Karkwa : Vive le vent
Musique

Karkwa : Vive le vent

Karkwa souffle sur les attentes suscitées par son dernier album et lance Le Volume du vent, un compact aussi solide qu’une maison de briques, mais aussi soigné qu’un château de cartes.

Mercredi matin, 11 h 30, les membres de Karkwa s’affairent à réaménager leur local de répétition après avoir trimballé leurs instruments dans différents studios d’enregistrement pour accoucher de leur troisième album, Le Volume du vent.

Boyau d’aspirateur à la main, le batteur Stéphane Bergeron éteint la bruyante machine à mon arrivée. "On fait toujours le ménage avant de recevoir de la grande visite", plaisante-t-il. Faudra faire gaffe en essuyant les bottes. La neige et le grésil tombent encore sur la ville paralysée par ces déferlantes peaux de lièvre, comme le chante Tricot Machine.

"Ça tombe bien parce qu’on voulait lancer le disque avant que la neige fonde", explique le chanteur/guitariste Louis-Jean Cormier. Attendu, le compact atterrira sur les tablettes des disquaires le 1er avril. Pas de souci, même si l’on fêtera le poisson ce jour-là, les lacs seront toujours gelés et les déneigeuses au travail sur les routes de la province.

Conservant l’approche rock atmosphérique des Tremblements s’immobilisent, deuxième effort du groupe paru en 2005 et vendu à près de 20 000 exemplaires, Le Volume du vent est un album d’hiver, enregistré pendant la saison froide, de décembre à février derniers. Son titre nous met la puce à l’oreille, et ses chansons, dont Le Frimas, corroborent la thèse. Faisant l’objet d’un vidéoclip dessiné par Alexandra Myotte, Échapper au sort est même inspirée par la triste fin d’un sans-abri mort gelé dans un banc de neige. "Karkwa, en général, est un groupe d’hiver. Notre musique a toujours été froide dans le bon sens du terme. Notre côté sombre a quelque chose de glacial, et on a utilisé beaucoup de xylophones et de vibraphones sur ce disque, des sonorités souvent associées à des groupes nordiques comme Sigur Rós, par exemple."

"On n’a pas l’habitude d’écrire des textes joyeux sur fond de reggae, c’est certain", soulève Stéphane.

LA RAFALE

Si Les Tremblements s’immobilisent s’ouvre avec l’intensité et la lourdeur rock de La Chute, les premiers instants du nouveau gravé font preuve d’une nervosité aussi empreinte d’urgence. Les percussions du Compteur imitent le tic-tac effréné d’une montre détraquée, une course en lien avec l’effet du temps sur l’homme, sujet de la pièce.

"On voulait des textes moins sombres que sur Les Tremblements, note Louis-Jean. On a évité les chansons sur les assassinats de président ou les tueries dans les écoles pour aborder des sujets moins lourds."

L’approche n’affecte en rien la force de frappe du combo qui canalise ses énergies pour donner naissance à des crescendos aux arrangements toujours aussi riches, peaufinés et mélodiquement efficaces. Pas surprenant que le groupe ait remporté de nombreux prix, dont le Félix de l’Auteur-compositeur de l’année en 2006, et que Louis-Jean Cormier et le claviériste François Lafontaine collectionnent les collaborations depuis trois ans (avec David Marin, Marie-Claire Séguin et Diane Tell pour le premier, Galaxie 500, Alfa Rococo, Frank Martel et Le Husky pour le deuxième).

Le constat est criant sur Le Solstice. Habilement construite, la pièce se bâtit sur un fragile jeu de guitare aérien et gagne en puissance alors que s’ajoutent tour à tour les couches de voix, piano, xylophone, batterie et basse. La virtuosité des musiciens de Karkwa, complété par le percussionniste Julien Sagot et le bassiste Martin Lamontagne, donne au quintette montréalais les moyens de ses ambitions: couvrir un large spectre sonore aux propriétés enivrantes. "On a l’impression que le groupe sonne big mais, ironiquement, cette tendance nous a été inspirée par la musique minimaliste de Steve Reich. On utilise souvent des motifs qui s’entrecroisent et qui, juxtaposés, forment des crescendos d’intensité. Ça peut aussi faire penser à Philip Glass. Les gens voient souvent la musique minimaliste comme des compositions simples, sans grands arrangements, mais il s’agit plutôt de miser sur différents motifs qui se répètent pour créer un effet hypnotique."

"C’est le changement dans la répétition, ajoute François. On a évité les gros riffs de guitare et opté pour plus de textures, de motifs."

La galette tire d’ailleurs son titre des paroles du Solstice, une adaptation d’un texte de Pierre Nepveu commandée à Karkwa dans le cadre de l’événement 100 Jours de bonheur où plusieurs musiciens, cinéastes et photographes s’inspiraient de poèmes québécois consacrés au bonheur.

LE SIFFLEMENT

Composé lors de tournées québécoises et françaises, alors que la troupe profitait des tests de son avant les concerts pour travailler les nouvelles chansons, l’album marque une mini-révolution vocale pour la formation. Les harmonies y sont plus présentes et la voix de Louis-Jean est parfois même appuyée de chants féminins: ceux de Marie-Pierre Fournier (choriste pour Ariane Moffatt et Stefie Shock) et Elizabeth Powell (des Montréalais Land of Talk). "Enregistrer un disque, c’est une célébration, t’as envie de convier plein de monde et de délirer, remarque le musicien. Invité à chanter sur Le Compteur, Patrick Watson a carrément amené la chanson ailleurs, et on s’est laissé prendre au jeu."

En plus de jouer de la guitare sur Dormir le jour, Olivier Langevin a aussi prêté sa voix au disque, tout comme une vingtaine d’écoliers. Concluant À la chaîne, une pièce sur les bambins exploités en usine, cette collaboration est survenue à la toute fin du processus d’enregistrement, lorsque François est débarqué sans prévenir dans le bureau du directeur de l’école primaire St-Arsène. "En composant la pièce, on savait déjà qu’un choeur d’enfants améliorerait la fin, mais nos démarches auprès de chorales ne marchaient pas trop. J’ai eu le flash en écoutant la chanson au studio du coréalisateur Mathieu Parisien: Criss! Il y a une école juste à côté! Je me suis levé et j’ai cogné à la porte du bureau du directeur. Je lui ai expliqué qu’on voulait enregistrer ses enfants. Le gars avait du Malajube et du Karkwa dans son ordinateur. Ça s’est fait super facilement."

"Le prof de musique a amené les élèves dans le gymnase, où on avait installé des micros, enchaîne Louis-Jean. Les enfants étaient super tranquilles et chantaient sur la note, mais pas assez au goût du prof qui leur a demandé de recommencer avec plus de professionnalisme. C’est là que je me suis levé: Non non, non! On veut pas des chanteurs qui torchent, on veut des énervés. C’est une chanson sur les usines où des enfants travaillent à la chaîne. On a besoin de rébellion: criez de toutes vos forces, sautez dans les airs! Soyez tout sauf tranquilles et bons. Les jeunes ont capoté, raide."

Le volume du vent dans les cordes vocales y était fort, très fort. "Paraît que leurs cris ont ébranlé la structure de l’école. Ils ont même fermé la place la semaine dernière. Ils avaient peur que le plafond s’effondre et ils ont dû enlever la neige sur le toit, juste au cas", rigole François.

Karkwa
Le Volume du vent
(Audiogram / Select)
En magasin le 1er avril

À écouter si vous aimez /
Radiohead, Patrick Watson, Steve Reich

ooo

CAUCHEMAR EN TOURNEE

Interrogés sur leur pire moment vécu en tournée, les membres de Karkwa ont répondu unanimement et sans réfléchir: "Nos 36 heures pris dans les aéroports en revenant du festival SXSW (en mars 2007)."

"Il faut savoir que l’événement couronnait une semaine passée pratiquement sans dormir, explique le batteur Stéphane Bergeron. On devait prendre l’avion à Montréal le mercredi à six heures du matin pour se produire le jeudi au SXSW (Austin, Texas). Mais la veille de notre départ, on jouait à Sherbrooke. On perd donc une première nuit de sommeil pour faire le trajet.

"Une fois à Austin, on dort enfin, question d’être en forme pour le concert. Après le show jeudi, on vire une brosse avec les Malajube, Breastfeeders et Patrick Watson qui se produisaient avec nous au Texas. Encore une courte nuit. Le vendredi, il faut retourner à Houston, où on prend l’avion à sept heures le samedi matin pour rentrer à Montréal, avec escale à Philadelphie, mais on a oublié de réserver des chambres d’hôtel, on passe donc la nuit en attente à l’aéroport de Houston. Arrivés à Philadelphie, on change d’avion, mais ça niaise, on décolle pas. Par le hublot, on voit même nos instruments dehors sur le tarmac. Le vol est annulé à cause d’une tempête de neige sur la Côte-Est. Notre compagnie aérienne nous dit qu’on pourra prendre un autre vol pour Montréal, mais seulement le mardi suivant… Ça braillait dans les couloirs de l’aéroport. On décide donc de louer une voiture, mais nos cartes de crédit sont pleines. On se tourne vers l’autobus. Celui de 14 h est complet, mais il y en a un autre à minuit. On attend, le bus arrive pas. Il s’est pointé à trois heures du matin à cause de la tempête. Une autre nuit sans sommeil. On est finalement arrivés à Montréal le dimanche soir."

Et les instruments laissés sur le tarmac à Philadelphie? "C’est Martin Pelland, aussi au SXSW pour jouer avec les Dears, qui nous a appelés pendant qu’on roulait en bus: "Heille, les gars, je suis à l’aéroport de Montréal et il y a vos guitares qui tournent depuis une demi-heure sur le tourniquet à bagages." Va savoir comment, mais les instruments ont pris l’avion et sont arrivés avant nous."