires qu’il y a dans cette ville, c’est justement le Hall."

Anachronisme en marge d’un Bourbon Street devenu triste festival de la décadence, "un mardi gras perpétuel", ironise Jaffe, le Preservation Hall est à l’abri des modes. L’endroit est vétuste au possible, les murs décrépits, les planchers patinés, mais la musique qu’on y joue, elle, est intacte. Du jazz qui respecte scrupuleusement la tradition, une idée de la musique, une sensibilité que les Jaffe gardent sous respirateur depuis les années 1960. "L’idée, c’est de passer le flambeau. Cela se fait naturellement d’une génération à l’autre [ndlr: lors de notre passage à la soirée de réouverture du Hall en mars 2006, un des chanteurs du groupe était le fils du pianiste], mais nous, nous souhaitons encourager le phénomène. C’était la volonté de mes parents et c’est aussi la mienne d’offrir l’occasion à des musiciens, jeunes et vieux, de jouer ensemble, de se côtoyer, d’échanger."

"Bourbon Street n’a plus grand-chose d’intègre, poursuit Jaffe. Disons que la rue a sa fonction", laisse-t-il tomber, soudainement laconique. Un ange passe, puis il reprend: "C’est le défi auquel mes parents ont toujours eu à faire face: de demeurer intègre, de survivre aux modes, d’avoir un but, une mission qui ne serait pas nécessairement de faire de l’argent."

Unique en son genre, cette institution qui s’est soustraite au temps est en effet tout sauf rentable. Avec son ridicule coût d’entrée de 10 $, son nombre de places limité par l’extrême exiguïté des lieux, on devine que l’entreprise relève en effet d’autre chose que de motifs mercantiles.

De la vocation, sans doute, du désir de garder intacte la beauté d’une musique bleue à la rencontre de la mélancolie et de la joie de vivre, mais aussi, peut-être, de la folie…

"C’est vrai, s’esclaffe Jaffe, si nous sommes toujours là après tout ce temps, c’est parce que je suis un peu fou. C’est parce que mon père et ma mère étaient fous eux aussi. Ce n’est pas vraiment une histoire d’entrepreneurs, c’est une histoire d’amour. Et comme je n’ai pas d’enfant, de garder cet endroit en vie est la chose la plus noble et la plus désintéressée que j’aie jamais faite."

Le 3 décembre à 20h
Au Palais Montcalm
Voir calendrier Folk/Country/Blues

À écouter si vous aimez /
Louis Armstrong, le dixieland, Sidney Bechet