Renaud : Théorie de la gravité universelle
Son Rouge sang présentait un Renaud s’en allant comme Rimbaud les poings dans les poches. Le live et le DVD qu’il en tire aujourd’hui exposent la fragilité d’un militant lucide, pudique et acclamé, troquant peu à peu son cynisme contre une gravitas presque sereine. Entretien.
Cet album live sera pour certains l’occasion de se souvenir d’un autre concert: celui de l’Olympia, il y a exactement 25 ans. Vous y rigoliez de ceux qui vous donnaient déjà pour "mort et récupéré". Or pendant quelques années, vous leur avez presque donné raison…
Renaud: "Oui… J’ai connu six années de grave dépression et d’alcoolisme. Je continuais à chanter sur scène, j’étais triste à voir, mais les gens m’ont voué une grande tendresse et une grande indulgence. Ils ont été touchés par ce type abîmé et fragile dont les performances vocales laissaient à désirer. Je leur dois beaucoup."
Et puis cette résurrection extraordinaire! En 2002, 2,6 millions de Boucan d’enfer et déjà depuis 2006, 750 000 copies du dernier!
"Manhattan-Kaboul a été LE phénomène commercial de ma carrière. Les critiques qui m’assassinent régulièrement et ne cessent de vouloir m’enterrer ont dû reporter l’enterrement (rires). Actuellement, ce sont plutôt eux qu’on enterre, qui perdent leurs lecteurs un peu plus chaque jour, leurs journaux qui crèvent par manque d’intelligence, à force de tout miser sur les revenus et la publicité."
Vous faire donner pour mort vous a donné envie de prouver le contraire?
"Après des années de malheur sentimental et familial, retrouver l’amour démesuré des gens fut très stimulant. Faire des chansons un peu brûlot, un peu porte-drapeau… évoquer des colères, des passions: c’est un moteur… ça le sera toujours… J’ai l’impression de crier derrière mon micro ce qu’ils chuchotent entre eux… d’exprimer leur humanité!"
Sur ce live, beaucoup de titres n’ont pas vieilli. Et, tristement, c’est souvent parce que ce que vous dénonciez – racisme, misère, intolérance – n’a pas changé. Alors comment ne pas céder à la désillusion et se sentir impuissant?
"On se bat parfois contre des moulins à vent… On se dit qu’une chanson n’a jamais réussi à changer le cours de l’histoire… Mais si je ne le fais pas, si je renonce à chanter Morts les enfants, 500 connards ou Deuxième génération, si je ne crie plus, alors je me trahirai moi-même."
On peut donc, dans ce métier, vieillir autrement qu’en amertume?
"Ouf! Vaste question! Une carrière, ça se construit sur la durée. Ces derniers 33 ans de chanson me semblent un parcours assez cohérent et plutôt honnête. Mes 250 chansonnettes, c’est le parcours d’un amoureux, d’un militant, d’un père de famille, des colères et des passions dans lesquelles pas mal de gens se sont tout de même reconnus et rassemblés."
Succédant à l’album studio Rouge sang, voici le DVD et le live du même titre. Rouge sang, c’est d’abord une très belle chanson qui parle de la corrida, du massacre des animaux. Pourquoi en faire un thème général?
"Parce que ça nomme bien la barbarie! La violence dirigée contre les hommes, les animaux, les arbres, les forêts… Tout ça découle de la même démarche mercantile: le sang. Le sang humain, le sang animal dont s’abreuvent ceux qui recherchent le pouvoir ou l’argent… Et c’est aussi le rouge de ma colère!"
Parlons alors d’une chose étonnante et qui semble vaguement contradictoire: je suis surpris de la couverture médiatique de votre vie affective étalée partout… les photos dans Match, avec votre compagne Romane Serda. Vous avez voulu ça?
"Pendant 33 ans, j’ai jalousement protégé ma vie privée, Dominique et Lolita. Or, après cinq ans d’alcoolisme, de désespoir et de dépression, il semblerait que j’ai commis l’erreur d’envoyer une sorte de carte postale aux gens qui m’aimaient et qui aiment mes chansons, pour les remercier, leur montrer ma belle Romane et le bonheur retrouvé. J’ai autorisé la publication des photos de mon mariage pour 15 000 euros versés directement à une association pour les enfants handicapés. Je n’ai pas à en rougir. Mais comme je conchie les paparazzis, ça a fait jaser, un gauchiste à la une de la presse people."
Vous passez par contre pas mal de temps sur Internet à offrir des pans de votre quotidien…
"Ça, oui. Je communique avec les fans jour et nuit. Je leur offre tout, comme des frères: des photos de mon anniversaire ou de mon potager de tomates bio. Je fais de l’auto-piratage en mettant des chansons en ligne en primeur. N’oublions pas que les gens qui téléchargent beaucoup de musique en achètent beaucoup et font vivre les spectacles."
Vous avez aussi des rapports francs et familiers avec l’auditoire. Il faut dire que vous passez beaucoup de temps sur la route.
"Oh, pas autant que je l’aimerais. Si j’étais célibataire, je passerais ma vie sur les scènes du monde. Chanter pour les francophiles dans toutes les capitales: Dublin, Londres, Rome, Varsovie… l’Amérique. Mais je préfère une vie un peu plus casanière et voir mon nouveau-né grandir ailleurs que dans des chambres d’hôtel."
Donc, contrairement à des rumeurs persistantes depuis… 10 ans, vous n’avez pas l’intention de raccrocher?
"Non, mais j’ai toujours l’intention de le faire croire pour énerver les fans, pour qu’ils me supplient de continuer (rires). Ne le répète pas, mais parfois je me dis: "Encore 30 ans? Pourquoi pas…""
Renaud
Tournée Rouge sang CD/DVD
(EMI)
À écouter si vous aimez /
Léo Ferré, Georges Brassens, Hugues Aufray