Millimetrik : Pôle sonore
Musique

Millimetrik : Pôle sonore

Millimetrik opère un virage avec sa dernière production intitulée Northwest Passage’s New Era. Un nouveau chapitre avec comme toile de fond un désert nordique infini.

Assis l’un en face de l’autre dans le salon de son appartement, notre attention se porte vers un 45 tours qui souligne un fait d’armes. Le disque en question, qui date de 1999, est celui d’un duo nommé Glider. "Ça n’a rien à voir avec ce que je fais maintenant pour Millimetrik, mais il fallait que je te le montre, je suis trop fier", m’indique Pascal Asselin, tout en me passant le disque en question comme s’il s’agissait d’un trophée. "Nous avons su que John Peel a joué la pièce Time for Order à son émission de radio. Glider, c’était un projet post-rock et folk dans lequel je jouais de la batterie avec Gavin Baker, un ami d’Angleterre, juste avant mon groupe Below the Sea. Je dois être l’un des seuls musiciens de Québec à avoir été joué dans les John Peel Sessions." Un fait que le musicien, autant que le mélomane, savoure sans fausse modestie. Se retrouver dans la programmation du célèbre animateur de la BBC est tout de même exceptionnel.

D’un 45 tours, nous passons à un vinyle rouge, format 33 tours cette fois-ci. Le disque s’intitule Northwest Passage’s New Era, la quatrième production de l’artiste après The Last Polar Bear on Earth en 2006. Comparée aux précédentes réalisations de l’artiste, le contraste de la pochette est saisissant. Des lignes rouges et noires traversent une vieille photo en noir et blanc. "C’est une photo des matelots qui ont participé à l’expédition de Roald Amundsen, précise-t-il. C’est le premier à avoir réussi la traversée du passage du Nord-Ouest [ndlr: passage maritime qui relie l’Atlantique au Pacifique entre les îles arctiques du Grand Nord canadien] au début du 20e siècle. Ça m’a toujours fasciné et nous pourrions en discuter pendant des heures. Juste d’essayer de comprendre ce qui pouvait motiver ces personnes à se lancer dans une telle aventure à l’époque, c’est extraordinaire. Il fallait être complètement fou."

Une passion qu’il cultive avec intérêt et qui ne nous surprend pas vu les thématiques élaborées par l’artiste auparavant. Les déserts de glace et les espaces infinis qui sont illustrés dans sa musique ambiante ont toujours été au coeur d’une facture musicale qui distingue son travail. Millimetrik demeure intègre avec une évolution esthétique qui, cette fois-ci, opère néanmoins une cassure notoire.

LE LONG PASSAGE

L’album s’ouvre avec une ligne de piano appuyée par une rythmique singulière et prononcée. Le violoncelle se fait entendre et les masses sonores synthétisées s’y insèrent comme une toile sur laquelle se déposeraient des couleurs linéaires et minimalistes. Mais c’est la rythmique qui surprend le plus à la première écoute. "C’est involontaire, avoue Pascal Asselin. Nous pourrions appeler ça le retour aux sources du drummer. D’ailleurs, je sais déjà ce que sera la suite. Un disque où la batterie, que j’enregistrerais moi-même, serait l’élément central. J’ai toujours fait les choses lentement et à mon rythme. Je n’aurais pas pu faire un virage brusque à 180 °. C’est comme si je mettais en marche une transition et que tranquillement, les choses se plaçaient à leur manière. Je fais mon chemin sans vouloir être la saveur du mois. Disons que j’ai toujours joué la carte de la patience en musique."

Le musicien cultive aussi l’art de bien s’entourer et les collaborations s’additionnent sur cette production. On retrouve, entre autres, Guillaume Lizotte, pianiste et violoncelliste au sein de (swedish) Death Polka, et le claviériste allemand Ulrich Schnauss. Des connaissances de longue date qu’il assimile à son gré dans une direction musicale déterminée. "Si tu prends la pièce d’ouverture Sournoise Supercherie, sans cette mélodie au piano de Guillaume, l’album ne serait pas là. Avec lui, c’est très facile comme contact. Il a une façon de travailler qui lui est propre. Au gré de la conception de l’album, je lui faisais entendre le matériel tout en lui demandant son opinion et ce qu’il envisageait. Je l’ai laissé libre et, par la suite, nous avons écouté ensemble les lignes mélodiques qu’il avait développées. Sur ce disque, je ne voulais pas de fil conducteur entre les pièces. Chacune d’entre elles a un petit quelque chose d’unique qui se suffit à lui-même."

Dans le cas d’Ulrich Schnauss, le travail s’est fait à distance. L’artiste avec qui Pascal Asselin a partagé la scène à quelques reprises l’automne dernier possède une signature particulière où les masses sonores ambiantes sont élaborées soigneusement. "Ulrich devait collaborer sur The Last Polar Bear on Earth, mais ça n’a pas eu lieu à l’époque à cause de son agenda. Quand il m’a envoyé ses pistes pour cet album-ci, je me suis permis de revoir sa conception. C’est important pour moi que le matériel corresponde au schéma initial que j’ai élaboré. Dans ce cas-ci, c’est un exemple où nous avons conservé ma vision des choses."

LE SON VERSUS LA TECHNOLOGIE

Millimetrik est demeuré fidèle à une ligne directrice bien réfléchie qui a contribué à forger ce son qui le caractérise et qui relègue au second plan la mainmise des logiciels sur la composition. Une conception sonore qu’il a mise à l’épreuve avec Sixtoo, qui signe le matriçage de cet album. "Lorsque j’échantillonne un vieux drum des années 60, qui en plus a déjà été échantillonné au moins 15 fois, c’est sûr qu’il va commencer à sonner tout croche, explique-t-il. Mais mon intention n’est pas de le trafiquer. J’ai eu une bonne discussion là-dessus avec Sixtoo. Je pense qu’il est rendu ailleurs sur cette question. Sur la pièce The Owls Are Watching Us, par exemple, j’ai échantillonné un vieux break de drum. Il essayait de me convaincre de refaire l’enregistrement avec une autre batterie pour que ce soit plus clean, mais pour moi il n’en était pas question, c’était la couleur que je recherchais."

Malgré une facture sonore bien ficelée et une synchronisation minutieuse, Millimetrik est un projet musical qui recherche aussi l’accident et l’imperfection. Au-delà des graphiques numériques et des séquences en boucles calculées au millième de seconde, Pascal Asselin adhère à une conception du son qui met l’accent sur la texture organique. "J’aime bien les paradoxes. Je crois que mon passé de drummer y contribue. Je pourrais appeler ça mon côté rock indie 4 tracks. Ça vient teinter cette atmosphère numérique et j’intègre toujours des éléments lo-fi avec lesquels je compose. Les prises sonores qui sont de mauvaise qualité, je n’essaie pas de les nettoyer. Je les laisse comme telles, avec leurs défauts."

Le 28 février à 21h
Au Cercle

À écouter si vous aimez /
Ulrich Schnauss, Tim Hecker, Boards of Canada

Nous tenons à remercier l’Hôtel de glace pour sa précieuse collaboration.