Bernard Lavilliers : Baroud d’honneur
L’éternel baroudeur Bernard Lavilliers revient avec ses textes socio-poétiques percutants et ses musiques reggae-soul sur un nouvel album envoûtant.
Plusieurs diront qu’avec Bernard Lavilliers, les albums se suivent et se ressemblent. Ce n’est pas faux, mais certains sont beaucoup plus inspirés que d’autres, en l’occurrence son tout récent Samedi soir à Beyrouth, un disque enregistré entre Kingston, Memphis et Paris et dans lequel on retrouve toutes les obsessions de cet éternel baroudeur sur fond de musique soul et reggae. Lavilliers, de sa voix chaude et grave, chante encore une fois magnifiquement ses histoires de lutte ouvrière, d’amour, de mort, de romantisme, de conflit et d’aventures au bout du monde.
Voir: Avec un tel titre, Samedi soir à Beyrouth, on se serait attendu à des musiques aux accents plus moyen-orientaux, or il s’agit plutôt de musique reggae, mento, soul et peut-être même un peu folk.
Bernard Lavilliers: "Ce titre est venu du fait que je me suis mis à écrire cet album un samedi soir à Beyrouth. Et quand j’écris, c’est comme dans un carnet de bord, j’inscris le lieu, la date et l’heure. J’ai commencé à écrire sur la ville, sur ce que j’avais vu, sur ce qui avait été détruit ou reconstruit depuis la dernière fois où j’y suis allé, sur l’ambiance des quartiers. Je trouvais ça inspirant de commencer à écrire cet album dans une ville où rien n’est sûr et qui est quand même à l’épicentre de ce qu’on pourrait appeler les "énergies négatives" et qui pourraient être la cause d’une troisième guerre mondiale. Palestine, Israël, Iran, Irak, Syrie… Tous ces pays ne sont pas très loin du Liban."
Vous affectionnez le reggae depuis très longtemps. Quel est votre rapport avec cette musique?
"Le reggae-roots est une musique lente, envoûtante et jouée d’une façon très particulière par les musiciens jamaïcains. C’est une musique qui rebondit et qui me permet de faire passer les textes plus calmement et de laisser de la place au non-dit."
Vous avez d’abord enregistré la plupart des musiques à Kingston, puis vous vous êtes rendus à Memphis, où vous avez retravaillé certaines d’entre elles avec le vétéran producteur Willie Mitchell (Al Green). Bien que le croisement reggae-soul est commun en Jamaïque, l’est-il tout autant à Memphis?
"Je connais bien le studio Tuff Gong de Rita Marley, donc j’y suis à l’aise. Je sais avec quels musiciens travailler; l’ingénieur du son Rohan Dwyer est un mec tout à fait étonnant… On a nos marques là-bas. Avec cette base-là, on est arrivés à Memphis aux Royal Studios, le dernier des grands studios mythiques de cette ville encore en activité, pour y ajouter des guitares, du Fender Rhodes et surtout des cuivres et des cordes. Ça donne ce côté suave, sans être sucré, aux chansons. Je me suis rendu compte qu’ils ne connaissaient pas bien le reggae, à Memphis. On connaît des chansons reggae imprégnées de soul qui viennent de Jamaïque, mais je n’ai jamais entendu ça de Memphis!"
Sur l’édition limitée de Samedi soir à Beyrouth, on retrouve une pièce "cachée", la chanson Balèze, enregistrée avec Tryo. C’est une ode à Hugo Chávez ou le contraire?
"C’est une chanson ambiguë, comme le personnage. Je ne le désigne pas du doigt en le traitant de dictateur, mais il faut avouer que c’est un chef d’État qui ne mâche pas ses mots, et ses déclarations à l’emporte-pièce font souvent sourire. D’un autre côté, quand les gens disent des choses qui l’emmerdent à la télé, il ferme carrément la station ou en fait sa télé à lui! Donc, à la fois il a fait du bien à son pays mais aussi bien du mal. Là-bas il n’est pas nécessairement vu comme une idole du mouvement altermondialiste, c’est quand même un dictateur assis sur une grande source de pétrole! Vous remarquerez d’ailleurs que, partout dans le monde, la démocratie recule quand le prix du pétrole augmente."
Bernard Lavilliers
Samedi soir à Beyrouth
(Barclay/Universal)
À écouter si vous aimez /
Serge Gainsbourg, Tryo, Alpha Blondy