Buck 65 : Situation critique
Musique

Buck 65 : Situation critique

Fasciné par les événements de 1957 qui ont mis le feu aux poudres des révolutions sociales et culturelles de la décennie suivante, Buck 65 plonge dans le passé à la recherche d’un sens à donner au présent. Mais ses questions demeurent sans réponse.

Sur son plus récent essai, Situation, Buck 65 ne tarde pas à afficher ses couleurs. À commencer par les sépias de la nostalgie, tandis qu’en tout début d’album, il scande de sa voix graveleuse: "I saw the best minds of my generation destroyed…" Un emprunt au premier vers du célèbre Howl d’Allen Ginsberg, qu’il appose sur une rythmique grasse et leste.

Le ton est donné: retour à un rap plus classique – sous l’égide de Skratch Bastid -, donc au débit d’un hip-hop qu’il avait presque totalement remisé sur le précédent Secret House Against the World, et où l’on traversera en sa compagnie les ponts que dresse le Buck entre deux époques que 50 années séparent.

Il s’agit donc ici, pour celui que l’on connaît mieux dans sa Nouvelle-Écosse natale sous le nom de Richard Terfry, de détailler les fondements d’une révolution (Internationale situationniste, Beat Generation, apparition du rock’n’roll dans les médias de masse, etc.) pour en appeler une autre.

Mais si Situation semble s’éloigner des expérimentations à saveur autobiographique des précédents albums, permettant aussi à Buck 65 de renouer avec les rappeurs qui l’ont amené au genre en versant dans le social et le politique, sa vision du monde passé ou présent est constamment plombée de souvenirs personnels. Reviennent donc rapidement à la surface ces images fortes et les traumatismes de la tragédie rurale de son enfance qu’il évoquait abondamment sur Talkin’ Honky Blues (2003).

Ainsi, lorsqu’on l’interroge à propos de l’emprunt à Ginsberg, Terfry ramène d’abord la chose à son univers rapproché avant de chercher à identifier les grands esprits sacrifiés du monde actuel. "Si je regarde près de moi, certains des amis que j’admirais le plus ont sans doute été écrasés par l’époque, par les conditions et la pression qu’impose cette époque. Dans une sorte de geste désespéré qui leur permettrait de survivre à cela, ils ont abandonné leurs espoirs et leurs rêves qu’ils ont échangés contre des boulots lucratifs mais sans réelle valeur, ou pire, ils se sont tournés vers une vie de crime, de drogue. Ça, c’est sans compter le nombre effarant de personnes autour de moi qui ont choisi de se suicider", relate-t-il.

"Quant aux grands esprits de notre temps… Il me semble que nous vivons dans un monde où il est de plus en plus difficile de discerner les leaders, ceux qui pourraient faire une différence. Je crois que juste ça, cette difficulté à les identifier clairement, ça en dit long sur notre époque. Comme si nous étions constamment détournés vers autre chose, comme si tout était dilué", déplore-t-il.

Esprit chagrin, nostalgique, cynique, Buck 65 est un peu tout cela et son contraire. Partagé entre le doute qui alimente et celui qui paralyse, entre l’espoir et la désillusion, il cherche dans Situation les balises du changement, espérant que le passé puisse nous indiquer le chemin à suivre pour l’avenir.

"Il me semble pourtant que les raisons de revoir nos priorités sont évidentes, que toutes les conditions sont là pour qu’on remette tellement de choses en question. Par exemple, et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, les parallèles à faire entre l’Irak et le Vietnam sont frappants. Mais on attend toujours les mouvements de contestation à grande échelle… C’est le genre de choses que je voulais soulever avec Situation. Seulement, je n’ai pas de réponses. Pourquoi en sommes-nous là aujourd’hui, pourquoi cette apathie? Je n’en sais rien. Je pose moi aussi la question."

Le 22 avril
Au Bronson Centre
Voir calendrier Hip-Hop/Funk

À écouter si vous aimez / Le rap atypique, les textes politisés, la Beat Generation et l’Internationale situationniste