Habib Koité : De la gueule du crocodile
Habib Koité vient présenter son nouvel album Afriki, toujours en compagnie de son groupe Bamada.
En bambara, bama veut dire "crocodile" et da désigne la bouche. Si Habib Koité me rappelle ce détail étymologique, c’est que je le flatte au sujet de son groupe Bamada. On pourra accuser la star malienne de nous avoir fait languir plus de cinq ans avant la sortie – toute récente – du nouvel album Afriki mais, à l’instar de Youssou N’Dour et de son Super Étoile de Dakar, le chanteur malien le plus sollicité du moment n’envisage pas même une seconde la séparation de ce noyau de cinq qui est le sien depuis ses débuts, il y a bientôt 20 ans. Il faut lui donner ça. "Déjà je suis difficile et assez exigeant envers moi-même. Alors former un groupe, je me dis que c’est pour garder les mêmes personnes afin qu’on puisse chaque fois améliorer la démarche musicale et cette idée d’une formation acoustique telle que je l’ai visualisée au départ. Et puis, il faut supporter les hommes. Vous savez, je suis malien avant tout. Nous, on vit tous là-bas; on est du pays. J’ai envie d’un entourage qui me permette de demeurer, comment dire?… authentique."
Le mot est lâché: authenticité! D’ailleurs, dans Bamada, le jeu d’ensemble n’est pas basé sur la virtuosité et les gimmicks techniques. On restitue plutôt un cadre sonore, on tisse le climat propice aux créations du chanteur-leader. Il faut rester ancré dans le réalisme des différentes musiques maliennes et respecter leurs spécificités. "J’ai vu des musiciens qui vivent à Paris et qui font une musique africaine qui ressemble à autre chose, raconte Koité. Pas que ce soit mauvais… Mais ça exprime une autre couleur; un autre sentiment. Personnellement, ce n’est pas le type de musique que je voudrais faire."
Pourtant, celui qui parle est un "moderne". Un fichu guitariste en plus! Il passe même pour un des meilleurs ambassadeurs de notre Godin nationale, qu’il balade sans relâche autour du monde, même en Russie et en Australie. L’homme a développé une technique et un son très personnels qu’il devrait s’occuper de faire breveter: son finger picking très reconnaissable, ses accords ouverts, son phrasé unique surtout, qui transpose fidèlement non seulement les harmonies, mais aussi les mouvements des instruments traditionnels à cordes et à peaux, du kamale ngoni au djembé, en passant par la kora.
Mais la sensation dans le nouveau répertoire de Koité et Bamada est sans aucun doute la chanson-titre de l’album Afriki. Un rare coup de gueule qui semble exprimer une frustration à laquelle l’auteur ne nous avait pas habitués. "C’est une chanson qui lance un cri, dit le chanteur en s’animant, qui exprime un ras-le-bol, quoi! Je me prépare aux conséquences car j’y rejette tout. Et je dis que l’Africain doit compter sur ses propres ressources, ses propres forces. J’en ai marre de cette image de la main tendue, des promesses qui ont été faites par le colonisateur et qui ne sont jamais respectées. Et puis l’équité et la solidarité sont de bien jolis mots, mais les vraies aides qui arrivent des Nations Unies vont souvent dans d’autres poches. Il faut donner un nouveau départ, de l’intérieur."
Le 4 mai
Au National
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Toumani Diabaté, Boubacar Traoré, Baaba Maal