Wyclef Jean : Wyclef Jean: kenbe, pa lage
Figure phare du métissage musical contemporain, l’Haïtiano-Américain Wyclef Jean débarque à Montréal avec ses mémoires d’immigration. Conversation avec un nomade enraciné.
Au fil de notre entretien téléphonique, Wyclef Jean et moi alternons entre l’anglais et le créole hésitant des enfants de la diaspora haïtienne. Rien de moins étonnant. Sous-titré "Memoirs of an Immigrant", The Carnival II, le plus récent disque de l’ex-Fugees, exprime une réalité qui pourrait déplaire à plus d’un, dans l’Amérique isolationniste de l’après-11 septembre 2001. "Ce continent porte le nom d’un explorateur italien (Amerigo Vespucci). Mon père me disait toujours: "N’oublie jamais que tu es un immigrant mais que tout le monde aux États-Unis est immigrant." C’est ce qui fait la beauté de cette nation: c’est la terre d’immigration par excellence. Et peu importent ta passion, ta culture, il faut y tenir. Parce que si tu y renonces, tu renonces aussi à ta sensibilité."
Avec émotion, Wyclef Jean évoque son défunt père adoptif, pasteur de la Croix-des-Bouquets, à qui il doit son nom calqué sur celui du théologien anglais John Wycliffe… et sa venue à Brooklyn à l’âge de neuf ans. Transplanté de l’Haïti rurale vers les faubourgs ouvriers noirs pas toujours hospitaliers de la couronne new-yorkaise, Wyclef Jean a longuement réfléchi aux conséquences du déracinement sur la sensibilité et l’imaginaire d’un enfant: "Que tu sois haïtien, russe ou chinois, dès que tu quittes ton environnement d’origine pour un autre, sur le plan psychologique, tu dois trouver une manière de t’intégrer, sans perdre ton identité, de rester toi-même. Là se situe le vrai défi."
Comme plusieurs de nos compatriotes qui ont grandi dans cette dialectique du déracinement/enracinement, Wyclef ne tarit pas d’éloges pour ses parents qui lui ont fièrement transmis ces valeurs, cet héritage culturel haïtien auxquels ses disques fort éclectiques font fièrement écho. "Peu importe ce que je vivais dans les rues de Brooklyn, dès que je franchissais la porte, j’étais comme en Haïti par la nourriture, par la langue, par le konpa endiablé de groupes comme Tabou Combo, qui jouait chez mon oncle." Mais la musique n’a pas été le seul vecteur d’intégration pour Wyclef, qui s’est intéressé à la boxe et au breakdancing. Plus tard, le hip-hop et le reggae, qui imprégnaient le théâtre de sa jeunesse, sont devenus des modes d’expression privilégiés pour ses congénères et lui.
Surnommé "le Bob Marley haïtien", le chanteur/rappeur, multi-instrumentiste et producteur ne se considère pas l’égal de cette légende de la musique mondiale, loin de là, mais s’inspire volontiers de son exemple et de son legs. "Tous ceux qui connaissent les Haïtiens savent ce que Marley représente pour nous. Peu importent les folies qui se passaient en Jamaïque à son époque, sa musique réussissait toujours à faire voir l’envers de la médaille, à faire entendre un autre chant, plein d’espoir pour son pays. En ce sens, je suis fort honoré de voir mon nom accolé au sien dans une même phrase."
Toujours au fait de ce qui se passe sur les plans social, politique et culturel dans son île natale comme dans le département virtuel de la diaspora (il qualifiera élogieusement Luck Mervil de "Sam Cooke créole"), Wyclef Jean a accepté de bonne grâce sa nomination en tant qu’ambassadeur itinérant d’Haïti: "Tous mes amis haïtiano-montréalais savent à quel point la cause haïtienne me tient à coeur. Et partout où je rencontre de jeunes Haïtiens, mon message est le même: "Je suis comme vous originaire du pays le plus pauvre d’Amérique. Et si j’ai réussi à me rendre où je suis, vous le pouvez vous aussi. Kenbe, pa lage. (Tenez bon, accrochez-vous.)"" Message reçu cinq sur cinq, frère.
Les 27 (complet) et 28 février
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Bob Marley, The Fugees, Tabou Combo