Sandrine Kiberlain : Tour de champ
Musique

Sandrine Kiberlain : Tour de champ

Tandis que la muse incarne des personnages, Sandrine Kiberlain, la chanteuse, signe un second album où elle parle essentiellement d’elle-même.

Janvier, février… Cette année, la neige a neigé et Sandrine Kiberlain, qui ne connaissait du pays que la scène du Club Soda, en goûte les rigueurs atroces. Encore cinq semaines à tourner, souvent à l’extérieur, un film intitulé fort à propos Romaine par -30, dans des coins venteux du Québec profond. Voilà qui commence à la déphaser un brin. "On en a bavé en Abitibi! C’est comme dans les films des frères Coen. Paraît que c’est pire l’été et que les insectes bouffent des morceaux de peau!"

Diaphane, mouchetée, mince comme un fil, elle se félicite tout de même de la camaraderie de son équipe de tournage, de la beauté urgente du film, et rigole sans arrogance du pittoresque de la langue d’ici dont elle a retenu quelques monstruosités inénarrables.

Un César, 33 films en 20 ans; 2 disques en 2 ans. D’abord Manquait plus qu’ça, et tout récemment Coupés bien net et bien carré.

Claquée, elle a peu de temps, mais trouve 30 minutes pour causer de ce deuxième album en tête-à-tête: "Actrice, ça me suffisait amplement, et puis j’ai eu soudain envie de faire mes propres trucs, de raconter mes histoires, mes univers. Et surtout de devenir crédible dans ce métier en écrivant mes textes…" explique-t-elle abondamment pour marquer la cassure entre les personnages incarnés au cinéma et SON personnage: c’est-à-dire elle-même, bientôt 40 ans (elle s’en fout), mère et… toujours étonnée de se retrouver sur scène un micro à la main. Ébahie au point d’en parler encore, même après Manquait plus qu’ça, dans un autre texte mise en abyme: La Chanteuse.

Mais cette amusante bluette cache autre chose sous son autodérision: un disque aux tons plus graves, presque ambitieux, traitant d’absence, de solitude, de renouveau. La collaboration du fils Souchon pour de belles valses, Daho pour les brumes de la nuit et Camille Bazbaz pour un truc qui la tentait: la pop seventies. "Cette fois-ci, mon écriture était plus tranchée, plus rapide… ça me faisait penser modestement à Gainsbourg, Nino Ferrer… des trucs un peu démodés… une époque que j’adorais."

Vedettariat, avatars de l’industrie de la musique, compositeurs, amis… Encore quelques anecdotes et cette conversation s’arrête sur une chanson remarquable intitulée Bonne Figure où, lorsqu’elle assimile pudeur et élégance, on reconnaît un peu de son jeu d’actrice: "Je sais les bonnes manières / Je les ai employées / Même quand j’ai su me taire / Quand j’ai voulu crier… J’ai fait bonne figure / J’ai fait ce que j’ai pu…"

"L’apparence, l’attitude, l’élégance morale… C’est très important, dans les moments durs de la vie, d’avoir de la dignité. Je déteste l’étalage des sentiments. Et je pensais beaucoup à mon enfant. On a eu des moments de chagrin, on en parle, mais il faut savoir retenir les larmes."

"J’ai le luxe de pouvoir choisir mes films, poursuit Kiberlain. Bien sûr, la musique ne me fait pas gagner ma vie, mais l’indépendance de la chanteuse, c’est passionnant. La chanson est plus proche du théâtre, plus près des gens, des roots de la simplicité…" Une liberté qui a son prix: "Ç’a été dur. Je partais à 17 heures en province avec les musiciens, je revenais à Paris à 5 heures du matin. À 7, j’emmenais ma fille à l’école et ensuite je dormais toute la journée… Je ne comprenais plus rien… Ça, je ne le ferai plus."

Sandrine Kiberlain
Coupés bien net et bien carré
(EMI/Fusion3)

À écouter si vous aimez /
Jeanne Balibar, Pauline Croze, Camille