Justice : La cour en direct
Musique

Justice : La cour en direct

Après des passages au Club Soda et au Métropolis, Justice revient à Montréal pour transformer cette fois un aréna en boîte de nuit.

Couche de café moisi collée au fond de tasses abandonnées, cendriers débordant de mégots jaunis, boîtes de pizza vides se fondant dans un décor où diverses machines électroniques trônent dans tous les coins. Plus préoccupés par la musique que par l’état des lieux, c’est dans cette ambiance sombre de sous-sol assiégé que les Parisiens Xavier de Rosnay (25 ans) et Gaspard Augé (28 ans) ont peaufiné l’identité de Justice en 2006.

Un an plus tard, les ermites sortaient de leur tanière avec un premier album sous le bras, disque portant comme emblème une simple croix dorée, symbole aussi sobre qu’évocateur. Rebaptisée Cross par les blogueurs, disquaires, journalistes et mélomanes, la galette au succès international est aujourd’hui pointée du doigt lorsque vient le temps d’expliquer la résurgence de la French touch, expression apparue vers 1997 avec l’explosion de la scène française électro (Air, Daft Punk, Motorbass, Laurent Garnier).

LES MOTIVATIONS

De par ses rythmes dance, ses lignes de basse funky, ses synthétiseurs aux distorsions décapantes et sa fièvre pop dangereusement contagieuse, comme en témoigne le tube D.A.N.C.E., Justice fut vite associé à Daft Punk. Une comparaison accentuée par quelques preuves irréfutables comme ce contrat qui lie le groupe au label Ed Banger, propriété de Pedro Winter (alias Busy P), gérant du célèbre combo casqué.

Assis dans les bureaux de la maison de disques, Gaspard Augé minimise le rapprochement: "Je considère l’influence de Daft Punk sur Justice égale à celle des Chemical Brothers, de Prodigy ou même de Metallica. Ce n’est pas un modèle. Pour nous, Vladimir Cosma qui composait des musiques de films seul avec des synthétiseurs analogiques dans les années 70 et 80 est une plus grande influence. Un peu comme Daniel Balavoine qui faisait tout lui-même. C’est avec ces producteurs-compositeurs autosuffisants en tête qu’est né Justice, pas avec la French touch des années 90."

L’analogie avec Cosma et Balavoine n’a rien d’une esquive de la part d’un artiste réfutant l’étiquette ou la comparaison. Dans son sous-sol, Justice a composé chaque pièce de Cross au piano et à la basse. Chaque mélodie et chaque progression d’accords a d’abord été jouée avant d’être décortiquée et reproduite à l’aide de sonorités piquées à gauche et à droite. "Une fois la structure d’un morceau terminée, on remplace tous les sons par des micro-échantillons. Par exemple, si on a besoin d’un do ou d’un ré joué à la basse, on essaie de trouver la note dans un autre morceau existant. L’album est un collage de milliers de sons. On profite ainsi d’une panoplie incroyable de textures. C’est ce qui crée ce curieux magma sonore. Les gens se demandent s’ils entendent des synthétiseurs, des échantillons ou de vrais instruments. Et c’est pour ça qu’on a mis beaucoup de temps à confectionner l’album."

LE CRIME

Cross a tout d’une pièce théâtrale futuriste. En ouverture, Genesis est cet hymne solennel qu’auraient pu entendre les Romains avant de voir débarquer les lions dans l’arène du colisée. Présentation des protagonistes, Let There Be Light annonce les couleurs rock électro grinçantes de la formation. Arrive en troisième lieu D.A.N.C.E., l’élément déclencheur, une petite bombe assurant l’intérêt de l’auditeur. Inévitable clin d’oeil à la French touch, Newjack amorce ensuite un crescendo de vives énergies house qui se poursuivra avec Phantom et mènera à Valentine, tunnel romantique et accalmie nécessaire avant d’entamer le dernier sprint. L’apogée est atteint avec l’esprit punk hautement abrasif de Water of Nazareth, et la conclusion, aussi épique que l’intro, revient à One Minute To Midnight.

"L’album a été pensé pour être écouté de A à Z, que ce soit en auto, en club ou à la maison. On a essayé de marier les deux choses qui nous plaisent le plus en musique: les ambiances romantiques/mélancoliques et les passages agressifs très énergiques. Ajouter une distorsion grisante sur une mélodie épique chargée d’émotion nous permet de jouer avec ces extrêmes. On n’aime pas les choses tièdes. C’est pourquoi certains puristes nous trouvent trop fleur bleue et d’autres, trop agressants. Mais on essaie d’être un groupe pop avant d’être électro. Ma culture musicale s’est faite avec MTV, pas avec les raves. Le but est de toucher différents publics. Et c’est ce qu’on voit lors de nos concerts."

LA SENTENCE

Victime dès 2004 d’un engouement monstre via le Web grâce à la parution de Never Be Alone (remix du groupe britannique Samian), Justice s’était produit une première fois à Montréal lors d’un concert à guichets fermés au Club Soda en mars 2007, soit plusieurs semaines avant le lancement de Cross (le 11 juin de la même année). En octobre, le duo formé d’anciens graphistes était revenu en ville pour se produire non pas une, mais deux fois le même soir au Métropolis. Comme tout ce qui monte rapidement a tendance à redescendre aussi vite, faut-il craindre l’essoufflement de la hype? "Le buzz nous inquiétait avant la sortie du disque. Plus un groupe est médiatisé avant son premier album, plus le taux de déception peut être élevé à la sortie du compact. Mais l’album fonctionne, et je crois qu’on a maintenant dépassé le statut de simple groupe "hypé". Cela dit, comme notre premier public était constitué de blogueurs, il est normal que plusieurs d’entre eux nous dénigrent et ne supportent pas de voir notre popularité grandir. J’étais pareil quand j’étais jeune. Une fois que mon petit groupe préféré devenait célèbre, j’avais l’impression de l’avoir perdu et je passais à autre chose."

En pleine croisade, Justice gagne toujours plus d’adeptes qu’il n’en perd. À preuve, cette nouvelle tournée qui mènera le groupe dans différents arénas nord-américains. Ce contexte représente un défi pour les deux Français qui, sans musiciens, se débrouilleront seuls derrière leurs machines. "On voulait justement une mise en scène plus rock qu’électronique. En général, les groupes électro utilisent de nouvelles technologies coûteuses de projections et de lasers. On préférait un truc classique rock 1970. On utilise une seule couleur, le blanc, et on joue entourés d’amplis Marshall."

Mais qu’ils soient dans un club de 700 personnes ou dans un aréna de 4700 spectateurs, le but de Xavier et Gaspard demeure le même: mener leur public en état de transe. "C’est pour ça qu’on a choisi le symbole de la croix dès le lancement de l’extrait Water of Nazareth en 2005. En écrivant le morceau, on souhaitait transformer les clubs en églises. Les accords d’orgue vers la fin de la chanson n’y sont pas étrangers. L’énergie qu’il peut y avoir dans un club ressemble à cette transe un peu mystique qu’on retrouve dans une église. Il y a une union entre le prêtre et ses fidèles semblable à celle des clubbeurs avec un D.J. Dans les deux cas, on parle de milliers de personnes hypnotisées par un ou deux gars hyper-statiques."

Légère différence, à la de la messe Justice, les hosties sont magiques.

Amen.

Le 16 mars avec Busy P et Fancy
Au CEPSUM

À écouter si vous aimez /
Daft Punk, Samian Mobile Disco, Digitalism

ooo

LA FRENCH TOUCH HORS FRANCE

Combinée au retour de Daft Punk et de Cassius, la popularité grandissante de Justice, Vitalic et Busy P confirme la résurgence de la French touch à l’avant-plan de la scène électronique mondiale. Son influence se fait d’ailleurs sentir à l’extérieur de l’Hexagone, où de nombreux artistes s’attaquent aux pistes de danse à l’aide de compositions et remix électro décapants, rendus accessibles par des références rock et disco. C’est le cas des Allemands de Digitalism et Boys Noize et des Britanniques de Samian Mobile Disco, Klaxons et Does It Offend You, Yeah?. Le principe est simple: piger dans le répertoire ou s’inspirer des Arctic Monkeys, Bloc Party et autres Franz Ferdinand pour amener la fièvre rock au service de la techno. À Montréal, les promoteurs I Love Neon, A Fly Is on the Wall, Nu Ravers on the Block et Peer Pressure se spécialisent dans ce genre de soirée.