Bïa : Bïa: sans concession
Les deux pieds sur terre, la tête dans les nuages et le coeur perpétuellement en voyage, Bïa revient avec Nocturno. Sur ce nouvel album, la Brésilienne nous chante un périple au bout de la nuit, envoûtant, inquiétant, propice à toutes les rêveries et à quelques cauchemars aussi; une longue nuit bercée par les rythmes chaloupés de son pays mais aussi par la musique ambiante, le jazz, la folk, la pop… et la poésie.
Voir: Quelles sont vos obsessions du moment?
Bïa: "Ce questionnaire, par exemple! Comment répondre avec honnêteté à des questions qui frôlent l’indiscrétion? Deux solutions: rester en surface de tout sur un ton narquois et détaché ou dévoiler impudiquement des inquiétudes, des démons, des jardins intimes qui ne regardent personne.
Je vais tenter la tangente. J’ai lu avec passion l’Éloge de la fuite, de Henri Laborit."
Qu’est-ce qui vous distingue des autres?
"Rien de particulier ne me distingue. Je ne possède pas l’humour d’Einstein, la générosité de mère Teresa, la clairvoyance de Marguerite Yourcenar, la grâce de Jorge Donn. Tous les dons que je puis avoir ne s’épanouissent que dans mon orbite privée. J’espère que mon orbite privée apprécie, au moins."
Jugez-vous votre sort enviable?
"Un pour cent de la planète mange à sa faim, sait lire, écrire et compter, ne souffre pas du froid et n’est pas mutilé par la guerre et la maladie. J’en fais partie. Je peux m’arranger du reste."
Pourquoi vivez-vous là où vous vivez?
"Je ne sais pas exactement où je vis. Je vis dans ma valise, dans mon étui de guitare, dans mon coeur vagabond. Comme dit Gilberto Gil dans sa chanson: Le meilleur endroit au monde est Ici et Maintenant."
Nommez trois artistes que vous n’aimez pas.
"Je n’aime pas celui qui a vendu son âme pour goûter à la table des puissants. Je n’aime pas celui qui a bradé son art et glissé dans la facilité. Je n’aime pas celui qui s’est cru accompli et a méprisé ses semblables."
Nommez trois artistes que vous aimez.
"Enfin, une question facile!!! Caetano Veloso, Simone de Beauvoir, Pedro Almodovar, Johnny Depp, Nick Drake, Lenine (le chanteur brésilien, pas l’autre), John Irving, Georges Brassens, Mercedes Sosa, Marie-Josée Croze, Amélie Nothomb… et oui, j’ai triché, il y en a plus que trois, tant pis!"
Qu’êtes-vous incapable de vous refuser?
"Le droit au bonheur, à la dignité, à la liberté, égalité, fraternité."
Que dirait votre épitaphe?
"C’est maintenant que tu arrives?"
Qu’est-ce qui vous fait encore peur?
"L’appauvrissement de la flore et de la faune. La soif capitaliste des pays émergents. L’arrogance et la bêtise des chefs d’État des grandes puissances. La disparition des abeilles. Les fanatismes. Les cucarachas qui volent."
Qu’est-ce qui vous met en colère?
"L’arrogance et la bêtise de n’importe qui. L’abus de pouvoir. Qu’on déplace ou fasse disparaître mes crayons."
Où étiez-vous il y a dix ans?
"Dans ma valise et mon étui de guitare. Entre un train et un avion. Sous le vent du monde."
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire?
"Un disque d’or, des sandales dorées, une fête-surprise, un séjour en Patagonie suivi de la Scandinavie avec la personne de mon choix."
Même pour un million je ne…?
"L’argent n’est pas mon moteur. L’argent est un carburant dans le moteur. L’argent est énergie qui circule. L’argent qui ne circule pas est une tumeur, un caillot, une thrombose. Si je devais commettre un acte extrême, ce ne serait probablement pas par manque d’un million, mais peut-être plutôt par manque de l’essentiel. Tant que l’essentiel est assuré, à quoi bon se vendre pour un million?"
Qu’aimeriez-vous oser faire?
"Redresser des torts, dire leur fait aux fonctionnaires arrogants, notamment ceux qui maltraitent des citoyens en position de faiblesse. Toiser. Trouver, comme Amélie Poulain, la phrase Les artichauts, au moins, ont un coeur au bon moment. Hélas, je suis trop polie."
Que pensez-vous des journalistes?
"J’ai voulu être l’un d’eux, avec le but de changer le monde. J’ai abandonné l’université parce qu’on m’y obligeait à gober la fable de l’objectivité. Mais je crois à l’idéal du journaliste qui dénonce, qui fouille, qui creuse. Je crois à la nécessité absolue de la prise de position, de l’éditorial, du reportage. Je crains que des questionnaires uniformisés ne soient le contrecoup d’un manque du budget qui empêcherait des journalistes spécialisés dans les arts de faire une vraie rencontre avec un artiste et son univers. Mais peut-être n’est-on pas persuadé qu’il y ait besoin d’univers chez les artistes, ou de spécialité chez les journalistes? Et vous, qu’en pensez-vous?"
Bïa
Nocturno
(Audiogram/Select)