Guide d’achats 2007 – Jazz / Blues / Actuel
L’Orkestre des pas perdus
Projet 9
(Cross Current Music/Local)
Quatrième opus de la troupe du tromboniste Claude St-Jean qui, d’un enregistrement à l’autre, ressemble de plus en plus à un orchestre; ils sont neuf ici, comme l’indique le titre, et ça donne un peu plus de latitude à St-Jean dans la composition. Il y a ici plus de jazz qu’à l’habitude dans les solos, mais ne nous y trompons pas, c’est bien du Claude St-Jean: une fanfare en modèle réduit, plus sophistiquée que la moyenne, mais bien carrée et très mélodique. St-Jean nous sert quelques solos inspirés, particulièrement dans Gastro funk, mais aussi dans Couvre-feu, une reprise très réussie de son duo Trafic d’Influence (avec le guitariste Bernard Poirier dans les années 80). On en prendrait d’autres comme celle-là. (R. Beaucage)
Le Sacre du Tympan
Le Retour!
(Label Bleu)
Nourri au rock, puis au jazz façon Mingus et Ellington, le multi-instrumentiste Fred Pallem est sorti du Conservatoire (de Paris) en emmenant avec lui 17 amis pour jouer sa musique et ses arrangements. Un big band, un vrai, mais avec une guitare électrique et un orgue très présents. Le son rappelle souvent les génériques d’émissions de télévision américaines des années 70, furieusement kitsch, avec un soupçon d’Ennio Morricone (des spaghettis, oui, mais en boîte). Les pièces originales sont de petits chefs-d’oeuvre d’arrangements et l’album se termine sur trois reprises d’André Popp, un maître du genre que Pallem considère comme "le chaînon manquant entre Messiaen et la variété". Ça dit tout! (R. Beaucage)
Bob Walsh
The Only Soul
(Disques Bros)
À lui seul, Bob Walsh incarne le blues au Québec. Il lui aura fallu rouler sa bosse pendant de longues années pour réussir à s’imposer. Rarement succès ne fut plus mérité. La sortie de ce nouvel album le confirme. Pour renouveler son répertoire, Walsh a fait appel à de nombreux collaborateurs. B.A. Markus et Michael J. Browne lui donnent Low Tide Again et le Jazzy In July. Rob Lutes ajoute un rien de country sur When My Time Has Come et The Only Soul. Dani Wax offre Sad Clown. David Gogo, Richard Séguin, Jamil et Fredric Gary Comeau mettent leur grain de sel. Walsh et le pianiste Jean Fernand Girard signent le superbe Emerald Wall. Soutenu par d’excellents musiciens menés par Guy Bélanger à l’harmonica, Walsh est en pleine possession de son art. (G. Tremblay)
Michel Donato et ses amis européens
Volume 2
(Effendi/Fusion3)
À l’évidence, les amis européens de Michel Donato auront savouré la musique de Davis de la fin des années 60 (Miles in the Sky) et la modernité de Kenny Wheeler. Non seulement sont-ils de grands improvisateurs, mais ils excellent tous comme compositeurs. La structure des pièces du saxophoniste François Théberge et ses arrangements témoignent d’une grande rigueur. Le guitariste Michael Felberbaum semble avoir retenu de Wayne Shorter l’importance de faire cohabiter abstraction formelle et lyrisme (Italian Waltz). Même maîtrise chez le grand trompettiste polonais Piotr Wojtasik qui signe, avec Song For Hola, l’une des plus belles pièces de l’album. Donato, toujours bien enraciné dans le blues et le bop, et le batteur Karl Jannuska signent des pièces festives et plus éclatées. (D. Lelièvre)
Abbey Lincoln
Abbey Sings Abbey
(Verve)
"It’s the sound of sorry looking yonder with regret/Sorry ’cause of what you got and what you didn’t get", chante Abbey Lincoln de sa voix cassée et diablement poignante. Et ces deux vers de Should’ve Been donnent le ton à cet album crépusculaire, sur lequel la dernière des divas du jazz d’après-guerre revisite certaines de ses plus belles chansons (And It’s Supposed to Be Love, Bird Alone, Being Me, etc.) dans des arrangements remarquables de sobriété et imprégnés de spleen. L’époque où l’on surnommait la plantureuse jeune femme la "Marilyn Monroe sépia" est bien révolue. Maintenant septuagénaire, cette cadette spirituelle de Billie Holiday entonne ces blues et ballades, dont elle a signé tous les textes, avec une tristesse, une sagesse et une richesse d’émotion hors du commun, qui tiennent de l’expérience et de la vie, tout simplement. (S. Péan)
Yannick Rieu
Saint-Gervais
(Justin Time)
Ce Saint-Gervais a été capté live aux 7 Lézards, à Paris, avec Nicolas Rageau (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie). Immortalisée par Sonny Rollins (dont Rieu reprend la Freedom Suite), la formule du trio saxo-contrebasse-batterie est assez casse-cou parce que, sans le support harmonique d’un piano, la musique exige une complicité et un sens mélodique sans faille. C’est le cas ici, tant dans les relectures que dans les compos originales. Et puis il y a ce son de saxo, ample, enveloppant. Un must! (S. Péan)
Mark Murphy
Love Is What Stays
(Verve)
Déjà il y a 50 ans, Ella Fitzgerald le considérait comme un égal. Pourtant, il en a fallu, du temps, pour que Mark Murphy s’impose comme le monument qu’il est hors du cercle des initiés. Avec la complicité du producteur et trompettiste Till Brönner, il pige dans les répertoires standard (Angel Eyes, Stolen Moments) et contemporain (So Doggone Lonesome, de Johnny Cash, What If, de Coldplay) pour accoucher de ce disque testament, requiem pour rêves brisés et amours impossibles: "What if I got it wrong / And no poem or song / Could put right what I got wrong / Or make you feel I belong" chante-t-il avec solennité et maestria. Un improvisateur mélodique et harmonique hors-pair. Un monument, dis-je. (S. Péan)
Wallace Roney
Jazz
(HighNote)
Quel titre laconique et faussement rassurant pour un album aussi dense et progressiste! Avec son épouse Geri Allen au piano, son frère Antoine Roney aux saxos et à la clarinette, DJ Axum et Val Jeanty aux tables tournantes, le trompettiste explore des paysages sonores insolites, subtilement oppressants, où le freebop courtise le funk et l’électronica. Parmi les plages de cet album, on peut entendre un hommage au père de l’afrobeat (Fela’s Shrine), un emprunt à Sly Stone (Stand) et une relecture de Bud Powell (Un Poco Loco). Il y aura toujours des râleurs pour accuser Wallace Roney de n’être qu’un clone de Miles. L’héritier démontre cependant qu’au lieu de singer les expérimentations de son mentor il les prolonge. (S. Péan)
Richard Pinhas
Metatron
(Cuneiform/Fusion3)
Le disque précédent de Pinhas, Tranzition, se terminait par une longue pièce de 24 minutes: Metatron (An Introduction To). Nous y voici. Le guitariste et compositeur a étalé sur ces deux disques la somme des éléments qu’il développe depuis ses premières expériences avec le groupe Heldon (des précurseurs de l’électro) dans les années 70, puis à travers ses collaborations avec Maurice Dantec dans le projet Schizotrope. Pinhas poursuit aussi le développement des Frippertronics (de Robert Fripp), une technique par laquelle sa guitare couvre tout l’horizon sonore d’une multitude de boucles sur lesquelles le laptop de Jérôme Schmidt ajoute encore des couleurs et la batterie d’Antoine Paganotti (Magma) fixe le rythme. (R. Beaucage)
Cordâme
Cordâme
(Malasartes Musique/DAME)
Voici un trio dont la musique (que signe le contrebassiste Jean-Félix Mailloux) baigne une patte dans une ambiance importée du Moyen-Orient en balançant l’autre d’un petit swing jazzé. On pense quelques fois en l’écoutant à ce que fait John Zorn avec son projet Masada, mais sans l’espèce d’urgence en feu qui caractérise la production du saxophoniste. On est davantage ici dans l’évocation d’atmosphère, ça sent le soleil du désert et les mirages enfumés. Le dialogue permanent entre la violoncelliste Julie-Odile Gauthier-Morin et la violoniste Marie Neige Lavigne donne lieu à de beaux échanges, auxquels participent aussi le percussionniste Pierre Tanguay et d’autres invités. (R. Beaucage)
David Murray & Black Saint Quartet
Sacred Ground
(Justin Time)
S’inspirant de sa trame sonore pour le film Banished, documentaire sur l’expulsion violente de milliers de Noirs d’une dizaine de comtés du Sud et du Midwest américains à la veille de la Dépression, le saxophoniste et clarinettiste David Murray a accouché d’un album exceptionnel dans une discographie qui en compte déjà pas mal. Proche de l’esprit de Charles Mingus, cette musique dense et musclée est admirablement servie par les musiciens du Black Saint Quartet – le batteur Andrew Cyrille, le contrebassiste Ray Drummond et le pianiste Lafayette Gilchrist (qui a pris la place de feu John Hicks). À l’ensemble déjà impressionnant s’ajoutent les textes inédits du poète, romancier et activiste Ishmael Reed et la voix, souveraine, de Cassandra Wilson sur les première et dernière plages (Sacred Ground et le blues The Prophet of Doom). Un album impeccable, qui s’imposera dans l’oeuvre de David Murray et dans le jazz du 21e siècle. (S. Péan)
Erik Truffaz
Arkhangelsk
(Blue Note/EMI)
Émule de Miles, le trompettiste Erik Truffaz n’a jamais hésité à marier son jazz planant au drum’n’bass, au rock et aux musiques du Moyen-Orient. Retrouvant son quartette originel révélé au tournant du siècle par The Dawn et Bending New Corners – le claviériste Patrick Muller, le bassiste Marcello Giuliani et le batteur Marc Erbetta -, Truffaz s’aventure dans les eaux d’une pop sophistiquée, qui s’inspire des cabanes soutenues par des cordes de nylon de l’anarchitecte québécois Richard Greaves pour évoquer cette ville russe penchée sur l’Arctique, Arkhangelsk. Pour l’accompagner dans cette expédition polaire, il a invité des chanteurs: Nya, Ed Harcourt et surtout Christophe qui ne réclame plus le retour d’Aline dont le doux visage dessiné sur le sable a disparu, et n’en est que plus émouvant sur L’un dans l’autre, chanson coécrite avec le jazzman. (S. Péan)
Dee Dee Bridgewater
Red Earth/A Malian Journey
(Emarcy/Universal)
Sûrement un des disques de jazz marquants de l’année 2007, Red Earth est d’abord et avant tout un album de musiques du monde. La double démarche artistique et spirituelle de remonter la généalogie ramène Dee Dee Bridgewater et ses musiciens d’Amérique jusqu’aux racines du grand arbre, encore bien plantées dans la terre rouge du Mali. Forcément, un standard comme Afro Blue reprend ici tout son sens, orné qu’il est d’une armada de percussions traditionnelles de l’Afrique sub-saharienne. Et c’est sans parler de la kora de Toumani Diabaté, des voix d’Oumou Sangaré et Ramata Diakité, des balafons et des n’gonis. Oui, le jazz ressort grandi de cette randonnée à la source, mais c’est la musique ethnique qui lui vole largement la vedette ici. Justice est faite! (R. Boncy)
Soul Jazz Orchestra
Freedom No Go Die
(Do Right/Outside)
Saviez-vous qu’il existait un groupe de résistance anti-conservateur au sein même de la capitale fédérale? Répondant au nom sans équivoque de Soul Jazz Orchestra, cette cellule active rassemble une demi-douzaine de musiciens sous la férule de Pierre Chrétien, un sacré touche-à-tout. Leur programme: de l’afrobeat sans concession. Du vrai, cru, contagieux et irrésistible, avec des cuivres au premier plan et une voix qui porte: celle de l’Africain Mighty Popo. C’est soul, jazz, funk, avec parfois des rythmes soukous ou latins et des airs tellement cool qu’ils sonnent presque lounge (superbe et planante reprise de Phaorah Sanders, The Creator Has a Master Plan, à la toute fin de l’album). Évidemment, les motifs sont avant tout politiques: d’entrée de jeu, l’intro de Hey Mr. President! annonce les couleurs. Mais ça reste une sacrée bonne surprise, surtout venant d’Ottawa! (R. Boncy)