Yoav Talmi : Seul entre mille
Yoav Talmi s’apprête à vivre un moment unique dans sa carrière et compte le partager avec la terre entière.
L’Orchestre symphonique de Québec est plongé dans une aventure exceptionnelle avec la réalisation de la Huitième Symphonie de Gustav Mahler au Colisée de Québec. Plus de 1000 chanteurs et musiciens seront réunis sur une même scène en face d’une foule de plus de 12 000 personnes. Le chef d’orchestre Yoav Talmi est catégorique: c’est un moment historique pour la ville de Québec et son orchestre.
Replongeons-nous dans le temps. Le 12 septembre 1910, le compositeur autrichien est au sommet de son art et dirige lui-même la Huitième – que le promoteur de l’époque a nommée la Symphonie des Mille pour lui donner du spectaculaire – à Munich lors de l’exposition internationale qui s’y tient. Un moment de gloire pour l’artiste qui allait mourir l’année suivante. Yoav Talmi a attendu ce moment ultime du 400e anniversaire de Québec pour la mettre au programme, complétant ainsi l’intégrale des symphonies, que l’orchestre aura toutes interprétées depuis l’arrivée du chef israélien en 1998.
Le défi semble important, et le chef ne cache pas une fatigue bien sentie. "Comme on dit, j’ai attrapé deux oiseaux avec ce projet, constate-t-il. Le premier représente la volonté de Mahler, qui est respectée. Celle d’interpréter sa symphonie avec plus de 1000 musiciens et choristes. Le deuxième, c’est de constater qu’en plus de ces 1000 artistes, plus de 5000 personnes s’impliqueront d’une manière ou d’une autre dans cette production. Leur famille et leurs proches vont vivre cette expérience et être témoins avec eux de cette création. Ils seront "connectés" par cette oeuvre. C’est un projet commun."
UNE OEUVRE "DISPENSATRICE DE JOIE"
Tels sont les mots qui ont été choisis par le compositeur pour décrire cette symphonie. Dès les premiers accords de l’orgue, et le Veni, Creator Spiritus interprété par le choeur, nous savons que Mahler signe une oeuvre humaniste exceptionnelle. "C’est difficile de saisir parfaitement ce qui se passe dans la tête d’un compositeur lorsqu’il compose, indique Yoav Talmi, songeur. Mahler était malade et sa femme, Alma, venait de lui avouer sa trahison. Et les deux venaient de perdre leur fille. Il a vécu des épreuves très difficiles. Ce qui est surprenant, c’est que dans ces circonstances il ait pu composer une oeuvre aussi optimiste. Il n’y a pas de tragédie, seulement une intention très claire de glorifier la vie et de souhaiter la rédemption dans l’au-delà. Il n’a pas seulement démontré qu’il était un homme de caractère, mais aussi de valeur. Il a réussi à l’exprimer et c’est pour cela que cette symphonie est un miracle."
La diriger, même avec un orchestre correspondant aux normes habituelles, est un défi. L’écriture est raffinée et s’édifie dans une architecture impressionnante. Le chef d’orchestre se questionne encore sur cette partition qui l’obsède en prévision du concert. "Mahler n’a jamais écrit une pièce comme celle-ci, précise-t-il. La polyphonie et le contrepoint sont d’une grande complexité. Dans toute la période romantique, je pense qu’il n’y a aucune autre oeuvre comparable en matière de contrepoint. Dans ces circonstances, ma principale mission est de faire comprendre leur rôle aux musiciens. C’est une mission beaucoup plus simple lorsque je suis avec des musiciens professionnels. Mais ce n’est pas le cas avec cette distribution. Sur 750 chanteurs, seulement 50 sont des professionnels. Je dois donc être strict, comme un policier qui gère la circulation, pour que tous ces gens empruntent la bonne direction. Dès que ce travail sera accompli, nous pourrons envisager alors de laisser la musique parler d’elle-même. Je souhaite que tous ces musiciens vivent cette musique et comprennent alors ce que nous avons à faire sur cette scène. Non seulement interpréter la partition, mais aussi écouter les autres."
MAHLER AU 21E SIÈCLE
Un défi de taille se place maintenant en face de ce concert. L’acoustique du Colisée n’étant pas à proprement parler adéquate pour ce type d’événement, le chef avoue que cette réalité l’effraie. Avec une amplification et un choeur situé à plus de 100 mètres du podium, l’enregistrement de ce concert par la station de radio WFMT de Chicago vient encore complexifier les choses. "Je dois faire confiance au personnel qui est responsable de la gestion acoustique de l’événement. Nous avons les meilleurs avec nous et c’est entre leurs mains. Pour ma part, le soir du concert, il ne me restera plus qu’à prier pour que tout fonctionne comme prévu." Une prière qui sera peut-être entendue par le compositeur… "Si nous pouvons obtenir seulement la moitié du succès qu’a connu Mahler en 1910, ce sera une énorme victoire pour nous."
Le 15 mars à 20h
Au Colisée de Québec
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À écouter si vous aimez /
Les chefs d’orchestre Georg Solti, Bruno Walter et Claudio Abbado